Esther, se pare pour être présentée au roi Assuérus ou La Toilette d’Esther est notre tableau du jour. Quand Chassériau l’a réalisé, il n’avait que 22 ans. Il s’était fait connaître deux ans auparavant avec deux tableaux de nu, aux prétextes mythologiques (Vénus anadyomène) et bibliques (Suzanne au bain).
Théodore Chassériau (1819-1856) est un peintre trop peu connu du grand public. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, il est mort jeune (à 37 ans). De plus, si son talent était évident, son style a balancé entre celui d’Ingres (1780-1867), dont il a été l’élève, et celui de Delacroix (1798-1863). Chassériau ne peut donc être rattaché directement à un courant (néo-classicisme, académisme, orientalisme, romantisme, réalisme, etc.) et cette difficulté à le catégoriser ou le classer l’a laissé un peu dans l’ombre.
En 1841, l’orientalisme est à la mode. L’Algérie a été prise en 1830, Delacroix y est allé dès 1832 et Chassériau ira en 1846.
Esther, se pare pour être présentée au roi Assuérus ou La Toilette d’Esther, 1841
Musée du Louvre, aile Sully, salle 63
Acte I : entre 600 et 460 avant J.C.
Le thème d’Esther est tiré du livre éponyme dans la Bible.
Dans la troisième année du règne d’Assuérus, celui-ci a démis de son titre son épouse la reine Vashti. Sept jeunes Vierges doivent lui être présentées, dans sa capitale de Suse, et il choisira sa nouvelle épouse parmi elles. Mardochée, juif de la tribu de Benjamin, en exil après la destruction du temple de Salomon, a recueilli sa cousine orpheline Esther et l’envoie au palais. Le cérémonial prévoyait un an de préparation, avant la présentation au roi. Esther sera choisie comme reine. Pendant cette période, Mardochée surprend un complot contre Assuérus, et il fait prévenir le roi par Esther.
Neuf ans plus tard, le vizir Haman décide d’exécuter tous les Juifs de la diaspora installés dans l’empire perse. Assuérus apprend alors que Mardochée l’a sauvé neuf ans plus tôt. Dans le même temps, Esther révèle à son époux son appartenance au peuple juif et lui apprend aussi que le décret d’Haman n’est pas politique mais lié à des ressentiments personnels. Le décret est supprimé, Haman est pendu, et Mardochée devient vizir. Le peuple juif sauvé instaure alors la fête commémorative de Pourim. Si cet épisode a des fondements historiques, l’histoire se serait déroulée entre 600 et 460 avant J.C. La fête de Pourim est célébrée en 2013 les 23 et 24 février, et parmi les lecteurs du livre d’Esther ce week-end, certains pourront aussi penser à la beauté créée par Chassériau.
Acte II : Madame de Maintenon, Racine, et le jansénisme.
Esther, pièce jouée pour la première fois en 1689, est l’avant-dernière pièce de Jean Racine (1639-1699). Elle reprend le thème de la Bible, en respectant les préceptes classiques (unité de temps, de lieu, d’action). Ainsi le premier épisode est traité en flash-back et Esther raconte à une amie comment elle est devenue reine et comment Mardochée a déjoué le complot contre Assuérus. Racine, comme Louis XIV et son épouse morganatique Françoise de Maintenon se sont rapprochés du jansénisme. Racine, en bon courtisan, reprend un thème biblique, sa commande précisant qu’il doit écrire sur « quelque sujet de piété et de morale ». Il traite du concept de la « Providence » (théorisé quelques années auparavant par Bossuet, évêque de Meaux), mais aussi de la tolérance envers les autres religions. Il critique ainsi discrètement la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, intervenue quatre ans auparavant le 22 octobre 1685, qui interdisait le protestantisme en France, et causera l’exil des huguenots.
Acte III : La Toilette d’Esther, 1841
Chassériau profite d’un thème sérieux, voire austère, pour nous donner une image pleine de vie et de beauté. Son ami Théophile Gautier parlait à son sujet de « grâce étrange ». À cette date, Chassériau a rompu avec son maître Ingres, et si son dessin reste très pur, on retient surtout la lumière qui se pose sur l’héroïne, la couleur exceptionnelle et l’atmosphère orientale pleine de sensualité, qui en font un chef-d’œuvre. Le tableau de Chassériau à l’érotisme puissant sera sévèrement jugé par la critique de l’époque, comme les tableaux de Courbet et Manet le seront quelques années plus tard,. Sans doute était-il trop en avance sur son temps !