Le Pont japonais, Claude Monet

Le Pont japonais, Claude Monet

Le Pont japonais et la mare aux nénuphars, Giverny, 1899, Claude Monet, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

Si la maison de Giverny est très connue des Français, si les papiers peints, la déco, le jardin, et même le service de table font l’objet de déclinaisons répétées, beaucoup d’entre nous ont oublié la genèse de ce domaine magique. Aujourd’hui, nous ne dirons rien et laisserons Gustave Geffroy, le premier biographe de Monet et son ami proche, nous raconter Giverny. Nous avons aussi l’honneur de publier G.Geffroy chez VisiMuZ.

« C’est à Giverny qu’il faut avoir vu Claude Monet pour le connaître, pour savoir son caractère, son goût d’existence, sa nature intime…/… Celui qui a conçu et agencé ce petit univers familier et magnifique n’est pas seulement un grand artiste dans la création de ses tableaux, il l’est aussi dans le décor d’existence qu’il a su installer pour s’y plaire à l’abri de toutes les tentations du luxe, car le luxe, il l’a, …en correspondance parfaite avec son esprit et sa philosophie de la vie. Cette maison et ce jardin, c’est aussi une œuvre, et Monet a mis toute sa vie à la créer et à la parfaire.

…/… Ce n’est pas toute la richesse florale du domaine. Pour la connaître tout entière, il faut traverser le chemin, grimper au talus du chemin de fer de Vernon à Pacy-sur-Eure, traverser la voie, et pénétrer dans un second jardin qui est le Jardin d’Eau. Autrefois, la petite rivière de l’Epte passait là, sous une voûte de feuillage, et Monet prenait plaisir à y promener ses hôtes en barque jusqu’à la Seine. La rivière passe toujours, mais avec un arrêt. Monet a obtenu du Conseil municipal de Giverny la permission de détourner la rivière, de créer des bassins, et le Conseil municipal a été bien inspiré, car cette création fut la cause d’une éclosion de chefs-d’œuvre. Le cours d’eau détourné dans les bassins creusés, Monet dessina le jardin et les plantations. Les saules déployèrent leurs vertes chevelures, les bois de bambous s’élancèrent du sol, et les massifs de rhododendrons bordèrent les sentiers. Monet ensemença les bassins de nymphéas, dont les libres racines flottèrent entre les eaux sur lesquelles s’étalèrent les larges feuilles et jaillirent les fleurs blanches et roses, mauves et verdâtres. Du haut d’un pont garni de glycines, qui se trouve être de style japonais, Monet vient juger le tableau qu’il a créé. »

Giverny n’est pas loin de Paris, mais pour voir notre tableau du jour, il faut aller à Philadelphie.

Dim 89,2 x 93,3 cm

17/10/2015

Photo Claude_Monet,_French_-_The_Japanese_Footbridge_and_the_Water_Lily_Pool,_Giverny_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot

Dans la loge, Mary Cassatt

Mary Cassatt –

Dans la loge (Jeune femme au collier de perles dans la loge), 1879, Mary Cassatt, Philadelphia Museum of Art.

Qu’il est parfois difficile de cerner la personnalité de Miss Cassatt (1844-1926) ! Américaine francophile, elle a passé l’essentiel de sa vie en France. Que doit-on retenir ? L’amie, féministe avant l’heure, qui aimait défier Degas sur la technique du dessin ? La courtière et conseillère de la famille Havemeyer qui leur permit de constituer une des plus belles collections possibles d’art français ? La voisine et amie de la tribu Pissarro, qui vivait seule avec sa gouvernante et son personnel de maison en son château du Mesnil-Théribus ?

Le tableau du jour a été présenté à la 4e exposition impressionniste en 1879. Le théâtre parisien était un sujet de choix à l’époque et tous les peintres célèbres aujourd’hui ont représenté loges, corbeilles ou promenoirs. Ce n’est que plus tard, vers 45 ans, que Miss Cassatt, qui n’a pas eu d’enfant, se consacrera surtout aux toiles de mères et enfants. En 1879, il faut chercher ses influences du côté de Manet, de Courbet, de Degas et de Renoir, mais avec une palette plus claire, déjà influencée par le japonisme mis à la mode dans la décennie grâce au voyage de Théodore Duret et Henri Cernuschi au Japon en 1871-72 (voir par exemple ici l’éventail). Alors qu’avant 1874 Mary Cassatt n’a cessé de voyager (elle a fait de nombreux allers-retours entre les États-Unis et la France, a visité les musées d’Espagne et d’Italie), elle a trouvé son port d’attache en 1874 et ne quitte plus Paris et ses environs jusqu’en 1897.

Sa sœur Lydia est très probablement le modèle du tableau du jour. Lydia mourra peu après en 1882. Du point de vue de la composition, on remarque la vue des balcons de l’opéra de Paris au travers du miroir dans le dos de la jeune femme.

Degas disait d’elle : «  Je n’admets pas qu’une femme dessine aussi bien ». Il lui fallut pourtant l’admettre et elle nous le prouve ici encore. Edgar avait transmis à Mary son goût pour le défi de mettre en valeur les teintes de la peau des personnes peintes, lorsqu’elles sont soumises à une lumière artificielle. La lumière électrique est apparue à l’Opéra de Paris en 1875 mais il a d’abord été réservé à la scène. L’éclairage de l’Opéra sera tout électrique à partir de 1881.

Les liens de Cassatt et Degas méritent qu’on s’y attarde, en particulier dans les années autour de 1880. Retrouvez les dans la biographie de Miss Cassatt, chez VisiMuZ !

16/10/2015

Dim 81,3 x 59,7 cm
Photo wikimedia commons Mary_Stevenson_Cassatt,_American_-_Woman_with_a_Pearl_Necklace_in_a_Loge_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot

Le Chant de Mary Blane, Franck Buchser

15102015_Frank_Buchser_The_Song_of_Mary_Blane_1870

Le Chant de Mary Blane, 1870, 103,5 x 154 cm, Franck Buchser, Kunstmuseum Soleure, Suisse.

Nous avons évoqué il y a quelques jours le réalisme de Winslow Homer. Mais à la même époque, il a eu un frère de peinture, non aux États-Unis mais curieusement en Suisse. Franck Buchser (1828-1890) est né et a vécu à Feldbrunnen, commune près de Soleure, entre Berne et Bâle. Entre mai 1866 et 1884, il entreprend de fréquents voyages aux États-Unis, ce qui signifie qu’il est arrivé là-bas juste à la fin de la guerre civile (ou de Sécession). On est très loin des querelles du Salon à Paris, mais les Européens avaient eu connaissance des problèmes soulevés par cette guerre. La Case de l’oncle Tom en particulier a fait beaucoup pour la sensibilisation de l’Ancien Monde.

Buchser a accompagné en 1867 le général Sherman dans la conquête de l’Ouest et la guerre contre les tribus Sioux, Cheyennes, Arapahoes et Kiowas.. Au retour de son périple, il travaille dans son atelier de Washington et exposera ensuite ses œuvres à New York. Le peintre aime montrer les minorités dont la situation est en train de changer. En Amérique, il peint souvent les noirs. De ses voyages au Maroc bien plus tard il rapportera aussi de très beaux portraits de bédouins ou d’esclaves maures. Mais plutôt que chez les peintres orientalistes, il puise chez Courbet un réalisme puissant.

Mary Blane est d’abord un chant populaire des esclaves noirs avant la guerre. Plusieurs versions existent au thème identique. Un homme chante son amour pour Mary Blane. Celle-ci est enlevée, l’homme va la délivrer de ses kidnappeurs et il y a parfois un happy end ou dans d’autres versions la mort de Mary. Ici l’artiste réussit à nous immerger dans cette lumière crue des États du sud. À cette époque, traiter ce type de sujet était à la fois rare et courageux. N’oublions pas qu’il avait été mis fin à l’esclavage seulement 5 ans avant, le 18 décembre 1865. Qui pouvait s’intéresser à un groupe de jeunes noirs réunis autour d’un joueur de banjo, en train de manger pastèque et maïs, tandis que des cochons sauvages errent et que de magnifiques chevaux paissent à l’arrière-plan ? À notre connaissance, seuls Homer et Buchser ont eu cette envie et ce courage. Franck Buchser est un peu un Courbet sous testostérone, qui ne vit pas l’aventure entre Paris, Ornans et La-Tour-de-Peilx mais sur trois continents.

Buchser est méconnu (à tort) hors de Suisse. Une exposition réunissant les grands peintres suisses a eu lieu à Berne et Martigny en 2014-2015 et a permis de voir nombre de ses toiles.

En complément, nous vous proposons de contempler aussi un tableau de Homer, Habillement pour le carnaval, peint 7 ans plus tard, en 1877.

Winslow Homer – Le Carnaval

Habillement pour le carnaval, 1877, hst, 50,8 x 76,2 cm, Winslow Homer, Metropolitan Museum of Art, New York


Une confrontation intéressante entre deux grands peintres.

15/10/2015

Buchser photo wikimedia commons Frank_Buchser_The_Song_of_Mary_Blane_1870 Usr Parpan05
Homer photo VisiMuZ

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, 1889-90, Paul Cézanne, Cleveland Museum of Art (OH)

On sait que Paul Cézanne a partagé sa vie d’adulte pour un peu plus de moitié en Île-de-France et l’autre partie à Aix. Dans le Sud, certains motifs sont particulièrement connus  : L’Estaque, la Sainte-Victoire, Château-Noir, le Jas-de-Bouffan. Il a consacré également 8 toiles à Bellevue.

Bellevue, c’est le nom d’une bastide, construite au XVIIIe siècle, sur la colline de Valcros, près d’Aix-en-Provence. La sœur cadette de Paul, Rose, habitait avec son mari Maxime Conil, la bastide voisine de Montbriant. Et, à la mort de Louis-Auguste Cézanne, Rose a acheté Bellevue pour 38 000 francs avec sa part de l’héritage.

En 1889, la famille Renoir est venue passer l’été et l’automne à Bellevue. Renoir a loué le domaine à Rose et Maxime Conil. Les 2 amis se retrouvèrent alors. Cézanne et Renoir ont peint pendant toute cette période ensemble « sur le motif ».

Une autre version du Pigeonnier à Bellevue, peinte par Renoir se trouve à la fondation Barnes (à Philadelphie). Bellevue a connu une existence tourmentée. Squattée dix ans durant, très abimée, la maison forte a été rachetée en 1995 et entièrement restaurée. Bellevue fait maintenant partie des sites remarquables autour d’Aix, protégés parce que « cézanniens ».

L’année suivante, Paul commencera ses fameuses séries de portraits  :L’Homme à la pipe, Le Fumeur et les célébrissimes Joueurs de cartes.

Tous ces tableaux sont à retrouver (avec 220 autres) dans la biographie de Cézanne, chez VisiMuZ.

14/10/2015

Dim 64 x 80 cm
Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_041.jpg Usr Eloquence

Mlle Caroline Rivière, J.A. Dominique Ingres

13102015_Ingres_Rivière

Portrait de Mlle Caroline Rivière, 1805, Jean-Auguste Dominique Ingres, musée du Louvre, Paris.

Philibert Rivière, un conseiller d’état, commanda à Ingres les portraits de sa famille, en 1804-05. L’artiste a ainsi réalisé trois tableaux représentant respectivement le père, la mère et Caroline, leur fille. Ingres avait à l’époque 25 ans. Il s’agit donc d’une œuvre de jeunesse (elle porte le n° 24 au catalogue raisonné de Wildenstein), avant son départ pour Rome en 1806. Les trois toiles furent exposées au Salon de 1806, et notre tableau du jour ne recueillit que des appréciations négatives. Il était soi-disant « gothique », et le critique Lapauze parlait pour Caroline « d’une figure au type de brebis ». Last but not least, certains jugeaient la tête disproportionnée et le portrait y gagna le surnom de « bilboquet ». Ingres fut très sensible à ces critiques, et bien qu’il perdit ces portraits de vue, il en parla souvent, avec nostalgie. C’est un des rares portraits du peintre qui mixe intérieur et extérieur, comme un hommage à la Renaissance italienne.

Trois ans après la mort de l’artiste en 1867, les tableaux réapparurent quand madame Robillard, une descendante des Rivière, les légua au musée du Luxembourg d’où ils passèrent en 1874 au musée du Louvre.

Ce portrait a depuis une trentaine d’années beaucoup de succès auprès des visiteurs. Caroline Rivière de l’Isle était née en 1793 et mourut quelque temps après en 1807 (sa tombe se trouve au cimetière du Père-Lachaise). Ses longs gants jaunes trop grands, son boa en duvet de cygne, le rendent délicieusement suranné. Ainsi, Lady Gaga a posé en 2013 pour l’artiste Robert Wilson, recréant le portrait de Caroline Rivière en vidéo (ici)

13/10/2015

Dim 100 x 70 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Automne, Winslow Homer

12102015 Winslow Homer – Automne

Automne, 1877, 97,1 x 58,9 cm, Winslow Homer, National Gallery of Art, Washington (DC).

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Winslow Homer (1836-1910), ce grand peintre de Boston, qui a suivi le front de la guerre civile entre 1862 et 1865, puis vint passer un an à peindre en France en 1867. À partir des années 1870, sa manière s’affirme. Réaliste, proche par certains côtés de Courbet et Manet, il puise ses sujets dans la vie quotidienne et dans les bords de mer.

Automne fait partie d’une série de tableaux comme Rab et les jeunes filles (The Parthenon, Nashville) ou encore Le Ramassage des feuilles d’automne (Cooper Hewitt Museum, New York) dans laquelle les feuilles d’érable flamboyantes en cette mi-octobre jouent un rôle déterminant.

La même année, James Tissot (1836-1902), son exact contemporain, a peint un tableau montrant une jeune femme élégante en noir sur un fond de feuilles oranges (Octobre, 216 x 108,7 cm, musée des Beaux-Arts de Montréal).

James Tissot - Octobre

Comme souvent pour les tableaux de cette période, c’est Kathleen Newton, la compagne de James, qui campe cette jolie jeune femme qui dévoile sa cheville.

Comment les deux hommes ont-ils pu, l’un à Londres, l’autre à New York avoir une même idée la même année ? Se connaissaient-ils ? Certainement. Correspondaient-ils ? Nous n’en savons rien.

Homer n’avait pas coupé tous les liens avec l’Europe. Il enverra de nombreuses toiles à l’Exposition universelle de Paris en 1878, puis vivra 2 ans en Angleterre, où se trouvait alors encore Tissot, au début des années 1880.

12/10/2015

Photo Homer Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)
Photo Tissot Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Nature morte aux poivrons rouges, Félix Vallotton

Nature morte aux poivrons rouges – Félix Vallotton

Nature morte aux poivrons rouges sur une table laquée blanc, 1915, Félix Vallotton, Kunstmuseum Soleure.

Vallotton a abordé le thème de la nature morte essentiellement dans les dix dernières années de sa vie. Quand Charles Fegdal, son biographe, cite l’artiste à propos de sa conception des natures-mortes, c’est tout un pan des questions théoriques qui se posaient chez les peintres au début du XXe qu’il nous dévoile :

En 1919, il en a déjà aligné un certain nombre à son mur d’atelier, il en a fait « par duperie », disait-il ; puis voici qu’il réfléchit et qu’il peut, après le travail, s’expliquer : « … L’objet m’intéresse avant tout ; il me semble que ce retour sera salutaire et d’un antidote certain à tant d’erreurs dont on souffre dans l’art d’à présent. Sous prétexte de réagir contre l’abus de l’imitation directe, l’impressionnisme nous a jetés dans une imitation plus photographique que ce contre quoi il luttait. En représentant l’apparence des choses, en cherchant, même par une facture appropriée, à en réduire le mécanisme, il est plus plat d’imitation, plus bête que lorsqu’il s’agissait de restituer l’objet lui-même dans son poids, dans ses volumes, dans son style enfin, au lieu que dans une apparence atmosphérique seulement. »

Entre 1919 et 1925, Vallotton va réaliser de nombreuses natures mortes, et ce sont celles-ci qu’il va envoyer chaque année au Salon d’automne. Notre tableau du jour est un défi pour le dessinateur et le coloriste. Rien de moins géométrique que la forme d’un poivron, rien de plus puissant que ses couleurs franches, avec des transitions subtiles. Mais cette nature est doublement morte. On sait que Vallotton a été très marqué par l’entrée dans la guerre, qu’il a voulu s’engager (mais il avait 49 ans et a été refusé). Le couteau est là pour nous rappeler cette boucherie, sur ce fond de laque d’un blanc clinique, où les poivrons sanguinolents sont les morts et blessés d’Ypres, de Champagne ou d’Artois.

Une nature morte peut souvent nous raconter une histoire, même 3 siècles après celles des Hollandais. Vallotton est un peintre intelligent et cultivé, qui aime faire réfléchir et provoquer les spectateurs.

Tout Vallotton est à retrouver dans sa biographie, chez VisiMuZ.

10/10/2015

Dim : 46 x 55 cm
Photo Courtesy wikiart.org

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, Théo van Rysselberghe

Madame van Rysselberghe et sa fille

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, 1899, Théo van Rysselberghe, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

Au-delà de la simple contemplation de cette toile, de multiples pensées nous assaillent, qu’elles aient trait à l’artiste, ou à l’homme et sa famille. La toile a été réalisée en 1899, Théo et Maria se sont mariés en 1889, leur fille Élisabeth est née un an plus tard. Alors que sa mère lit calmement, la petite fille de neuf ans a du mal à poser, et son père a réussi à nous montrer sa nervosité.

À cette époque, Théo van Rysselberghe vient de changer sa manière. Le strict pointilliste qu’il a été, le compagnon de Seurat et Signac, laisse place à un peintre moins extrême, influencé par l’art décoratif des Nabis. Sa palette est devenue plus éclatante. Le cadre familial respire la sérénité. On sent que Théo a du plaisir à peindre les différentes matières qu’il a multipliées à loisir : le bouquet de fleurs, le service à thé, les différents tissus, les papiers-peints, etc.

Le 26 décembre 1899, Théo écrivit à Signac : « La division, la teinte pure, je ne les ai jamais considérées comme un principe d’esthétique – moins encore comme une philosophie – mais bien, et uniquement, comme un moyen d’expression. Dès que ce moyen me semble incomplet, ou, pour mieux dire ma pensée, tyrannique, je modifie mon outil »

Mais les deux personnages nous émeuvent aussi par leur histoire hors du commun. Maria est connue en littérature comme « La Petite dame », elle a pendant près de 40 ans été l’historiographe d’André Gide. Les Van Rysselberghe et Gide se sont connus en 1899, l’année même de notre tableau.

24 ans plus tard, Élisabeth, qui avait grandi et voulait « faire un bébé toute seule » a donné naissance à Catherine, fille d’André Gide. Catherine Gide est décédée, à 90 ans, en 2013. Dès 1916, au retour des funérailles d’Émile Verhaeren, André Gide avait écrit à Élisabeth : « Je n’aimerai jamais d’amour qu’une seule femme et je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n’en pas avoir moi-même. » Ce sera chose faite quelques années plus tard à la suite d’un complot réunissant André, Marc Allégret, le compagnon de Gide, Maria, et Élisabeth. Théo, mis à l’écart, ne l’a su qu’après la naissance de Catherine. Il n’a pas revu son ami André jusqu’à sa mort trois ans plus tard.

Quand on connaît un peu l’histoire de la famille, il est impossible de ne pas y penser en regardant cette scène si paisible et si colorée.

09/10/2015

Dim : 96 x 129 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

La Vendange à Ornans, Gustave Courbet

La Vendange à Ornans, Gustave Courbet

La Vendange à Ornans, sous la Roche-du-Mont, 1849, Gustave Courbet, collection Oscar Reinhart, Winterthour.

Courbet a 30 ans. C’est le début de la gloire… Georges Riat[*], qui a laissé une biographie critique importante de Courbet, écrit, pour l’année 1849 : « Au Salon, il a présenté sept toiles, qui furent toutes admises. Il y avait des paysages, des portraits, et une scène de genre. La Vendange à Ornans représentait les vignerons affairés à leur travail, sur les pentes rapides qui dévalent sous la Roche-du-Mont; …/… Champfleury [**], emboucha la trompette épique : “Courbet force les portes du Salon… Personne, hier, ne savait son nom : aujourd’hui il est dans toutes les bouches. Depuis longtemps on n’a vu succès si brusque. Seul, l’an passé, j’avais dit son nom et ses qualités; seul j’ai parlé avec enthousiasme de quelques tableaux enfouis au dernier salon, dans les galeries du Louvre. Je ne me suis pas trompé, j’avais raison. Aussi m’est-il permis de fouetter l’indolence des critiques qui s’inquiètent plus des hommes acceptés que de la jeunesse forte et courageuse, appelée à prendre leur place et à la mieux garder peut-être”… ».

Les environs d’Ornans, sa ville natale, ont toujours représenté un sujet de choix pour l’artiste. Deux tiers de son œuvre sont consacrées aux paysages, partagés entre ceux de Franche-Comté et de Suisse d’une part, et ceux de mer d’autre part. Ici, on retrouve un mélange de minéral et de végétal, de brun et de vert. Mais les vendanges ne sont pas le réel sujet du tableau au contraire de cet arbre majestueux qui trône au centre de la toile. Un genre que Courbet va développer largement à tel point que l’on évoque à son sujet les « portraits d’arbres ». Les vendangeurs sont indiqués de manière anecdotique alors que l’arbre s’étale dans toute sa splendeur.

On comprend facilement, en regardant ce tableau et quelques autres du même Courbet, pourquoi et comment il va devenir au début des années 1860, le grand modèle pour les jeunes Bazille, Renoir, Monet et Sisley lors de leurs virées en forêt de Fontainebleau.

[*] RIAT Georges, Gustave Courbet, peintre, H.Floury, Les Maîtres de l’Art moderne, Paris, 1906.
[**] Champfleury (1821-1889), écrivain, critique d’art, puis collectionneur de faïences et directeur-conservateur du musée de Sèvres, était un personnage hors du commun. Il deviendra aussi l’ami de Courbet (qui fera son portrait en 1855) et le défenseur du réalisme.

08/10/2015

Dim : 71 x 97 cm
Photo VisiMuZ

Pêcheuses de moules à Berneval, Renoir

Renoir Pêcheuses de moules à Berneval

Pêcheuses de moules à Berneval, 1879, Pierre-Auguste Renoir, fondation Barnes, Philadelphie.

Renoir a séjourné plusieurs fois au château de Wargemont, chez ses amis Marguerite et Paul Bérard. Berneval, près de Dieppe est aussi à quelques kilomètres de Wargemont.

La Ve exposition des Impressionnistes a eu lieu en 1880. Comme en 1877 et 1879, Renoir s’abstient d’y participer. A contrario, il va postuler au Salon officiel, celui de M. Gérôme (comme disait Cézanne) avec ces Pêcheuses de moules et la Jeune fille au chat. Il va être admis. Renoir était convaincu que pour recevoir des commandes des milieux fortunés de Paris, il était nécessaire d’exposer au Salon. Il l’a expliqué dans une lettre à Durand-Ruel au début de mars 1881.

«. Mon cher Monsieur Durand-Ruel,
Je viens tâcher de vous expliquer pourquoi j’envoie au Salon. Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d’aimer un peintre dans le Salon. Il y en a 80 000 qui n’achèteront même pas un nez si un peintre n’est pas au Salon. Voilà pourquoi j’envoie tous les deux ans deux portraits, si peu que ce soit. De plus, je ne veux pas tomber dans la manie de croire qu’une chose ou une autre est mauvaise suivant la place.

En un mot, je ne veux pas perdre mon temps à en vouloir au Salon. Je ne veux même pas en avoir l’air. Je trouve qu’il faut faire la peinture la meilleure possible, voilà tout. Ah ! si l’on m’accusait de négliger mon art, ou par ambition imbécile, faire des sacrifices contre mes idées, là je comprendrais les critiques. Mais comme il n’en est rien, l’on a rien à me dire, au contraire. »

Alors le peintre a joué « cavalier seul » et n’a pas exposé avec ses amis. Un an plus tard, suite à son voyage en Italie, Renoir va rompre avec sa manière impressionniste, pour entrer dans sa période « ingresque » ou « aigre ». Ce tableau est aussi l’un des deux derniers de l’artiste acquis par Albert Barnes (1872-1951). Barnes possédait à sa mort 178 tableaux de Renoir acquis entre 1912 et 1942. Il en acheta en particulier 41 en une seule fois juste lors de la dispersion de l’atelier à la mort du peintre.

Retrouvez ici tout Renoir dans sa biographie par Ambroise Vollard, chez VisiMuZ (avec 200 tableaux)

07/10/2015

Dim 176,2 x 130,2 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Ferme en Haute-Autriche, Gustav Klimt

Ferme en Haute-Autriche – Klimt

Ferme en Haute-Autriche, 1911-12, Gustav Klimt, Palais du Belvédère, Vienne

Gustav Klimt (1862-1918) n’est pas seulement le peintre de la période dorée et du Baiser. Il a peint de nombreux (55) paysages très lumineux, le plus souvent sur des toiles au format carré. Il a en effet découvert les mouvements artistiques français et décidé d’épurer son style à partir de 1909, évitant l’or et se rapprochant du divisionnisme cher à Seurat, Signac, etc.. mais aussi des couleurs des Fauves qui ont exposé à Vienne en 1908.

Klimt le Viennois a passé à partir de 1897 ses vacances d’été en Haute-Autriche, sur le lac Atter (Attersee à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Salzbourg) avec sa compagne Émilie Flöge. Ses paysages sont toujours vides de personnages, ce qui leur donne une sérénité et un calme particulier. Le feuillage des arbres répond à la prairie en fleurs. Klimt peignait ses toiles en plein air et les terminait en atelier. Les lieux sont donc réels et non imaginaires. Un autre tableau de Klimt, célèbre pour d’autres raisons, a été peint ici. Le Jardin au crucifix (1912-1913) a été détruit dans l’incendie du château d’Immendorf par les Nazis le 8 mai 1945 (à moins que les camions en fuite aient été chargés avec les œuvres et que…).

Le tableau du jour est au palais du Belvédère comme Le Baiser ou Judith. Son succès est si grand qu’il a été reproduit sur toutes sortes de supports, y compris des coques de téléphone portable. On sait aussi que l’Autriche s’est dotée d’une loi exemplaire de restitution aux héritiers spoliés dans le cas d’achats douteux à partir de 1938, et qu’un autre paysage de Klimt de même taille (Litzlberg am Attersee) a été vendu aux enchères en 2011 pour 40,4 millions de dollars suite à un jugement de restitution envers le musée de Salzbourg. Mais l’acquisition de cette toile dès 1912 ne saurait être douteuse. Vous pourrez toujours aller l’admirer au Belvédère.

Dim 110 x 110 cm
Photo wikimedia commons : Oberösterreichisches Bauernhaus Usr : GianniG46

Parution en juillet 2017 de Gustav Klimt (1862-1918), entre femmes et paysages

Retrouvez sa biographie, les femmes qu’il a peints et qu’il a aimées, les 55 paysages de sa maturité, les records d’enchères des vingt dernières années, …

Chevaux de courses devant les tribunes, Edgar Degas

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes)

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes), be 1862-1866, Edgar Degas, musée d’Orsay, collection Camondo.

Le tableau du jour est l’un des premiers que Degas a consacré aux courses hippiques, loisir d’origine britannique, devenu très en vogue en France dès le Second Empire. L’artiste avait décidé de saisir au vol les mouvements de ses sujets pour mieux nous en révéler la personnalité, l’essence, en l’occurrence ici l’âme des courses hippiques et de ses protagonistes.

Citons Paul Jamot [dont la biographie de Degas est parue et est disponible chez VisiMuZ], qui est le premier à avoir analysé ce thème chez Degas.
« Doué d’un don prodigieux de dessinateur qui saisit les contours et les formes même quand ils nous semblent se dissoudre et nous échapper par leur mobilité, il [Degas] s’empare de ce qui n’avait pas été aperçu avant lui. De là, cet aspect de nouveauté qui a scandalisé les uns et fait extravaguer les autres. Il ne poursuivait, il n’a jamais poursuivi que le vrai.
Il n’y a donc pas de différence essentielle entre ses portraits et ses suites de tableaux consacrés aux courses, au théâtre, à la danse, au café-concert, même aux nus, aux blanchisseuses, aux modistes.
Degas, qui n’était pas plus homme de cheval que noctambule, fut attiré de bonne heure par les spectacles qu’un champ de courses offre à un peintre…/… Parmi ses envois au Salon, le premier qui ne fût ni un portrait ni une peinture d’histoire est un tableau de courses…

À gauche, des tribunes remplies de spectateurs. Sur la piste au premier plan, deux jockeys, vus de dos, tiennent leurs chevaux arrêtés, dans des directions un peu divergentes. Plus loin, un groupe de jockeys plus nombreux venant vers nous. Un cheval s’emballe au galop, retenu avec peine par son cavalier. Les ombres portées s’allongent de droite à gauche. À l’horizon, arbres et cheminées d’usines.  »

Signalons aussi le respect de la perspective classique marqué par les diagonales (le cheval centre se trouve sur le point de fuite), le choix assumé de la modernité par opposition à l’académisme (les tribunes, les cheminées d’usines) et la prééminence de la lumière qui annonce déjà la décennie suivante. Le tableau, pourtant si décrié 45 ans avant, est rentré au Louvre avec la collection Camondo dès 1911, alors que l’artiste était encore vivant.

05/10/2015