Mademoiselle Isabelle Lemonnier tenant son chapeau, ca 1879-80, hst, 101,8 x 81,5 cm, Édouard Manet, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Manet était un homme assez fascinant. Né en 1832, il a donc 47 ans en 1879, il est célèbre. Et cependant il continue à suivre encore des jeunes femmes sur les grands boulevards, et à les inviter à poser dans son atelier. À d’autres moments, il profite de sa notoriété pour faire de même dans les soirées bourgeoises dans lesquelles il est invité.
Il a eu dans les années 1879-1882 un faible particulier pour mademoiselle Isabelle Lemonnier. Pour le nombre de portraits réalisés par Manet, Isabelle obtient la deuxième place après Berthe Morisot. Elle était la fille d’un grand bijoutier du boulevard des Italiens et de la place Vendôme, fournisseur de la cour impériale et de l’impératrice sous le second Empire.
Les lecteurs des livres de VisiMuZ ont souvent rencontré sa sœur aînée Marguerite, qui avait épousé l’éditeur Georges Charpentier. Les soirées de madame Charpentier étaient à cette époque les plus courues de Paris. Georges Charpentier a commandé de nombreuses toiles à Renoir, ou encore a aidé Sisley quand il n’avait plus un sou pour faire son déménagement.
Isabelle (1857-1926) était la jolie petite sœur. Elle a dû se sentir flattée d’être ainsi remarquée par un peintre célèbre, mais ne pouvait souhaiter qu’un peu d’attention mondaine. Manet savait de son côté que tout les séparait : l’âge, les convenances ou encore sa maladie, suite d’une syphilis contractée dans sa jeunesse.
Durant l’été 80, Manet atteint par le mal qui l’emportera 3 ans plus tard, part se soigner à Bellevue. Là, il s’ennuie et, grand seigneur aussi bien que cœur d’artichaut, il écrit à son modèle préféré des lettres ornées de dessins aquarellés, somptueux, (voir un exemple ici) et de quatrains… assez ridicules.
Ainsi celui-ci, à retrouver en version originale ici :
« À Isabelle,
Cette mirabelle,
Et la plus belle,
C’est Isabelle. »
Alors on imagine l’ami Édouard chantant avec les Inconnus « Isabelle a les yeux bleus… ». Plus sérieusement, citons Étienne Moreau-Nélaton, qui, dans son Manet raconté par lui-même (Paris, 1926, t.II, p. 70) raconte cet épisode.
« Pendant son séjour à Bellevue, sa pensée s’envole sans cesse vers elle, et se confie à de courtes missives, ornées de petites aquarelles d’un goût exquis : tantôt une fleur, tantôt un fruit, tantôt un portrait de Zizi, la chatte bien-aimée de la maison, ou celui de la jeune personne elle-même, esquissée d’idée, pendant qu’elle villégiature à Luc-sur-mer, une fois avec sa toilette de plage, une autre fois avec le costume qui convient pour piquer une tête dans les flots. Le ton de ces billets est celui de la conversation, plein d’abandon et d’enjouement. »
Mais venons-en à notre tableau du jour. Un fort contraste existe entre la manière de la tête, très poussée, reprise à de multiples reprises, et la spontanéité qui ressort de la touche esquissée des vêtements ou du fond.
Après différents propriétaires prestigieux, le tableau est entré dans les années 1920 dans la collection de l’industriel Otto Krebs à Holzdorf (près de Weimar). En 1945, le domaine de Holzdorf est libéré par l’Armée rouge et la collection va disparaître pendant 50 ans. En 1995, les Soviétiques annoncent qu’en fait elle avait été transférée à Leningrad au titre des « réparations de guerre ». Une exposition est organisée en 1996-97 au musée de l’Ermitage et le portrait de mademoiselle Lemonnier fait alors partie de ce qui est pudiquement nommé par la Russie les « Trésors retrouvés ». On peut aller le voir maintenant au 2e étage du musée.
Vous pourrez aussi retrouver par exemple d’autres portraits d’Isabelle :
À Copenhague :
Isabelle Lemonnier au fichu blanc, ca 1879-80, hst, 86,5 x 63,5 cm, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague
À Dallas (TX) :
Mademoiselle Lemonnier au manchon, ca 1879-80, hst, 91,5 x 73 cm, Dallas Museum of Art, Dallas (TX)
ou encore à Philadelphie (non reproduit), et enfin dans des collections privées comme ce dernier portrait, vendu la dernière fois en 2002, pour 1,654 millions de Livres Sterling.
Portrait d’Isabelle Lemonnier en robe de bal, ca 1879-80, hst, 91,5 x 73 cm, collection particulière (TX)
et bien sûr dans la biographie de Manet par Duret, chez VisiMuZ, ICI.
09/12/2015
photos 1 – wikimedia commons File:Édouard_Manet_-_Isabelle_Lemonnier_le_Chapeau_%C3%A1_la_Main.jpg Usr Rlbberlin
2 – wikimedia commons File:Mademoiselle_Isabelle_Lemonnier_by_Édouard_Manet,_1879-1882_-_Ny_Carlsberg_Glyptotek_-_Copenhagen_-_DSC09422.JPG Usr Daderot
3 – wikimedia commons File:Isabelle_Lemonnier_with_a_Muff.jpg Usr Rlbberlin
4 – wikimedia commons File:Édouard_Manet_-_Portrait_de_Mademoiselle_Isabelle_Lemonnier.jpg Usr Rlbberlin