Nana, 1877, Édouard Manet, Kunsthalle Hambourg
Théodore Duret a raconté en détail les combats de Manet avec le jury du Salon. Malgré sa grande renommée, malgré ses efforts pour être agréé, Manet va encore en 1877 être victime d’une cabale. Il présentait au Salon deux portraits : Portrait de M. Faure, dans le rôle d’Hamlet et Nana.
« Nana, d’après le roman d’Émile Zola représentait une jeune femme à sa toilette, en corset et en jupon, à même de se pomponner. Jusque-là il n’offrait rien qui pût effaroucher et c’était un personnage accessoire qui, en lui donnant sa signification, avait amené le jury à l’exclure. Manet avait peint, sur un côté de la toile, contemplant la toilette de la jeune femme, un monsieur en habit noir, assis le chapeau sur la tête. Par ce personnage et le détail du chapeau, la femme était déterminée ; sans qu’on eût besoin d’explications, on voyait qu’on avait affaire à une courtisane. Manet qui voulait peindre la vie sous tous ses aspects, qui cherchait à la rendre la plus vraie possible, avait trouvé moyen, par l’introduction auprès d’une femme d’un personnage masculin d’ailleurs inactif, d’établir un intérieur de courtisane. C’était un des côtés de la vie de plaisir qu’il rendait, mais à l’aide d’un artifice si simple et si tranquille, que l’ensemble n’avait rien d’offensant.
On avait devant soi une œuvre d’art à juger uniquement comme telle et à ceux qui eussent voulu la considérer d’un autre point de vue, on pouvait dire : Honni soit qui mal y pense. Car jamais Manet n’a fait autre chose que de peindre, sans sous-entendu, les scènes conçues franchement, pour exister comme œuvres d’art. Quand on a voulu trouver dans son Déjeuner sur l’herbe, dans son Olympia ou dans sa Nana certaines intentions, ce sont simplement les accusateurs qui tiraient d’eux l’idée malsaine qu’il n’avait jamais eue. Lorsqu’on compare en particulier cette Nana aux nombreuses représentations de Joseph et de Putiphar, de Suzanne et des vieillards, de nymphes et de satyres, peintes par les grands maîtres et placées dans les musées, on reconnaît qu’elle est à côté d’une réserve parfaite. Mais le temps est encore ici un élément essentiel. Après la mort de leurs auteurs, les audaces s’apaisent et se font accepter, tandis que l’exposition tranquille de simples réalités, au moment où elle se produit, paraît offensante. Toujours est-il que le jury du Salon de 1877 se refusait à montrer une courtisane, qu’on eût pu prendre pour une vertu, en comparaison de certaines dames tenues dans les musées. Il est présumable aussi que le jury n’y regardait pas de si près et que Nana lui offrant un prétexte de refus, il s’empressait de le saisir pour bannir, encore une fois, un tableau de Manet. »
On retrouvera tout Manet dans sa biographie par Duret, chez VisiMuZ évidemment, avec 140 tableaux supplémentaires.
Ajoutons que le modèle qui a posé pour ce tableau était Henriette Hauser, une actrice de boulevard et demi-mondaine, surnommée « Citron ». Elle était en effet la maîtresse en titre du prince Guillaume d’Orange, dit aussi « Wiwill », héritier de la couronne des Pays-Bas, qui menait à Paris une vie très agitée et mourut à 38 ans en 1879.
Et parce qu’en peinture tout est en relation avec tout, le roman Nana a été adapté au cinéma dès 1926 par Jean Renoir, avec dans le rôle principal sa femme Catherine Hessling, nom de cinéma d’Andrée ou « Dédée » Heuschling, l’un des derniers modèles – 1915-1919 – de baigneuses de Pierre-Auguste Renoir. Andrée (1900-1979) était une jeune fille que lui avait envoyée Matisse. Ce dernier pensait, à juste titre, que son physique et sa peau « qui ne repoussait pas la lumière » plairaient à Renoir.
28/10/2015
Dim 150 x 116 cm
Photo wikimedia commons Edouard_Manet_037.jpg Usr Eloquence