Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, Théo van Rysselberghe
• Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, 1899, Théo van Rysselberghe, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
Au-delà de la simple contemplation de cette toile, de multiples pensées nous assaillent, qu’elles aient trait à l’artiste, ou à l’homme et sa famille. La toile a été réalisée en 1899, Théo et Maria se sont mariés en 1889, leur fille Élisabeth est née un an plus tard. Alors que sa mère lit calmement, la petite fille de neuf ans a du mal à poser, et son père a réussi à nous montrer sa nervosité.
À cette époque, Théo van Rysselberghe vient de changer sa manière. Le strict pointilliste qu’il a été, le compagnon de Seurat et Signac, laisse place à un peintre moins extrême, influencé par l’art décoratif des Nabis. Sa palette est devenue plus éclatante. Le cadre familial respire la sérénité. On sent que Théo a du plaisir à peindre les différentes matières qu’il a multipliées à loisir : le bouquet de fleurs, le service à thé, les différents tissus, les papiers-peints, etc.
Le 26 décembre 1899, Théo écrivit à Signac : « La division, la teinte pure, je ne les ai jamais considérées comme un principe d’esthétique – moins encore comme une philosophie – mais bien, et uniquement, comme un moyen d’expression. Dès que ce moyen me semble incomplet, ou, pour mieux dire ma pensée, tyrannique, je modifie mon outil »
Mais les deux personnages nous émeuvent aussi par leur histoire hors du commun. Maria est connue en littérature comme « La Petite dame », elle a pendant près de 40 ans été l’historiographe d’André Gide. Les Van Rysselberghe et Gide se sont connus en 1899, l’année même de notre tableau.
24 ans plus tard, Élisabeth, qui avait grandi et voulait « faire un bébé toute seule » a donné naissance à Catherine, fille d’André Gide. Catherine Gide est décédée, à 90 ans, en 2013. Dès 1916, au retour des funérailles d’Émile Verhaeren, André Gide avait écrit à Élisabeth : « Je n’aimerai jamais d’amour qu’une seule femme et je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n’en pas avoir moi-même. » Ce sera chose faite quelques années plus tard à la suite d’un complot réunissant André, Marc Allégret, le compagnon de Gide, Maria, et Élisabeth. Théo, mis à l’écart, ne l’a su qu’après la naissance de Catherine. Il n’a pas revu son ami André jusqu’à sa mort trois ans plus tard.
Quand on connaît un peu l’histoire de la famille, il est impossible de ne pas y penser en regardant cette scène si paisible et si colorée.
09/10/2015
Dim : 96 x 129 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad