Depuis 10 mois, VisiMuZ a édité quatre guides (Metropolitan, Ermitage, National Gallery, Vatican), un autre est en cours de publication (Kunsthistorisches Museum, Vienne), un autre en préparation (Galerie des Offices, Florence).
À ce jour, l’étude a porté sur près de 5000 tableaux, créés par 400 artistes. 78 œuvres ont été classées comme « trois étoiles ». Mais pourquoi avons-nous attribué ☆☆☆ à une œuvre ? Et pourquoi telle œuvre plutôt que telle autre ?
Les icônes de la peinture
En février 2010, le magazine « Beaux-Arts » avait consacré un dossier pour tenter de répondre à la question « Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? » et parlé du processus d’iconisation, en rappelant en particulier l’évolution du statut de La Joconde à travers les siècles, dont les ultimes épisodes ont été les minauderies de Jacqueline Kennedy à André Malraux, qui ont permis la traversée sur le paquebot France et l’exposition à New York.
Daniel Arasse (1944-2003), historien de l’art, avait défini le chef-d’œuvre à la fois historiquement comme le « morceau de réception » du compagnon devenant maître, et comme le « chef », la tête d’une série, une œuvre dont s’inspirait une école, ou des suiveurs lointains (exemple de la Vénus d’Urbin de Titien à l’Olympia de Manet et aux photos d’Helmut Newton) en précisant : « Un chef-d’œuvre ouvre des pistes ».
Pierre Sterckx, célèbre critique d’art précisait : « Il ne s’agit pas d’une confrontation entre un objet « magique » et des sujets prosternés devant lui, mais d’une réelle interactivité entre les deux. Plus il y aura de spectateurs admiratifs, plus le chef d’œuvre gagnera en force…/.. Ce sont des ersatz d’éternité ».
Dans un article précédent du blog VisiMuZ (ici ), nous avions défini, en élargissant l’analyse de Panofsky, sept niveaux de lecture d’une œuvre :
1) Ce qu’on voit
2) Iconographie
3) Iconologie
4) Esthétique de l’œuvre
5) La place dans le corpus de l’artiste
6) Sa place dans l’époque et dans l’histoire
7) La saga de l’œuvre
Pour chacune des icônes de la peinture, ce ne sont pas seulement les trois premiers niveaux mais les sept niveaux qui contribuent au processus d’iconification.
Trois étoiles dans les guides VisiMuZ
Dans des guides de tourisme célèbres nés au siècle dernier, la notion de trois étoiles existait pour un site naturel ou un bâtiment, et la légende disait simplement « Vaut le voyage ». Ce libellé très synthétique indiquait d’abord par la notion de voyage que l’on s’adressait au touriste, et non au spécialiste de l’architecture, ou à l’historien, ou au géographe. La verbe « Vaut » renvoyait à une hiérarchie de valeurs et indiquait au lecteur que la satisfaction était au bout de la route. Il s’agissait bien de « délectation ».
Pieter Bruegel l’Ancien, La Tour de Babel, 1563 – Kunsthistorisches Museum, Vienne
un exemple de ☆☆☆ universellement connu (photo VisiMuZ)
Pour les amateurs d’art que sont les lecteurs des guides VisiMuZ, la problématique est comparable, et la réponse est identique. Les ☆☆☆, souvent appelées icônes par les conservateurs de musées eux-mêmes, sont d’abord des œuvres universellement connues pour des critères artistiques ou historiques (exemples : Les époux Arnolfini, La Joconde, La Jeune Fille à la Perle, Guernica). Pour ces œuvres, il est devenu souvent inutile de préciser l’auteur, elles font partie de la mémoire collective des amateurs. Parfois, l’amateur va visiter le musée, uniquement pour voir une ou plusieurs de ces œuvres. Il était commun de se moquer il y a quelques années des touristes visitant le Louvre dans l’unique but de photographier la Joconde, mais la démarche n’est pas condamnable en soi. Se trouver en face d’une de ces œuvres iconiques procure une émotion qu’aucune visite virtuelle ne pourrait susciter, et on peut planifier un voyage juste pour aller admirer La Jeune Fille à la Perle (Mauritshuis La Haye, fermé en 2013, il faut aller à New York à la Frick Collection), les putti de La Madone Sixtine (Dresde), les Chasseurs dans la neige (Vienne) ou La Danse de Matisse (Ermitage Saint-Pétersbourg).
Les icônes dans les guides VisiMuZ déjà parus
Des tendances commencent à se dégager au sein des grands musées. Les 78 ☆☆☆ sont le fait de 40 artistes (dont des anonymes). Pour chacun d’eux, la réputation peut maintenant se mesurer (au moins grossièrement) au travers des citations dans les moteurs de recherche. On trouve en différentes langues plusieurs dizaines de milliers d’occurrences Google, et souvent en sus d’autres signes de notoriété (comme une couverture de catalogue du musée, de multiples objets dérivés, etc.).
La notoriété peut aussi augmenter du fait d’une certaine répétition. Le fait de voir une œuvre très semblable dans différents musées va donc jouer sur la notoriété des tableaux et sculptures. En effet, certains artistes ont soit créé une esquisse aboutie avant la version finale (Matisse avec La Danse) ou créé plusieurs répliques de leur œuvre iconique. Titien a peint cinq Danaë, Van der Weyden deux Saint-Luc dessinant la Vierge, Cézanne, cinq Joueurs de cartes, le baron Gros trois Bonaparte au pont d’Arcole en sus de l’esquisse du Louvre. Le processus est devenu quasi industriel avec Andy Warhol et ses Marilyn ou ses boîtes de soupe Campbell.
Bien sûr le choix des musées que nous avons fait pour le démarrage de cette collection influence le résultat. Mais nous verrons dans la suite que les tendances indiquées ci-après ne seront pas fondamentalement modifiées. Au fur et à mesure de la parution de nouveaux guides, nous mettrons à jour cette liste des icônes des grands musées. À ce jour, dans la base de données VisiMuZ, portant sur près de cinquante musées, on trouve environ 250 ☆☆☆. Le musée qui en compte le plus est le Louvre avec 22 (nombre provisoire, l’étude n’est pas terminée). A peine 10 musées dans le monde en contiennent plus de 10.
Les icônes par époques et par écoles
La Renaissance se taille assez logiquement la part du lion, avec plus de 40% du total. Les œuvres antiques ne doivent leur statut qu’à leur redécouverte à la même époque et ont été logiquement incluses dans ce total.
La liste en annexe ci-dessous met en évidence plusieurs faits qui peuvent nous troubler :
a) on ne trouve pas encore dans ce panel d’icône du XVIIIe siècle si on excepte Goya, à cheval sur deux siècles. Le fait est qu’il en existe (Watteau, Boucher, Liotard, ainsi que David si on veut le rattacher au XVIIIe), mais beaucoup moins que pour d’autres siècles.
b) l’article de « Beaux-Arts » cité plus haut explorait plusieurs pistes par rapport à l’histoire et la notion de chef-d’œuvre. Le magazine avait effectué un sondage (mille personnes représentatives etc.) et conclus que « pour les Français, un chef d’œuvre appartient à un passé lointain. »
Laurent Le Bon, directeur du centre Pompidou-Metz indiquait : « Parfaitement balayée par les avant-garde historiques, la notion de chef d’œuvre semble s’être évaporée dans les brumes du post-modernisme ».
A contrario, Boris Groy, philosophe, indiquait : « Une œuvre d’art peut aussi devenir une célébrité » et évoquait Andy Warhol, ainsi que le Requin de Damien Hirst.
Si notre liste des ☆☆☆ met en évidence l’importance de la dimension historique, elle va pourtant plutôt dans le sens de Boris Groy, en montrant l’existence de plusieurs icônes de la peinture au XXe siècle.
Les artistes créateurs d’icônes
Au sein des corpus de chaque créateur, des différences se dégagent.
Il y a d’abord les grands peintres ou sculpteurs, ayant beaucoup produit, et au sein de leur production quelques-unes des œuvres ont atteint une renommée universelle. C’est le cas par exemple de Rubens, de Titien, Botticelli, Caravage, Cézanne, Van Gogh.
Il y a aussi les grands artistes qui soit ont peu produit, soit dont le temps n’a laissé que quelques œuvres, qui sont en conséquence d’autant plus recherchées. Parmi eux, on peut citer par exemple Jan Van Eyck, Petrus Cristus, Pieter Bruegel ou Léonard de Vinci, Jan Vermeer ou plus près de nous Georges Seurat.
Il y a aussi des artistes un peu moins célèbres, mais dont la production comprend un ou plusieurs œuvres qui surpassent tout ce que l’artiste a pu faire et accèdent à l’universalité : Le Bernin avec le trône de la basilique Saint-Pierre par exemple, ou Meindert Hobbema avec L’Avenue à Middelharnis à la National Gallery, ou la Jeune femme et sa servante de Pieter de Hooch à l’Ermitage ou Sur un voilier de Caspar-David Friedrich à l’Ermitage, ou encore les trois volets de la Bataille de San Romano de Paolo Uccello (trois fois trois étoiles, respectivement aux Offices, au Louvre et la National Gallery).
Enfin il y a les œuvres anonymes, mais dont la grande beauté a ému les générations de collectionneurs qui les ont possédées et transmises, et dont la renommée n’a jamais diminué. Il en est ainsi par exemple du Laocoon et ses enfants, du Torso (encore qu’il doive beaucoup de sa célébrité à Michel-Ange) ou de l’Apollon du Belvédère, au Vatican.
Le résultat à ce jour est déjà significatif. Lorsque l’échantillon des musées va s’étoffer , les tendances se préciseront. Quels seront les changements quand nous aurons ajouté la galerie des Offices, le musée du Prado, le Rijksmuseum, le Louvre ou encore la National Gallery de Washington ? A suivre !
Annexe : Liste des ☆☆☆ dans les guides VisiMuZ parus
De 1300 à 1600
Italie-Espagne
Europe du Nord
XVIIe siècle
Italie
Flandre et Hollande
XVIIIe et XIXe siècles
XXe siècle