Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron, Alfred Sisley

Sisley Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron

Le Jardin de M. Hoschedé à Montgeron, 1881, h.s.t., 56 x 74 cm, Alfred Sisley, musée Pouchkine, Moscou

Aux débuts de l’impressionnisme

Tout commence vers 1870. Ernest Hoschedé (1837-1891) a épousé Alice Raingo (1844-1911) en 1863. Alice reçoit en héritage le château de Rottembourg à Montgeron (91) dans lequel les Hoschedé s’installent en 1869.

Ernest est un homme d’affaires, propriétaire d’un magasin de lingerie à Paris, le « Gagne-Petit ». C’est l’époque des grands magasins et du Bonheur des dames de Zola. Mais Ernest est aussi passionné d’art et flambeur. En mars 1870, pour une réception au château, il loue un train qu’il fait arrêter devant le parc du château, pour que les invités n’aient pas à marcher depuis la gare.

« Chéri, s’il te plaît, gare le train à l’entrée du jardin ! ». On imagine bien la scène.

Mais la guerre arrive bientôt. Les Hoschedé fuient devant l’arrivée des Prussiens puis reviennent en mars 1871. Ernest est féru de peinture moderne. En 1874, il est le premier acquéreur de Impression, soleil levant d’un certain Claude Monet (pour 800 francs).

Quand l’homme d’affaires joue les mécènes

Pour décorer les grandes pièces de son château, il a l’idée d’inviter les artistes qu’il admire au château pour quelque temps, afin qu’ils réalisent des tableaux sur place. .

Les premiers à venir en juin 1876 sont Édouard et Suzanne Manet qui restent 2 semaines. Puis c’est au tour d’Alfred et Marie-Eugénie Sisley en juillet. Puis Claude Monet arrive en août. Il restera là jusqu’en décembre.

Mais Ernest fait bientôt faillite et il perd tout : son château, ses tableaux et même… sa femme et ses enfants qui partent vivre avec et chez Claude Monet à Vétheuil. Alice deviendra ensuite la seconde madame Monet. Lors de la vente finale à Drouot en mai 1878, plus de 130 tableaux sont vendus et Impression, Soleil levant est adjugé dans l’indifférence générale au prix ridicule de 210 francs. Parmi les toiles, 13 Sisley, 16 Monet, 5 Manet, etc.

Un tableau énigmatique

Notre tableau du jour est présenté en 1881. On peut penser qu’Alfred Sisley l’avait commencé en 1876, puis mis de côté et l’a repris en cette année-là avant de le signer et de l’exposer. Il a d’abord appartenu au baryton J.B. Faure (qui avait été le mécène de Sisley en 1874 pour son voyage en Angleterre). Puis Durand-Ruel l’acheta en 1900 et le vendit en 1904 pour la modique somme de 40 000 francs au grand collectionneur russe Ivan Morozov, qui faisait ses achats de tableaux à Paris très souvent. Ce prix modique représentait déjà une multiplication par 200 par rapport aux prix de Sisley juste avant sa mort (environ 200 francs) en 1899, 5 ans avant. .

Mais la collection Morozov fut ensuite nationalisée (confisquée) par les Soviets en 1917 et le tableau de Sisley s’est ainsi retrouvé au musée Pouchkine, une histoire folle qui justifierait à elle-seule plusieurs publications.

Toutes ces aventures ne doivent pas vous empêcher d’apprécier ces harmonies de verdure, peintes depuis le fond du parc.

25/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

L’Anglaise du Star, Le Havre, Henri de Toulouse-Lautrec

Lautrec, L'Anglaise du Star, Le Havre

L’Anglaise du Star, Le Havre, 1899, Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi.

Un tableau qui ne laissera pas indifférent tous ceux qui ont utilisé ce timbre émis par la Poste (valeur faciale 1,00 F) en 1965. L’original est à retrouver au musée d’Albi.

Mais si parfois les sujets de Lautrec tangentent le sordide, rien de tout cela ici !

Chaque été, Lautrec rejoignait Le Havre afin de rentrer à Bordeaux et au château familial par la mer en paquebot. Il s’arrêtait évidemment dans tous les lieux de plaisir (bars, cafés-concert, etc.) pour y retrouver la vie qu’il affectionnait. La barmaid du Star, Miss Dolly, lui a donné l’occasion de ce joyeux portrait exécuté à l’huile avec une spontanéïté qui fait penser au pastel.

Je vous livre deux points de vue très différents sur Degas et Lautrec. À vous de juger !

L’opinion de Gustave Coquiot, à retrouver dans la monographie sur Degas par Paul Jamot.

« Un jour, Degas demandait à Suzanne Valadon :
— Qu’est-ce que vous pensez de Lautrec ? (note VisiMuZ : avec qui Suzanne avait vécu…)
— Je trouve, répondit-elle, qu’il s’habille un peu dans vos vêtements.
— En les faisant remettre à sa taille ! coupa Degas, sèchement.
Hélas ! il y a un abîme entre Lautrec et Degas. Lautrec, c’est plus de mouvement, c’est la distinction, c’est la race ! Degas, c’est trop souvent l’inertie, la tradition, la vulgarité !
Il est venu le premier ! Soit ! Mais le disciple domine le maître. »

Et l’avis tout aussi tranché de Renoir  (dans sa biographie par Vollard) :

«  Lautrec a fait une femme de b..del ; chez Degas, c’est l’esprit de la femme de b..del, c’est toutes les femmes de b..del réunies en une seule. Et puis, celles de Lautrec sont vicieuses ; celles de Degas, jamais ! »

Comme vous voyez, les partis étaient tranchés. Mais l’œil change et celui qui admire l’un un jour admirera peut-être plus l’autre le lendemain. Dans tous les cas ils ne laissent pas indifférents !

24/11/2015

Dim : 41 × 32,8 cm
Photo wikimedia commons : Henri_de_Toulouse-Lautrec_053.jpg Usr Eloquence.

P.S. : le timbre évoqué.
timbre lautrec anglaise star

Symphonie en blanc, N° 1, James Abbott Mc Neil Whistler

Symphonie en blanc, N° 1, Whistler

Symphonie en blanc, N° 1 : la fille en blanc,1862, James Abbott McNeill Whistler, National Gallery of Art, Washington (DC)

Les titres des tableaux de James Abbot McNeill Whistler (1834-1903) font le plus souvent référence à une forme musicale (Symphonie, Nocturne, Variations, etc.) et à une ou plus souvent deux couleurs. Le chemin vers l’abstraction était en route.

Né américain, ayant grandi à Saint-Pétersbourg, vivant à Londres et souvent à Paris, Whistler est le prototype du dandy argenté, qui n’a pas besoin de vivre de sa peinture. Il a servi de modèle à Marcel Proust pour le peintre Elstir dans À la recherche du temps perdu. Pour Whistler, l’art était d’abord harmonie de couleurs et non représentation du monde réel. Ses titres font référence aux accords musicaux, il refusait tout dessein moral dans ses tableaux. Pourtant, parce qu’il était un excellent dessinateur, il n’a pas su se libérer complètement de l’emprise du dessin pour laisser le pouvoir à la couleur. Whistler a réalisé trois « Symphonie en blanc » avec son modèle préféré, qui était aussi sa compagne, Joanna Hiffernan.

Nous sommes au cours de l’hiver 1861-1862. Une palette aussi claire n’existait pas encore. Les critiques ont commenté ce tableau comme une allégorie de l’innocence et la perte de celle-ci (la fleur de lys tombante, tenue par Joanna dans sa main gauche, et les autres fleurs en désordre sur la peau d’ours et le tapis). Le tableau, présenté à Paris en 1863, a été refusé au Salon officiel, mais exposé au Salon des Refusés, celui-là même où Manet a créé le scandale avec son Déjeuner sur l’herbe. Le titre initial était La Fille en blanc, présentée par l’artiste comme « une fille en blanc devant un rideau blanc » puis Whistler a intellectualisé sa peinture et inventé le titre définitif, qui sera suivi de deux autres « Symphonie en blanc ». Ce titre doit certainement aussi à l’influence d’un poème de Théophile Gautier de 1852  Symphonie en blanc majeur, que vous pouvez retrouver ICI.

Jo posera aussi l’année suivante pour Courbet lors de leur séjour à Trouville. Alors que Whistler est parti au Chili en 1866, Jo, à court d’argent a posé ensuite à Paris pour Courbet entre-autres pour Le Sommeil, les quatre versions de Jo, la belle irlandaise et vraisemblablement aussi pour L’Origine du monde.

Averti des rumeurs de scandale, Whistler à son retour va rompre avec elle.

23/11/2015

Dim 215 x 108 cm
Photo Courtesy National Gallery of Art, Washington (DC)

La Cueillette des coquelicots, Mary Cassatt

Les années 1870 ont été celles des coloristes. Delacroix avait montré la voie. Les jeunes gens nés vers 1840 l’ont suivie avec comme armes les théories de Chevreul (1839 – De la loi du contraste simultané des couleurs… ICI) et la peinture en tube d’étain, inventée en 1841, qui va permettre de peindre en plein-air.

Le champ de coquelicots par ses contrastes de vert et de rouge va devenir un thème prisé à partir de 1873-74. Mary Cassatt (1844-1926) a 31 ans quand elle réalise le tableau du jour. Il correspond à une évolution de sa technique.

La Cueillette des coquelicots, Mary Cassatt

La Cueillette des coquelicots, 1875, Mary Cassatt, hst, 26,6 x 34,3 cm, collection privée BrCR 42

Citons Achille Ségard, le biographe de Miss Cassatt. « À partir de 1874, les essais se précisent, le dessin se resserre, le trait devient plus nerveux et plus incisif. Miss Mary Cassatt se cherche elle-même et elle se cherche par le dessin. Dans une certaine mesure, elle réfrène une qualité naturelle dont elle se sentait sûre et dont elle savait bien qu’elle tirerait un jour de beaux effets : le don de voir en coloriste. Ce don implique le plaisir de se complaire à l’analyse subtile des complexités quasi imperceptibles des nuances et la joie de regarder par taches, de ramener à des valeurs colorées les personnes, les objets ou les paysages. »

Mary Cassatt suit de peu le premier tableau de Claude Monet (musée d’Orsay, W274) mettant en scène des coquelicots.

Coquelicots (La Promenade), Claude Monet

Coquelicots (La Promenade), 1873, hst, 50 x 65,3 cm, Claude Monet, musée d’Orsay, Paris W274

Champs de coquelicots près d'Argenteuil, Claude Monet

Champs de coquelicots près d’Argenteuil, 1875, hst, 54 x 73,7 cm, Claude Monet, Metropolitan Museum of Art, New York W380

Mais on sent déjà chez Cassatt son attirance pour les portraits d’enfants. Alors que les silhouettes ne sont guère plus que des taches de couleur chez Monet, les volumes de l’enfant sont mis en valeur par Mary Cassatt.

Découvrez tout l’œuvre de Miss Cassatt dans la monographie enrichie publiée chez VisiMuZ : ICI.

21/11/2015

Photos
1) Cassatt : wikimedia commons, File:Mary_Cassatt_-_Picking_flowers_in_a_field_–_1875.jpg Usr Jane023
2) Monet : wikimedia commons, File:Claude_Monet_-_Poppy_Field_-_Google_Art_Project.jpg, Usr DcoetzeeBot
3) Monet : Metropolitan, Courtesy wikiart.org

Une place à l’ombre, Henri-Edmond Cross

Sea, sex and sun au Lavandou. Certains croient encore que le nudisme est né en 1964 à Saint-Tropez (« Do you, do you, do you Saint Tropez ! »)
Henri-Edmond Cross, Une place à l'ombre

Une place à l’ombre, 1902, Henri-Edmond Cross, collection particulière.

Mais en 1902 on ne s’ennuyait pas sur la Côte d’Azur. Ces jeunes femmes ne sont pas imaginaires ou virtuelles. Elles posaient bel et bien pour Henri Cross, sur la plage de Saint-Clair ou de Cavalière (Le Lavandou).

Cross, un des membres du néo-impressionnisme (ou divisionnisme, ou pointillisme) a continué longtemps après la mort de Seurat à peindre « au petit point » (comme disait Renoir). Mais dès 1900, sa palette s’enflamme et il va être l’un des inspirateurs de la génération suivante, les Fauves du salon de 1905 (Matisse, Marquet, Derain, Manguin, Camoin).

Cross, comme nombre de peintres est aussi vecteur d’un certain art de vivre.

Notre tableau du jour est imposant par ses dimensions (113,6 x 146 cm) qui augmentent aussi son pouvoir évocateur. Il a été une des vedettes (virtuelle, par sa projection sur les murs) de l’exposition sur la Méditerranée aux Carrières de lumière des Baux-de-Provence en 2013-2014.

Les paysages de Cross semblent toujours un peu idéalisés (images du jardin d’Eden, ou de l’Âge d’or de l’humanité). Si l’artiste en a totalement inventé les harmonies de couleurs, il a repris des motifs et cadrages existants de son quartier. Certains d’entre eux peuvent être encore retrouvés aujourd’hui (ce que nous avons fait avec délectation l’été dernier).

C’est après ses rencontres avec Cross que le jeune Matisse a peint La Joie de vivre ou encore Luxe, calme et volupté. Le premier prix Goncourt, un certain John-Antoine Nau, (1860-1918) a aussi guéri de la fièvre typhoïde en passant sa convalescence auprès de Cross (en 1897). 6 ans après, quand il est choisi pour le prix en 1903, il ne va pas à Paris, mais chez Cross au Lavandou.

De là à penser que Henri Cross était un catalyseur de bonheur, il n’y a qu’un pas que nous franchissons gaiement. Merci pour le plaisir que vous nous donnez, monsieur Cross, dont nous avons particulièrement besoin en ce moment !

20/11/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

La Route d’Évordes, Ferdinand Hodler

La Route d'Évordes, Ferdinand Hodler

La Route d’Évordes, 1890, Ferdinand Hodler, collection Oscar Reinhart Winterthur

L’artiste.

Ferdinand Hodler (1853-1918), né à Berne, a passé l’essentiel de sa vie en Suisse romande, et à Genève en particulier. Réaliste admirateur de Courbet à ses débuts, il devient vite symboliste et expressionniste. Remarqué par Puvis de Chavannes, ses tableaux des années 80 sont très marqués par l’empreinte de la mort, trop rencontrée dans sa jeunesse. Dans les années 1890 et 1900, il est membre de la Sécession européenne et expose à Vienne avec Klimt et Schiele. Beaucoup plus que Vallotton (qui est plus français que suisse), Hodler est le grand peintre suisse au tournant du siècle.

À côté de son œuvre de peintre d’histoire et symboliste, de son activité de portraitiste, il est aussi un grand peintre de paysages. Il construit des toiles originales à partir de la réalité et selon quelques idées forces, telles que le parallélisme, l’harmonie des couleurs, les lignes principales. Hodler, comme beaucoup de ses amis peintres à l’orée du siècle nouveau, était aussi un théoricien de la peinture. Il donne une série de conférences en mars 1897 qui devient un livre, aux chapitres significatifs : La Mission de l’artiste, L’œil, De la forme, La couleur, De l’œuvre.

Le site près de notre tableau du jour est mieux connu aujourd’hui sous le nom de Bardonnex, pour sa frontière et ses bouchons. On voit au fond le massif du Salève.

La route qui disparaît au loin.

L'Avenue à Middelharnis, Meindert Hobbema

L’Avenue à Middelharnis, 1689, Meindert Hobbema, National Gallery, Londres

La route qui disparaît au loin est un grand classique de la peinture. Redécouverte par les impressionnistes, elle est née au XVIIesiècle, le siècle d’or aux Pays-Bas. Un des premiers exemples est le tableau ci-dessus, L’Avenue à Middelharnis par Meindert Hobbema.

Du parallélisme.

À propos du parallélisme, dont La Route d’Évordes est emblématique, Hodler disait par exemple :

« Si maintenant, dans la pensée, je compare les éléments dominants des choses qui m’ont laissé une impression forte et durable, ceux dont l’ensemble m’a le plus saisi par l’unité imposante, je reconnais dans tous les cas l’existence d’un même caractère de beauté : le parallélisme. Je veux essayer maintenant de l’indiquer.

Soit que le parallélisme lui-même devienne la note absolument dominante, soit qu’il serve à faire mieux ressortir un élément de la diversité, il est la cause d’une grande unité. …/…

S’il n’est pas la dominante, le parallélisme est alors un élément d’ordre. La symétrie de la gauche et de la droite dans le corps de l’homme, l’opposition symétrique dont Michel-Ange d’abord et Raphaël ensuite ont usé, n’est-ce pas là un phénomène de parallélisme ? »

19/11/2015

Dimensions et crédits photos
1) Hodler Dim 62,5 × 44,5 cm, photo wikimedia commons File:Hodler_-_Die_Strasse_nach_Evordes_-_ca1890.jpeg Usr Mefusbren69
2) Hobbema, Dim 103,5 x 141 cm, photo wikimedia commons File:Meindert_Hobbema_001 Usr Sandik

La Chapellerie, August Macke

August Macke, La Chapellerie

La Chapellerie, 1914, August Macke, Musée Folkwang, Essen

Nombre des toiles d’August Macke sont au Lenbachhaus à Munich, mais celle-ci est à Essen (Ruhr, au nord de Cologne).

L’amitié de Klee et Macke, qui s’est traduite par le fameux voyage en Tunisie d’avril 1914, allait bouleverser leur conception de la peinture et de la couleur. On a eu le temps de voir l’évolution de Klee. Malheureusement, Macke allait mourir le 26 septembre 1914. Comme disait Prévert en 1946 :

Rappelle-toi Barbara

Toi que je ne connaissais pas

Toi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi

Rappelle-toi quand même ce jour-là

N’oublie pas

…/…

Et ne m’en veux pas si je te tutoie

Je dis tu à tous ceux que j’aime

Même si je ne les ai vus qu’une seule fois

Je dis tu à tous ceux qui s’aiment

Même si je ne les connais pas

…/…

Oh Barbara

Quelle connerie la guerre[*]

Mais un peu de légèreté ne nuit pas aujourd’hui, à l’image de ce « fucking croqu’enbouche » qui a fait le buzz hier. Alors parlons chiffons.

En juillet 1914, August était parti comme chaque année avec sa famille au bord du lac de Thoune (Suisse) à Hilterfingen. Ses peintures de cette période sont inspirées par le paysage et surtout les boutiques de la vieille ville. Macke connaissait Robert Delaunay et sa série des Fenêtres simultanées de 1912-13, une des étapes importantes vers l’art abstrait. La fragmentation des plans s’apparente au cubisme mais avec un choix de lumières et de couleurs très différent qui explose et donne un rythme à la peinture. On les retrouve ici à l’arrière-plan, de la vitrine et dans les chapeaux exposés. Un aspect statique et géométrique se retrouve a contrario dans la posture de la jeune femme et la façade en pointes de diamant. Notons que les intérieurs et vitrines de chapeliers ou de modistes sont assez fréquemment utilisées par les peintres. On peut citer (liste non exhaustive) Degas, Renoir, Marquet, Bonnard, Picasso et bien sûr Jean Hélion (1904-1987) chez qui les « mannequineries » ont été le thème de nombreuses séries.

18/11/2015

[*] Barbara, poème de Jacques Prévert, chanté par Yves Montand ICI

Photo wikimedia commons August_Macke_Hutladen licence CC-PD-Mark usr Rlbberlin 60,5 × 50,5 cm

Nuit étoilée sur le Rhône, Vincent van Gogh

Vincent arrive en Arles en février 1888. Dès son arrivée, il va se préoccuper de transcrire sur une toile la nuit et ses effets. Il commence par en parler d’abord dans une lettre à son frère Théo puis à Émile Bernard. En septembre il met à exécution ses projets en peignant d’abord une Terrasse de café au « ciel constellé d’étoiles » et à « l’immense lampe jaune qui illumine la terrasse ».

Van Gogh Café-Terrasse de la place du Forum à Arles, le soir

Café-Terrasse de la place du Forum à Arles, le soir, 1888, hst, 81 x 65,5 cm, V. van Gogh, musée Kroller-Müller, Otterlo

Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône

Nuit étoilée sur le Rhône, sept.1888, hst, 72,5 x 92 cm, V. van Gogh, musée d’Orsay, Paris

Puis il va créer cette Nuit étoilée en septembre 1888. Dans sa lettre du 29 septembre (T543) à Théo, Vincent écrit : « Un ciel étoilé peint la nuit même sous un bec de gaz. Le ciel est bleu-vert, l’eau est bleu de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune, et des reflets sont or roux et descendent jusqu’au bronze-vert. Sur le champ bleu-vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose, dont la pâleur discrète contraste avec l’or brutal du gaz. Deux figurines colorées d’amoureux à l’avant-plan. »

Par rapport au Café-terrasse, les couleurs y sont plus subtiles (le jaune de chrome y est moins prégnant) et à cette époque Vincent a encore toute sa tête.

Quand il peindra plus tard, enfermé à Saint-Rémy sa Nuit étoilée (MoMA, New York) avec les cyprès et les spirales lumineuses qui ont fait sa gloire, son esprit ne sera plus le même, malgré les périodes de rémission.

Les tableaux du jour sont plus calmes et sereins, peut-être aussi grâce à ce couple d’amoureux.

La vie et les tableaux de Vincent sont à retrouver ICI.

10/11/2015

Photos wikimedia commons
1) File:Van_Gogh_-_Terrasse_des_Caf%C3%A9s_an_der_Place_du_Forum_in_Arles_am_Abend1.jpeg Usr Mefusbren69
2)Starry Night Over the Rhone Usr Stephantom

Renoir, Nini et la bourgeoisie parisienne

Renoir, Nini et la bourgeoisie parisienne dans les années 1875-1879


Épisode 1 : Renoir et Nini gueule de raie.
Épisode 2 : Le jardin de la rue Cortot.

Épisode 3 : Renoir et la bourgeoisie parisienne dans les années 1875-1879.


Vers 1875, Renoir décide, afin de mieux vendre ses toiles, de se spécialiser comme « peintre de figures » et il va s’efforcer de pénétrer la bourgeoisie parisienne afin d’obtenir des commandes d’une part, de lui vendre des tableaux déjà réalisés d’autre part. Il fut aidé en cela par l’éditeur Georges Charpentier, pour qui son frère Edmond travaillait, et surtout par sa femme Marguerite, dont le salon mondain était « le rendez-vous de tout ce que Paris comptait de célébrités » (Renoir, par Vollard, chapitre ). Renoir, même s’il a encore du mal à vivre, va rencontrer là tous ses clients des années à venir. Les commandes sont des tableaux qui seront accrochés dans un cadre déjà défini. Ils peuvent donc être plus ou moins importants en taille. Les autres sont en général de petit ou moyen format, plus faciles à vendre. Les quatre portraits ci-dessous de Nini font partie de cette 2e catégorie. Un cinquième, qui représente seulement sa tête, se trouvait dans les années 1980 dans une collection suisse (1876, 27 x 22 cm, F215)

Renoir, Jeune Fille au chat

Jeune fille au chat, hst, 55 x 46 cm, 1876, P.A. Renoir, National Gallery of Art, Washington (DC), F214

Renoir, Profil blond (Portrait de Nini Lopez)

Profil blond (Portrait de Nini Lopez), 26 x 22 cm, P.A. Renoir, collection particulière, F256

Ce petit portrait a été vendu chez Christie’s à Londres le 25 juin 2002 pour 501,650 £ (751,973 $). Nini est vêtue d’un corsage noir et blanc, avec un noeud vert et un catogan noir dans les cheveux.

Renoir Portrait de Nini Lopez,

Portrait de Nini Lopez, 1876, 54,5 x 38 cm, P.A. Renoir, musée André Malraux (MUMA), Le Havre, F257

On retrouve la même tenue que dans le tableau précédent.

Renoir L’Ingénue (Nini Lopez)

L’Ingénue (Nini Lopez), ca 1877, hst, 55 x 46 cm, P.A. Renoir, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown (MA) F269

Parfois le thème était choisi avec le commanditaire, et le peintre se permettait alors des formats plus importants.

Renoir, La Sortie du conservatoire

La Sortie du conservatoire, 1877, hst, 187,3 x 117,5 cm, fondation Barnes, Philadelphie, F266

Nini est au premier plan à gauche. Ce tableau a été réalisé pour le compositeur et musicien Alexis Emmanuel Chabrier (1841-1894). Les dimensions importantes du tableau s’expliquent par le fait qu’il s’agit d’une commande. À cette époque, il est vraisemblable que Renoir n’aurait pas pris le risque d’un tel format sans s’assurer auparavant du débouché. Dans la monographie de Vollard, Renoir évoque ce tableau « peint dans le jardin de la rue Cortot ».

Renoir, Le Premier Pas

Le Premier Pas, 1877-80, 111 x 81 cm, collection particulière, F396

Ce tableau, longtemps daté de 1880 et maintenant daté plutôt de 1877, est semble-t-il, le dernier dans lequel apparaît Nini.

Georges Rivière termine l'évocation de Nini par les lignes suivantes.

« Le rêve de cette bonne mère ne se réalisa pas. Nini s'éprit d'un cabotin du théâtre Montmartre qui jouait le rôle de Bussy dans la Dame de Montsoreau – le grand succès de Montmartre – et l'épousa. »

– “Ma fille nous a déshonorés !” s'écria -t-elle, lorsque se produisit cette catastrophe. »

Après son mariage, Nini ne va plus poser pour le peintre. Remarquons qu’aucun des tableaux pour lesquels Nini a posé ne représente de nu. Mais à cette époque, Renoir pour ses nus, depuis devenus très célèbres, faisait poser un autre modèle, Margot, qui fut aussi sa maîtresse et (presque) sa compagne durant quelques années, que nous évoquons plus longuement dans la biographie de l’artiste.

Nini n'est plus modèle et la carrière de Renoir est lancée. Sa clientèle fortunée devient plus abondante, il côtoie le Tout-Paris. Ses prix vont (enfin) commencer à monter. La suite… sort du cadre de notre article.


Fin des aventures de Nini Lopez, modèle de Renoir. Si vous avez aimé un peu, vos « j'aime », partages et commentaires nous le montrent. Mais si vous avez aimé beaucoup, vous aurez encore plus de plaisir à lire la monographie de Renoir parue chez VisiMuZ. Nous comptons sur vous.



Crédits Photos
8 - Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)
9 - non illustré
10 - Courtesy wikiart.org
11 - Photo VisiMuZ
12 - wikimedia commons Pierre_Auguste_Renoir_La-sortie_du_Conservatoire.jpg Usr Rlbberlin
13 - Courtesy The Athenaeum, rocsdad
14 - Courtesy wikiart.org

Renoir et Nini gueule de raie 2

Cet article est la suite de celui paru hier( ICI). Une fois la série terminée, les différents articles seront fusionnés.

2. Renoir dans le jardin de la rue Cortot

En 1875, Renoir réalise Mère et enfants (Frick Collection, New York), vraisemblablement dans un jardin public de Montmartre. Ce portrait lui est payé 1200 Francs et va lui permettre de franchir un palier. À cette époque, il souhaite peindre Le Moulin de la Galette

Renoir : « C’était bien compliqué : les modèles à trouver, un jardin… J’eus la veine d’obtenir une commande qui m’était royalement payée : le portrait d’une dame et de ses deux fillettes, pour 1200 francs. Je louai alors, à Montmartre, une maison entourée d’un grand jardin, à raison de 100 francs par mois ; ce fut là que je peignis Le Moulin de la Galette, La Balançoire, La Sortie du Conservatoire, Le Torse d’Anna… »

Le jardin de la rue Cortot devient alors un nouvel atelier qui permettra à Renoir ses plus beaux effets de lumière. Nini a posé pour plusieurs des tableaux de cette époque, changeant de rôle comme le font les actrices. Le jardin reçoit à la belle saison famille et amis : Edmond Renoir, Georges Rivière, Paul Lhôte passent presque quotidiennement.

Renoir, La Songeuse (Pensive)

La Songeuse ou Pensive, 1875, huile sur papier sur toile, 46 x 38,1 cm, Virginia Museum of Fine Arts, collection Paul Mellon, F169

Curieusement, alors que Renoir était célibataire (Lise Tréhot l’a quitté en 1872), la mère de Nini ne semble pas trop inquiète de la voir poser chez l’artiste.

Georges Rivière raconte :

« Nous ne connaissions à peu près rien de la vie de Nini. Elle n’avait pas de père. L’homme qui vivait avec sa mère, son « beau-père » selon l’euphémisme pudique de Montmartre, était prévôt dans une salle d’armes et l’on disait qu’il veillait jalousement sur la vertu de la jeune fille. La mère avait l’allure d’une ouvreuse de petit théâtre, – c’était peut-être du reste sa profession. Elle venait de temps en temps chez Renoir sous le prétexte de s’informer de la conduite de sa fille à l’égard du peintre et, chaque fois, elle lui disait en manière de confidence son inquiétude, sur l’avenir de Nini.

“Pensez-vous, monsieur Renoir,” soupirait-elle, “à quel danger elle est exposée ? Une jolie fille comme elle est bien difficile à garder ! Voyez-vous, il faudrait qu’elle ait un protecteur sérieux, un homme rangé qui assurerait son avenir. Je ne rêve pas pour elle d’un mylord ni d’un prince russe, je voudrais seulement qu’elle ait un petit intérieur tranquille. Tenez, il lui faudrait quelqu’un qui la comprendrait, un homme comme vous, monsieur Renoir”, ajoutait-elle en s’en allant. »

Renoir, La Couseuse

La Couseuse, 1875, hst, 65 x 55 cm , P. A. Renoir, collection particulière, F191

Ce tableau a été vendu le 08/11/1995 chez Sotheby’s, New York (lot 43) pour 2,400,000 dollars.

On sent nettement sur ces tableaux l’influence du plein-air par l’éclaircissement de la palette de Renoir.

Renoir, Nini dans le jardin

Nini dans le jardin (Nini Lopez), 1875, hst, 61,9 x 50,8 cm, P. A. Renoir, Metropolitan Museum of Art, New York, F188

La Jeune Fille au banc, Renoir

La Jeune Fille au banc, 1875, hst, 61 x 50 cm, P. A. Renoir, collection privée, F189

Ces deux tableaux ont été peints dans le jardin de la rue Cortot.

Suite… et fin demain : Renoir, Nini et la bourgeoisie parisienne entre 1875 et 1879 !

Crédits Photos
4 – wikimedia commons File:Pierre-Auguste_Renoir_-_Pensive_(La_Songeuse).jpg Usr Rlbberlin
5 – Courtesy The Athenaeum, rocsdad
6 – wikimedia commons Pierre-Auguste_Renoir_-_Nini_in_the_Garden.jpg Usr Boo-Boo Baroo
7 – Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Nini gueule de raie et Pierre-Auguste Renoir

Chez VisiMuZ, nous essayons de comprendre la personnalité des peintres, au-delà de leurs œuvres.

Les compagnes des artistes, leurs modèles, leurs amis, leurs commanditaires, les lieux dans lesquels ils ont vécu et voyagé construisent un ensemble qui permet de mieux comprendre la fascination que leurs œuvres peuvent exercer sur nous.

Dans la ici), nous évoquons longuement par exemple Lise, Nini, Margot, Ellen, Angèle, Maria (Suzanne Valadon), Aline, Jeanne, Gabrielle, La Boulangère, Dédé, Madeleine, etc.

Mais le site VisiMuZ est aussi un complément à nos ouvrages, afin de vous faire découvrir des œuvres particulières, ou en prenant un autre angle que celui choisi par l’auteur des monographies.

Nous avons choisi d’évoquer Nini Lopez, surnommée peu élégamment « gueule-de-raie », un des modèles préférés de Renoir entre 1874 et 1878. Elle apparaît pour la première fois sur le tableau La Loge en 1874. Même si le peintre était discret sur ses modèles, elle a été identifiée depuis dans pas moins de 14 tableaux (source Joconde).

Pour mieux comprendre la chronologie, nous avons indiqué pour chaque tableau son numéro d’ordre dans le catalogue Fezzi[1], par exemple ci-après F120.

Nous avons retrouvé ces 14 tableaux et allons les regarder avec vous, le temps d’une promenade en trois temps dans la vie de Renoir entre 1874 et 1879.

1. Entrée en scène de Nini Lopez. (ici),
2. Renoir et le jardin de la rue Cortot. (à paraître)
3. Renoir et la bourgeoisie parisienne dans les années 75-79. (à paraître)

1. Entrée en scène de Nini Lopez

Renoir, La Loge

La Loge, 1874, hst, 80 x 63,5 cm, Pierre-Auguste Renoir, institut Courtauld, Londres, F120

Sur ce tableau, les modèles sont Edmond Renoir, le frère du peintre, et Nini au premier plan.

Georges Rivière[2], ami de Renoir, a évoqué Nini :

« Entre 1874 et 1880, Renoir eut pour modèle habituel une jolie fille blonde qu’on appelait Nini. C’était le modèle idéal : ponctuelle, sérieuse, discrète, elle ne tenait pas plus de place qu’un chat dans l’atelier où nous la trouvions encore lorsque nous y arrivions. Elle semblait s’y plaire et ne se pressait pas, la séance terminée, de quitter le fauteuil où elle se tenait penchée sur un travail de couture ou lisant un roman déniché dans un coin ; telle enfin qu’on la voit dans un grand nombre d’études de Renoir. »

Ce tableau est devenu historique puisqu’il a figuré à la première exposition impressionniste de 1874. Il a ensuite été acheté à l’artiste par le père Martin (1875) pour 425 Francs. Il se caractérise par une lumière et une intensité chromatique très forte, révolutionnaires à cette époque encore marquée par le « noir bitume ».

Le thème de la loge de théâtre a été très utilisé à cette période. Après Daumier, ce sont Renoir, Degas, Mary Cassatt, Vallotton qui nous ont donné chacun leur vision. Nous avons publié il y a quelque temps un exemple par Mary Cassatt en 1879 (ici). Au XIXe siècle, la salle n’était pas comme aujourd’hui plongée dans l’obscurité, et les spectateurs pouvaient lire le texte de la pièce ou encore regarder leur voisins. Cette jeune femme est ici l’archétype de la jolie parisienne à la mode, aux bijoux somptueux, mise en valeur par l’éclairage au gaz. Elle est à la fois spectatrice et spectacle pour les autres spectateurs. Ce trait est accentué par l’attitude en arrière-plan de son compagnon, qui regarde ou plutôt mate avec ses jumelles en direction des corbeilles et galeries occupées par d’autres jolies spectatrices.

Il existe une variante beaucoup plus petite de cette toile, en mains privées, qui est certainement une étude préparatoire (F119).

Renoir – La Loge (étude), 1874

La Loge(étude), 1874, hst, 27 x 21 cm, Pierre-Auguste Renoir, vente Sotheby’s Londres, 5 février 2008, F119

Cette étude avait fait partie de la dramatique vente des impressionnistes en 1875 à Drouot, dans laquelle les peintres n’avaient même pas couvert leurs frais. Elle a été vendue à Londres, chez Sotheby’s, le 5 février 2008. En raison de la parenté du tableau avec la toile précédente, et malgré sa petite taille, la vente a atteint la somme de 7,412,500 £ avec les frais (soit plus de 10 M. euros) pour une estimation allant de 2,5 à 3,5 M. £.

Par rapport à la vision de cette jolie jeune femme, en accord avec la description de Rivière, on comprend d’autant moins ce surnom de « gueule de raie », qui décrit dans l’argot du temps une femme vieille et laide.

Renoir, Portrait de Nini gueule-de-raie

Portrait de Nini gueule de raie, 1874, Pierre-Auguste Renoir, hst, 61 x 48 cm, collection particulière, F134


Dans cette troisième toile, on sent bien la filiation avec les tableaux précédents. Est-il aussi, comme l’a suggéré François Daulte, une étude pour La Loge ? Ce portrait est resté en France (à Biarritz) jusqu’en 2001, avant de partir aux États-Unis. En 2008, donc avant la folie mégalomane sur le marché de l’art que l’on vit depuis, il a été vendu chez Sotheby’s à New York le 3 novembre pour 5,570,500 $.

À suivre… demain !

[1]. Catalogue E. Fezzi & J. Henry, Tout l’œuvre peint de Renoir, période impressionniste, 1869-1883, Paris, 1985
[2]. repris dans la monographie par Vollard, enrichie par VisiMuZ, ici.

Photos
1- wikimedia commons Pierre-Auguste_Renoir,_La_loge_%28The_Theater_Box%29.jpg Usr Luestling
2 – Courtesy The Athenaeum, rocsdad
3 – Courtesy The Web Gallery of Impressionism

Amedeo Modigliani, Nu couché les bras ouverts

Amedeo Modigliani, Nu couché, les bras ouverts

Nu couché, les bras ouverts ou Nu rouge, 1917, ex-collection Gianni Mattioli, Milan, catalogue Ceroni n° 198.

Il s’agit d’une toile de dimensions somme toutes assez modestes : 60 × 91,5 cm, qui vient de défrayer la chronique. Le 9 novembre 2015 au soir à New York, Christie’s a mis aux enchères ce nu pour une estimation de 100 millions de dollars. Il provient de la collection de la famille Mattioli à Milan. Gianni Mattioli l’avait acquis en 1949 et il est resté ensuite chez ses descendants jusqu’à ce jour.

Avec un prix de 170,4 millions de dollars (auxquels il faut ajouter les frais, pour un total de 179,4 millions de dollars), il devient la 2e œuvre d’art la plus chère du monde adjugée en vente publique.

Il fait partie de la série de nus réalisée en 1917 et exposée brièvement à la galerie Berthe Weill en décembre 1917.

Berthe Weill (1865-1951) était « une minuscule créature à binocles et chignon gris jaune », nous dit le poète André Salmon. En 1917, elle se met d’accord avec Léopold Zborowski pour organiser la première exposition personnelle et exclusive de Modigliani. Le vernissage est fixé au 3 décembre.

Cette année-là, Modigliani a réalisé la plupart de ses nus (environ 20 sur les 30 nus de son œuvre). Il a rencontré Jeanne Hébuterne en avril 1917, s’est installé avec elle en juillet rue de la Grande-Chaumière. Zborowski était inquiet. La production d’Amedeo s’en ressentait. Allait-il être prêt pour l’exposition ? Fin novembre, 30 toiles étaient prêtes, dont 15 nus.

Le catalogue est précédé d’un texte du poète Blaise Cendrars.

Sur un portrait de Modigliani.

Le monde intérieur.

Le cœur humain avec ses dix-sept mouvements de l’esprit.

Le va-et-vient de la passion.

Selon Christian Parisot, le dessin qui se trouvait sur l’affiche d’annonce de l’exposition chez Berthe Weill est un portrait de Jeanne Hébuterne.

exposition berthe weill modigliani 1917

Berthe a mis deux nus en vitrine un peu avant l’ouverture de l’exposition. Ils ont été vus par quelques badauds, dont le commissaire de police du quartier. Quand le vernissage débute, tous les amis du peintre sont là. Mais, soudain, c’est le tohu-bohu. Une foule vocifère devant la vitrine. Puis deux gendarmes entrent dans la galerie et demandent à parler au propriétaire. Ils annoncent que la préfecture de police ordonne la fermeture immédiate de l’exposition et la saisie des nus pour « intolérables outrages aux mœurs » (André Salmon). Berthe Weill est emmenée aux commissariat. Les scellés sont posés sur la porte. L’exposition n’aura duré que trois heures.

Il est vraisemblable que la manière du peintre soit à l’origine de cette condamnation. En coupant les bras et les jambes de ses modèles, il focalisait l’attention sur le torse, et le rendait ainsi pornographique aux yeux d’un public ignorant.

Peu de temps après l’évènement, l’écrivain et poète Francis Carco (1886-1958) publie une tribune et apostrophe les lecteurs :

« Lors d’une récente exposition de Modigliani, les portraits, autant que les nus, qu’il a jetés tout à trac sur des draps de hasard, suffisent à ennoblir son art. Si celui-ci vous blesse par son cynisme et l’emploi d’une palette qu’il résume à deux ou trois tons aveuglément choyés ; s’il déforme par souci d’atteindre à la définition de la grâce ; s’il immole pour créer et si rien ne l’intéresse que la nuance, après le rythme ou cette secrète architecture du mouvement qui déplace les lignes, n’êtes-vous point choqués de votre lenteur à saisir les rapports subtils de la sensibilité de ce peintre avec l’objet même de son culte ? »

Après la mort du peintre en janvier 1920, Francis Carco va publier en 1924 Le Nu dans la peinture moderne. Il écrit alors :

« Ce qui distingue Modigliani des autres maîtres du nu, c’est qu’il n’a pas de “manière” déterminée pour peindre la chair. Au roulis des formes, aux gammes de chaleur et de sang, on reconnaît un Rubens ; un Renoir, à la nourriture colorée de l’épiderme. Seul le style d’ensemble annonce Modigliani. …/… Il est impossible, lorsqu’on a pu longuement admirer une figure nue de Modigliani, de regarder sans rire les académies scolaires poncées et froides – voire quelques toiles de musée qu’il est encore de bon ton de louer : les corps en baudruche, le seins en pièces montées, les fesses en gelée tremblante. Car dans les tièdes buées de son œuvre, l’artiste a fait palpiter toutes les ivresses des mystères, les saveurs, les frissons, les moiteurs, les ondulations. Un souffle s’exhale de ses nus, le souffle même de la vie. »

Notre tableau, objet de la bataille d’enchères du 9 novembre 2015, a été récupéré en 1917 par Zborowski, puis vendu au collectionneur Jonas Netter. Il est parti ensuite en Italie le 2 octobre 1928 chez Riccardo and Cesarina Gualino à Turin, est resté en Italie chez différents collectionneurs avant de rejoindre la collection Mattioli en 1949.

Au-delà de sa beauté et de son charme, la toile réunissait tous les ingrédients d’un record. Elle est née avec un parfum de scandale (rapporté ci-dessus), est restée dans la même collection depuis 66 ans, et a été réalisée par un peintre qui n’a produit dans sa courte vie que 340 tableaux environ.

Les journalistes nous apprennent que le tableau aurait été acquis, après une bataille d’enchères de 9 minutes, par un homme d’affaires et milliardaire chinois, Liu Yiqian, né en 1963, président de la société d’investissement Sunline.

10/11/2015

• article de presse sur la vente du 9 novembre, voir par exemple ici
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Photos wikimedia commons
affiche File:Amedeo-Modigliani-berthe-weill-first-oneman-exhibition-nudes-1917-paris.jpg Usr AxelHH
tableau File:Amedeo_Modigliani_012.jpg Usr Eloquence