Le Bain du cheval rouge, Petrov-Vodkin

Le Bain du cheval rouge, Petrov-Vodkin

Le Bain du cheval rouge, 1912, Kuzma Petrov-Vodkin, Galerie Tretyakov, Moscou

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Au XXe siècle il y a eu deux sortes de peintres russes : ceux qui ont émigré avant ou en 1917 (Chagall, Sonia Delaunay, Gontcharova, Jawlensky, Kikoïne, Pougny, Soutine, etc.) ou qui ont continué à vivre ailleurs après 1917 (El Lissitsky, Malevitch) et les autres. Les seconds, restés à Moscou ou à Saint-Pétersbourg n’ont pas eu malgré tout leur talent la reconnaissance internationale des premiers. Parmi eux Kuzma Petrov-Vodkin (1878-1939).

Entre 1901 et 1910, on le trouve à Munich et Paris, à Rome et au Sahara. Symboliste à ses débuts, influencé par Puvis de Chavannes, il tente dans les années 10 une synthèse entre les mouvements expressionnistes (Blau Reiter, Brücke) et les icônes et l’âme russe. Après 1917, il se consacre de plus en plus à la nature morte, avant d’arrêter de peindre au début des années 30 à cause de problèmes de santé. Peintre peu en phase avec l’art soviétique stalinien, il est vite oublié après sa mort pour revenir sur le devant de la scène depuis une trentaine d’années. Ses œuvres ne sont que dans des musées russes ou des collections particulières.

Le tableau du jour a eu un immense succès lors de sa présentation au Salon de Moscou en 1912. Certains éléments empruntent aussi au futurisme italien. La palette du peintre ne comprenait à cette époque que les trois couleurs dites primaires. La toile du fait de sa dominante rouge devint en 1917 l’un des symboles de la révolution bolchévique. Le tableau était venu à Paris en 2005 pour une exposition à Orsay. À ne pas oublier si vous allez à Moscou, Petrov-Vodkin est un peintre rare, pour « happy few » !

10/11/2015

Photo wikimedia commons : Bathing of a Red Horse,Petrov-Vodkin Usr : Ivanaivanova

Le lion, ayant faim…, Douanier Rousseau

Le lion, ayant faim… Douanier Rousseau

Le Lion, ayant faim, Henri Rousseau (dit le douanier), fondation Beyeler, Bâle.

Le premier paysage tropical de Rousseau

En 1891, Henri, dit le douanier, Rousseau (1844-1910), réalise un premier tableau de jungle Tigre dans une tempête tropicale ou Surpris ! en 1891. Refusé au Salon officiel, il l’expose au Salon des Indépendants. La plupart des critiques attaquent avec virulence alors ce « dessin d’enfant » à l’exception notable d’un jeune peintre et critique d’art suisse, un certain Félix Vallotton (cette histoire est bien sûr à retrouver en détail avec toutes les autres dans la biographie de Vallotton, chez VisiMuZ).

Agacé par les critiques, meurtri dans son ego de peintre, Rousseau va ignorer ce thème durant 10 ans. Puis l’envie est décidément trop forte et il va réaliser plus de 20 toiles dites « de jungle » mais dont le vrai motif est son amour de la botanique.

La végétation

La nature qu’il présente provient des dioramas du Jardin des Plantes. Il reconstitue le fond de ses jungles feuille à feuille, reconstruisant l’espace en jouant sur la taille des feuilles et utilisant des dizaines de nuances de vert différentes, dont tous les experts reconnaissent la cohérence des accords chromatiques. Le peintre Ardengo Soffici, qui a vu peindre[*] Henri, témoigne que Rousseau comptait le nombre de nuances de verts qu’il distribuait sur la toile, en en posant un seul à la fois et en nettoyant sa palette entre deux tons différents.

Le lion, ayant faim…

[cliquez sur la photo pour l’agrandir dans un nouvel onglet, pour mieux l’apprécier]

Le tableau du jour est le deuxième de la série des années 1904-1910. Rousseau l’a exposé au Salon d’Automne 1905 à Paris. On a du mal à comprendre le pourquoi de ce format gigantesque (200 x 301 cm). Les animaux sont nombreux : panthère, lion, antilope, mais aussi au centre une chouette tenant dans son bec un lambeau de chair, et plus à gauche un autre oiseau et quelque chose qui ressemble à un singe.

Rappelons le titre complet du tableau, que Rousseau avait intitulé pour le catalogue de l’exposition : Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, la dévore. La panthère attend avec anxiété le moment où, elle aussi, pourra en avoir sa part. Des oiseaux carnivores ont déchiqueté chacun un morceau de chair de dessus le pauvre animal versant un pleur ! Soleil couchant.

Devant un tel titre, il n’est pas surprenant que les Surréalistes aient admiré Rousseau ou encore que Robert Combas (1957-) se soit lui aussi vraisemblablement inspiré du douanier pour ses titres de tableaux à rallonge.

Les Fauves et Rousseau

Alors qu’il était méprisé 15 ans avant, Rousseau va, entre 1905 et sa mort en 1910, faire partie de l’avant-garde, et être admiré par Delaunay, Apollinaire, Picasso, Braque, Léger. En 1905, eu égard à cette notoriété grandissante, mais aussi certainement à la taille du tableau, incasable ailleurs sur les cimaises, les organisateurs du Salon donnent à Rousseau la place d’honneur pour ce Lion, ayant faim…

Dans la même exposition, et dans une salle voisine (n° VII) se trouvent un buste (réalisé par un certain Marque que l’histoire de l’art a oublié) dans le goût de la Renaissance, mais surtout des toiles de Matisse, Marquet, Derain, Manguin, Camoin, aux couleurs pures et flamboyantes. Louis Vauxcelles, un critique d’art du « Gil Blas », un quotidien de l’époque, sort courroucé et fait paraître le 17 octobre 1905 un article intitulé « Donatello chez les fauves », titre qu’il explique en écrivant à propos du buste en marbre de style Renaissance : «  La candeur de ce buste surprend au milieu de l’orgie de tons purs : c’est Donatello chez les fauves.  »

Le Fauvisme est né. Ironie de l’histoire, Rousseau n’était pas un de ces « fauves » même si le lion et la panthère de son tableau ont certainement inspiré en partie le titre de l’article de Vauxcelles.

Cette toile est maintenant une des pièces maîtresses de la collection permanente de la Fondation Beyeler, à Riehen, près de Bâle. Elle a fait l’objet, récemment, d’une restauration importante, commentée ici

[*] Ardengo Soffici , Trenta artisti moderni italiani e stranieri, 1950, p 82.

Dim : 200 x 301 cm
Photo wikimedia commons File:Rousseau-Hungry-Lion.jpg Usr Scewing

La Danseuse, Gustav Klimt

La Danseuse, Gustav Klimt

La Danseuse, 1916-18, Gustav Klimt, collection particulière, Paris.

Klimt (1862-1918) est un artiste fascinant. Après le conformisme de ses années de jeunesse, il invente de nouvelles voies sous l’influence des néo-impressionnistes français (Van Gogh et Bonnard pour les couleurs, Cézanne, Gauguin) puis des cubistes et de Matisse, ainsi que de la décoration japonaise. Après sa période dorée (1903-1908), il conçoit une synthèse nouvelle tant dans ses paysages que dans ses portraits.

Erich Lederer (1896-1985), fils des amis de Klimt, August et Serena Lederer, spoliés lors de la seconde guerre mondiale, a été une source précieuse pour les biographes de Klimt. Ainsi, Erich a indiqué que ce portrait avait été peint sur une toile réutilisée par l’artiste, qui lui avait déjà servi pour un portrait. Notez les motifs orientaux, caractéristiques de cette période, ainsi que les fleurs. La pose, avec les seins découverts, introduit un érotisme qui ajoute un charme supplémentaire. Ce procédé a été utilisé à plusieurs reprises par l’artiste durant cette période, par exemple dans le Portrait de Wally (Wally Neuzil, la sulfureuse compagne du non moins sulfureux Egon Schiele), ou Les Amies, deux tableaux brûlés en 1945 avec la collection Lederer, ou encore La Dame à l’éventail (collection particulière, Vienne)

Enfin, on pourra remarquer le guéridon et le tapis à motifs géométriques, placés verticalement au mépris de toute perspective, des motifs et une position qui sont manifestement sous influence cubiste.

07/11/2015

Dim 180 x90 cm
Courtesy wikiart.org

Le Bateau-atelier, Claude Monet

06112015-Monet-Bateau

Le Bateau-atelier, 1874, Claude Monet, musée Kröller-Müller, Otterlo.

En 1871, Manet a trouvé à Monet une maison à Argenteuil. Claude emménage en décembre et il habitera là jusqu’en 1874. Il déménagera alors à quelques mètres pour la maison rose aux volets verts du 21 boulevard Saint-Denis (actuel boulevard Karl-Marx), qui existe toujours.

Depuis 1851, le train arrivait ici en 15 minutes depuis la gare Saint-Lazare. Par rapport à un Paris dont la population avait doublé en cinquante ans, Argenteuil avait tous les avantages pour Monet  : la nature, l’eau et la proximité. La nature s’était déjà fortement transformée cependant. Si le petit bras de la Seine, le long de l’île Marande, illustrait une nature inchangée, le bassin montrait sur ses rives comme sur l’eau tous les aspects de la civilisation moderne (cheminées d’usine, ponts, péniches, voiliers, vapeurs, aviron, etc.). Monet, peintre de la modernité, va surtout dépeindre les aspects modernes (trains, voiliers) mais idéalisera le site dans ses tableaux en masquant les aspects qui lui déplaisent. L’Argenteuil que dépeint Monet est, selon le mot de Paul Hayes Tucker, « une cour de récréation urbaine pour citadins »[*].

Pour être plus proche de la nature, Claude a fait modifier un bateau en atelier, afin de lui permettre une présence au milieu de ses motifs préférés. Contrairement à certaines idées reçues, la peinture de Monet est alors très intellectuelle, le peintre regarde ses motifs au travers du cadre de la porte de son bateau, adaptant le décor à l’idée qu’il a imaginée (voir Alberti, et son ouvrage De Pictura, paru en 1436). L’idée du bateau-atelier lui avait été soufflée par Charles François Daubigny (1817-1878), qui avait fait construire le sien, baptisé Botin en 1856, et naviquait au demeurant beaucoup plus loin que Claude Monet.

Très vite le bateau où, dit Monet, il a juste assez de place pour installer son chevalet, se transforme le soir en salon d’été pour les amis. Renoir et Manet se retrouvent là avec Monet et sa femme Camille. Caillebotte fera la connaissance de Monet au début de 1876 et les rejoindra au printemps. Ce n’est donc pas Caillebotte l’architecte naval, qui construisit ce bateau (contrairement à ce qui est évoqué parfois). On compte plusieurs tableaux représentant le bateau-atelier, mais tous de 1874 à 1876. Monet fera encore référence à ce bateau dans une lettre de 1884 (« il est en réparation »), puis plus rien. Il a sans doute fini pourri entre deux eaux. Notons aussi qu’à l’été 1876, Monet a rencontré Alice Hoschedé et que la terre a de nouveaux arguments pour le retenir.

Une réplique du bateau-atelier a été construite en 1990 et est perdue (elle-aussi) depuis 2002. Si vous avez des informations sur ce sujet, elles seront transmises avec diligence !

06/11/2015

[*] TUCKER Paul H., Monet à Argenteuil, Paris, Éditions du Valhermeil, 1990, p. 24.
Dim 50 x 64 cm
Photo wikimedia commons File:Claude_Monet_The_Studio_Boat.jpg Usr Arz1969

Crique avec voilier, Camille Pissarro

Crique avec voilier, Camille Pissarro

Crique avec voilier, 1856, Camille Pissarro, collection particulière.

La vie de Camille Pissarro (1830-1903) n’est pas aussi linéaire qu’elle peut sembler de prime abord. On connaît le patriarche d’Éragny, le père de huit enfants qui vivait comme un petit bourgeois désargenté, qui a peint Paris, la campagne d’Île-de-France et de Picardie. Étant né de parents français à Saint Thomas aux Antilles, il y a grandi. Il était de nationalité danoise (Saint Thomas est devenue plus tard territoire des États-Unis en 1917) et l’est resté toute sa vie. Il était aussi un tenant de l’anarchie. Fils de marranes, baptisé, il s’est proclamé athée et libre-penseur.

Ce fils de bourgeois avait gardé de son enfance aux îles, un goût très fort de la liberté. Nul doute que s’il avait eu plus d’argent pour voyager (et aussi un peu moins d’enfants) il nous aurait enchanté avec des tableaux de contrées lointaines, comme son ami et élève Gauguin.

En témoigne le tableau du jour. Il s’agit d’une œuvre de jeunesse (il a vingt-six ans). Il vient d’arriver à Paris et peint de mémoire les paysages qu’il vient de quitter. Avant son arrivée sur le sol français, il a effectué un séjour de deux ans au Venezuela duquel il a rapporté quelques toiles, il a travaillé un an à son retour dans l’entreprise familiale avant de décider de se consacrer définitivement à l’art et de partir pour Paris. Il n’est plus jamais retourné sur le continent américain.

Ce tableau a été vendu à New York en 2012 pour 530 000 dollars.

05/11/2015

Dim 35 x 53 cm
Photo wikimedia commons Camille_Pissarro_-_Crique_avec_voilier_(1856) licence CC-PD-Mark Usr Botaurus

Tête de femme (au chignon), Amedeo Modigliani

Tête de femme (au chignon) Amedeo Modigliani

Tête de femme (au chignon), 1911-1912, Amedeo Modigliani, collection Merzbacher, Zürich

On connaît mieux le Modigliani peintre que le sculpteur. Et pourtant ! Que serait-il advenu de son œuvre si sa santé délicate ne lui avait interdit de continuer à sculpter ? En effet, sa tuberculose, jamais réellement soignée, s’aggravait avec la poussière de la pierre qu’il était amené à respirer. Mais revenons au début.

En 1909, Modi a passé l’été à Livourne avec Brancusi. Il l’a emmené à Carrare voir la taille du marbre. Des témoins de l’époque auraient aussi vu Modigliani jeter une nuit des sculptures dans le canal des Hollandais à Livourne.

À son retour à Paris, Amedeo ne veut être rien d’autre qu’un sculpteur. L’année suivante, il trouve un atelier de sculpteur à Montparnasse à « La Ruche ».
Adolphe Basler (1878-1949) était un écrivain et critique d’art franco-polonais, qui a fréquenté Amedeo dès 1909. Son Modigliani paraît en 1931 à Paris, il y raconte les débuts parisiens de l’artiste [N.B. : nous avons respecté le texte originel].

« La sculpture nègre le hantait et l’art de Picasso le tourmentait. C’était le moment où le sculpteur polonais Nadelmann[*] exposait ses oeuvres à la galerie Druet[**]. Le principe de la décomposition sphérique dans les dessins et les sculptures de Nadelmann précéda, en effet, les recherches ultérieures de Picasso cubiste. Les premières sculptures de Nadelmann, qui émerveillaient Modigliani, furent pour lui un stimulant. Sa curiosité vers les formes créées par les Grecs archaïques et vers la sculpture khmère, que l’on commençait à connaître dans le milieu des peintres et des sculpteurs ; et il s’assimila beaucoup de choses, tout en réservant son admiration à l’art raffiné de l’Extrême-Orient et aux proportions simplifiées dans les sculptures nègres.

Pendant plusieurs années, Modigliani ne fit que dessiner, tracer des arabesques rondes et souples, rehausser à peine d’un ton rosé les contours élégants de ces nombreuses cariatides, qu’il se promettait toujours d’exécuter en pierre. Et il acquit un dessin très sûr, très mélodieux, en même temps d’un accent personnel, d’un grand charme, sensible et plein de fraîcheur. Puis, un jour, il se mit directement dans la pierre figures et têtes. Il ne tint le ciseau que jusqu’à la guerre, mais les quelques sculptures qui restent de lui laissent entrevoir plus qu’un soupçon de ses grandes aspirations. Il affectionnait les formes sobres, mais non pas tout à fait abstraites dans leur concision schématique.

L’époque où Modigliani suivit sa vocation de sculpteur fut une époque heureuse pour lui. Son frère, en lui accordant quelques subsides, lui permit de travailler tranquillement. S’il buvait et tombait souvent dans des états inquiétants, la chose demeurait sans conséquence.
Il se remettait vite au travail, car il aimait son métier. La sculpture fut son unique idéal et il fonda sur elle de grands espoirs. Je puis dire que je ne l’ai vraiment apprécié qu’à cette période de sa vie. »

Les sculptures de Modigliani sont donc en nombre très faible (25 numéros). Nous vous laissons apprécier aujourd’hui celle qui est la numéro IX, en grès.

Mais les fantasmes des uns et des autres sur ces sculptures ont aussi créé en 1984 un canular fabuleux. On avait retrouvé les sculptures de Modi en draguant le canal des Hollandais à Livourne. La mystification éclata bientôt et le scandale fut immense (détails sur wikipedia).

[*] Elie Nadelman (1882 Varsovie -1946 Riverdale (NY)), a vécu à Paris de 1904 à 1914 avant d’émigrer aux États-Unis. Longtemps oublié, il a été redécouvert et ses sculptures se trouvent aussi bien au Metropolitan Museum qu’au MoMA à New York. voir wikipedia (en anglais)
[**] 1909.

04/11/2015

Dimensions inconnues, photo VisiMuZ ©

Hermine au chemisier rouge, Jules Pascin

Hermine au chemisier rouge, Jules Pascin

Hermine au chemisier rouge, 1909, Jules Pascin, collection particulière.

Julius Mordecai Pincas (1885-1930), qui utilisera un anagramme de son nom de naissance, a grandi en Bulgarie. Après avoir fréquenté un temps les expressionnistes allemands (dont l’influence est perceptible dans sa peinture avant 1914), il arrive en 1905 à Paris. Il rencontre Hermine David (1886-1970), femme-peintre comme lui, en 1907 et elle devient sa compagne… En 1914, comme il est natif de Bulgarie, nation alliée de l’Allemagne, il doit partir de France et il rejoint Brooklyn. Hermine le rejoint l’année suivante. Ils prendront la nationalité américaine et se marieront en 1918 avant de rentrer en France en 1920.

Jules Pascin était un « très bon peintre et il était ivre, constamment, délibérément ivre, et à bon escient. » nous dit Ernest Hemingway dans Paris est une fête. Son érotisme était débridé dans la vie comme dans sa peinture. Marié avec Hermine, il eut aussi avant la guerre une aventure avec Lucy Krohg. Elle aussi s’est mariée pendant la guerre mais les amants se retrouvent en 1920 et leur liaison durera cette fois jusqu’au suicide de Jules en 1930. Hermine et Lucy se connaissaient, posaient même parfois ensemble pour le peintre. Nous avons choisi ici un tableau très sage, l’œuvre de Pascin faisant la part belle au beau sexe qui l’obsédait. « Pourquoi, disait-il, une femme est-elle considérée comme moins obscène de dos que de face, pourquoi une paire de seins, un nombril, un pubis sont-ils de nos jours encore considérés comme impudiques, d’où vient cette censure, cette hypocrisie ? De la religion ? ». Certains parlent du peintre aux 365 modèles.

Dans ce tableau de 1909, on sent encore très nettement l’influence de l’expressionnisme allemand (Macke ou Kirchner par exemple).

Hermine ne s’est pas remariée après la mort de son mari. Elle lui a survécu jusqu’en 1970 et a continué à peindre et à illustrer des livres jusqu’à sa mort. Le fils de Lucy, Guy Krohg sera l’héritier d’Hermine.

03/11/2015

Dim : 154,9 x 115,6 cm Photo courtesy The Athenaeum, Usr rocsdad

Chrysanthèmes (Le Panier renversé), Berthe Morisot

2 novembre, fête des morts, symbolisée par tous ces chrysanthèmes dans les cimetières.

Chrysanthèmes, Berthe Morisot

Chrysanthèmes (Le Panier renversé), 1885, Berthe Morisot, collection particulière.

Berthe Morisot est heureuse en 1885. Elle vient de faire construire avec son mari Eugène Manet l’hôtel particulier de la rue de Villejust. Berthe s’est occupée de la décoration. Elle met elle-même la main à la pâte (ou plutôt à la palette) dans les pièces de réception et réalise plusieurs tableaux tels que Vénus dans la forge de Vulcain, une copie d’après Boucher, L’Oie, une grande toile verticale, un Panier de jonquilles et notre Panier renversé.

C’est là que les Manet vont recevoir, dans ces années heureuses, leurs amis Renoir, Mallarmé, Degas, Claude Monet, Caillebotte, Théodore Duret, Puvis de Chavannes, James Abbott Whistler. Mallarmé racontera en 1896 qu’il étaient « hôtes du haut » dans ce salon du soir qui était aussi dans « la matinée, atelier très discret, dont les lambris Empire encastrèrent des toiles d’Édouard Manet », le frère et beau-frère décédé deux ans plus tôt.

L’ami Mallarmé toujours, dans des quatrains parus en 1894 sous le titre Les Loisirs de la Poste, eut l’idée de retranscrire en vers l’adresse de ses correspondants et amis sur les enveloppes. Ainsi, il écrivait sur l’enveloppe, pour envoyer ses lettres à Berthe Morisot :

« Apporte ce livre, quand naît
Sur le Bois l’Aurore amaranthe,
Chez Madame Eugène Manet
Rue au loin Villejust, 40. »

Une des si nombreuses belles histoires à retrouver dans la monographie de Berthe Morisot, enrichie par VisiMuZ.

02/11/2015

Dim 46 x 55,6 cm
Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Le Pont Louis-Philippe, J.B. Armand Guillaumin

Le Pont Louis-Philippe, Armand Guillaumin

Le Pont Louis-Philippe, 1875, Jean-Baptiste-Armand Guillaumin, National Gallery of Art, Washington.

J.B. Armand Guillaumin (1841-1927) ou l’impressionniste oublié. Il a rencontré Renoir, Pissarro, Monet, Cézanne lors de sa formation à l’académie Suisse en 1861. Il a fait partie de l’aventure dès le salon des refusés de 1863, il exposera avec ses amis lors des expositions impressionnistes de 1874 (1ère) ou 1877 (3e). Il a travaillé souvent avec Cézanne en 1873 à Auvers. À sa mort en 1927 à 86 ans, il était le dernier survivant du groupe. Le musée d’Orsay possède plus de 45 œuvres de l’artiste : il en a mis 28 en dépôt dans les musées de province et, hier, exposait une seule œuvre à Paris. Le même désamour existe dans d’autres musées qui ont relégué ses œuvres dans les réserves.

Quels ont été ses torts ? Le premier est sans doute d’avoir été infidèle à ses premières amours, et avec moins de succès. Il anticipe les Fauves dès 1895, puis se répète à partir de 1900 avec des paysages nombreux de Crozant (Creuse) et du massif de l’Estérel. Le second est peut-être d’avoir gagné un lot important à la Loterie Nationale, qui le rendit indépendant financièrement en 1892. Notre tableau a été acquis par le grand collectionneur Chester Dale en 1927. Dale légua l’intégralité de ses 240 peintures à la National Gallery of Art, Washington à sa mort en 1962.

Dans ce tableau, Guillaumin montre le début de l’évolution qui le conduira vers le Fauvisme. Les teintes sont plus contrastées et les couleurs plus puissantes. Guillaumin, encore plus que Monet ou Sisley, a toujours été attiré par l’eau et celle-ci apparaît dans la plupart de ses toiles.

Le pont Louis-Philippe se situe entre la rive droite et l’île Saint-Louis. Construit une première fois en 1834, il a été reconstruit en pierre en 1862. Au premier plan se trouve un bateau-lavoir. Paris compte à cette époque plus de 100 bains publics, presque tous sur la rive droite (plus ensoleillée), et le métier de laveuse permettait aux toutes jeunes filles (dans le roman de Zola, L’Assommoir, Gervaise dit avoir commencé à 10 ans) comme aux vieilles femmes d’aider à la subsistance de leur famille.

31/10/2015

Dim 45,8 x 60,5 cm
Photo Courtesy National Gallery of Art, Washington

Église à Domburg, Piet Mondrian

Église à Domburg, Piet Mondrian

Église à Domburg, 1910-11, Piet Mondrian, Musée municipal, La Haye.

Piet Mondrian (1872-1944) n’est pas arrivé d’un seul coup à l’abstraction. Paysagiste et nature-mortier, puis fauve (1907-1911) après sa rencontre avec Van Dongen, symboliste (1909-1911) cubiste (1912-1914) après son arrivée à Paris, et enfin plasticien rigoriste qui ne tracera plus de courbes.

Le tableau du jour donne la primeur à la couleur, dans un paysage très éloigné du réalisme ou des cathédrales impressionnistes de Monet. À propos de ce tableau, Mondrian a écrit dans la revue « De Stijl » en 1920 :

Le sujet « est si rapproché de nous que la distance manque pour le voir ou pour le peindre dans le champ d’une perspective normale. De cette distance, il est très difficile de rendre plastiquement la chose vue : il faut avoir cours à un genre d’expression plus libre. J’ai quelquefois essayé, jadis, de peindre les objets d’une distance très courte, justement parce qu’ils paraissent alors plus grandioses. »

D’un point de vue plus philosophique, Mondrian a perdu sa foi chrétienne (calviniste) en 1909 et a adhéré à la Société théosophique, pour laquelle « Il n y a pas de religion supérieure à la vérité. » Cette recherche de la raison pure (Mondrian aurait dû lire Kant) va le conduire peu à peu à une intransigeance extrême qui le verra ne plus utiliser que des horizontales et des verticales dans ses tableaux dix ans plus tard, et se fâcher avec son ami Van Doesburg simplement parce que celui-ci s’autorisait l’emploi de la diagonale !!!!

30/10/2015

Dim 114 x 75 cm
Photo Courtesy wikiart.org

Retour de l’école après l’orage, Chaïm Soutine

Retour de l'école après l'orage, Chaïm Soutine

Retour de l’école après l’orage, ca 1939, Chaïm Soutine, Phillips Collection, Washington (DC)

En 1939, Chaïm Soutine a complètement oublié les années de vaches maigres des années Modigliani. Il est maintenant un notable, fréquente le Tout-Paris, est par exemple l’ami de la décoratrice Madeleine Castaing, ou de l’écrivain Maurice Sachs. Il part en vacances en Bourgogne à Civry près d’Auxerre avec sa compagne Gerda Groth. Mais la guerre est déclarée le 3 septembre et ils ne peuvent plus rentrer à Paris. Ils sont assignés à résidence, lui comme russe, elle comme allemande. Ils vont rester là jusqu’en avril 1940.

C’est là qu’il va peindre une série de toiles sur le thème du Retour de l’école. Le paysage est plein d’une colère froide. Le vent est le maître et balaye les arbres et les herbes du pré. Sur le chemin, les enfants se hâtent fébrilement. La tempête ou l’orage ne sont pas seulement sur le tableau. Ils sont aussi dans la tête et le cœur du peintre. La guerre a réveillé la peur, l‘angoisse, du déraciné du shtetl de Slimovitchi. Préparant un tableau, il a été dénoncé par le curé et arrêté par les gendarmes comme espion de la 5e colonne, avant qu’un télégramme venu du ministère de l’Intérieur n’innocente le « grand peintre Chaïm Soutine ». Les enfants qui posent étaient Alexandre Einsild de la Salle et sa sœur Edmée, dont les parents étaient amis de Soutine. Alexandre a raconté les séances de pose (ICI). Gerda leur donnait des bonbons et du chocolat pour les faire tenir tranquilles.

Selon de nombreux historiens, les enfants ici symboliseraient l’innocence et la fragilité du peintre et de sa compagne, devant les forces telluriques qui se déclenchaient alors et venaient les menacer. Gerda va être déportée au camp de Gurs, et Soutine, obligé de se cacher parce que juif, a vu monter l’angoisse qui le transperça, jusqu’à sa mort d’un ulcère en août 1943.

Duncan Phillips, avec sa grande perspicacité, a acheté ce tableau dès 1940. Il a au demeurant proposé à Soutine de venir aux États-Unis, mais celui-ci a refusé.

29/10/2015

Dim 43,2 x 49,5 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Nana, Édouard Manet

Nana, Édouard Manet

Nana, 1877, Édouard Manet, Kunsthalle Hambourg

Théodore Duret a raconté en détail les combats de Manet avec le jury du Salon. Malgré sa grande renommée, malgré ses efforts pour être agréé, Manet va encore en 1877 être victime d’une cabale. Il présentait au Salon deux portraits : Portrait de M. Faure, dans le rôle d’Hamlet et Nana.

« Nana, d’après le roman d’Émile Zola représentait une jeune femme à sa toilette, en corset et en jupon, à même de se pomponner. Jusque-là il n’offrait rien qui pût effaroucher et c’était un personnage accessoire qui, en lui donnant sa signification, avait amené le jury à l’exclure. Manet avait peint, sur un côté de la toile, contemplant la toilette de la jeune femme, un monsieur en habit noir, assis le chapeau sur la tête. Par ce personnage et le détail du chapeau, la femme était déterminée ; sans qu’on eût besoin d’explications, on voyait qu’on avait affaire à une courtisane. Manet qui voulait peindre la vie sous tous ses aspects, qui cherchait à la rendre la plus vraie possible, avait trouvé moyen, par l’introduction auprès d’une femme d’un personnage masculin d’ailleurs inactif, d’établir un intérieur de courtisane. C’était un des côtés de la vie de plaisir qu’il rendait, mais à l’aide d’un artifice si simple et si tranquille, que l’ensemble n’avait rien d’offensant.

On avait devant soi une œuvre d’art à juger uniquement comme telle et à ceux qui eussent voulu la considérer d’un autre point de vue, on pouvait dire : Honni soit qui mal y pense. Car jamais Manet n’a fait autre chose que de peindre, sans sous-entendu, les scènes conçues franchement, pour exister comme œuvres d’art. Quand on a voulu trouver dans son Déjeuner sur l’herbe, dans son Olympia ou dans sa Nana certaines intentions, ce sont simplement les accusateurs qui tiraient d’eux l’idée malsaine qu’il n’avait jamais eue. Lorsqu’on compare en particulier cette Nana aux nombreuses représentations de Joseph et de Putiphar, de Suzanne et des vieillards, de nymphes et de satyres, peintes par les grands maîtres et placées dans les musées, on reconnaît qu’elle est à côté d’une réserve parfaite. Mais le temps est encore ici un élément essentiel. Après la mort de leurs auteurs, les audaces s’apaisent et se font accepter, tandis que l’exposition tranquille de simples réalités, au moment où elle se produit, paraît offensante. Toujours est-il que le jury du Salon de 1877 se refusait à montrer une courtisane, qu’on eût pu prendre pour une vertu, en comparaison de certaines dames tenues dans les musées. Il est présumable aussi que le jury n’y regardait pas de si près et que Nana lui offrant un prétexte de refus, il s’empressait de le saisir pour bannir, encore une fois, un tableau de Manet. »

On retrouvera tout Manet dans sa biographie par Duret, chez VisiMuZ évidemment, avec 140 tableaux supplémentaires.

Ajoutons que le modèle qui a posé pour ce tableau était Henriette Hauser, une actrice de boulevard et demi-mondaine, surnommée « Citron ». Elle était en effet la maîtresse en titre du prince Guillaume d’Orange, dit aussi « Wiwill », héritier de la couronne des Pays-Bas, qui menait à Paris une vie très agitée et mourut à 38 ans en 1879.

Et parce qu’en peinture tout est en relation avec tout, le roman Nana a été adapté au cinéma dès 1926 par Jean Renoir, avec dans le rôle principal sa femme Catherine Hessling, nom de cinéma d’Andrée ou « Dédée » Heuschling, l’un des derniers modèles – 1915-1919 – de baigneuses de Pierre-Auguste Renoir. Andrée (1900-1979) était une jeune fille que lui avait envoyée Matisse. Ce dernier pensait, à juste titre, que son physique et sa peau « qui ne repoussait pas la lumière » plairaient à Renoir.

28/10/2015

Dim 150 x 116 cm
Photo wikimedia commons Edouard_Manet_037.jpg Usr Eloquence