Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez – Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Opus 236, 1892, Paul Signac, collection particulière.

En 1881, Signac habitait à Asnières. Ce n’est pas loin du Petit-Gennevilliers et, au Cercle de la Voile de Paris, Caillebotte a pris sous son aile ce jeune peintre qui a le goût de la navigation. Signac a acheté alors son premier bateau, une périssoire qu’il baptisa par provocation Manet-Zola-Wagner, trois noms scandaleux à l’époque. Il passe à la voile avec Le Tub, un nom qui est aussi un calembour entre le sujet de la femme à sa toilette, popularisé par Degas, et le bateau qui se remplit à la gite. Le Tub coulera dans la Seine le 14 septembre 1890 sans qu’il y ait de blessés (Félix Fénéon et Maximilien Luce étaient aussi à bord). Mais plus que la Seine, c’est d’abord la mer qui attire Paul ! Il passe les étés de 1885 à 1890 à Saint-Briac. En 1891, il passe commande de l’Olympia, ainsi nommé en hommage à Manet (qui était décédé en 1883), avec lequel il va aller à Concarneau puis rejoindra, sur les conseils d’Henri-Edmond Cross, Saint-Tropez, en passant par le canal du midi, accompagné par l’ami Théo van Rysselberghe.

Après une escale au Lavandou, où Théo débarque, Paul Signac arrive en solitaire à Saint-Tropez en mai 1892. Ce jour-là soufflait un fort vent d’est. Signac est donc arrivé sous voile au vent-arrière, et une fois la jetée passée a affalé rapidement. Tout s’est bien passé et son audace et sa maîtrise lui ont valu l’enthousiasme des pêcheurs présents qui l’ont salué avec leur casquette. Il écrit à sa mère : « Depuis hier je suis installé et je nage dans la joie. À cinq minutes de la ville, perdu dans les pins et les roses, j’ai découvert un joli petit cabanon meublé. Devant les rives dorées du golfe, les flots bleus venant mourir sur une petite plage, ma plage et un bon mouillage pour Olympia. Dans le fond les silhouettes bleues des Maures et de l’Esterel – j’ai là de quoi travailler pendant toute mon existence – c’est le bonheur que je viens de découvrir ». Tombé sous le charme de l’endroit il y achète la villa La Hune, qui appartient toujours à ses descendants. C’est aussi l’occasion d’évoquer une grande dame : Françoise Cachin (1936-2011), première directrice du musée d’Orsay (1986-1994) puis directrice des musées de France (1994-2001), était la petite-fille de Paul Signac.

Jusqu’en 1894, Signac le peintre donnera à chacun de ses tableaux un numéro d’opus ou des titres évoquant la musique (Allegro, Adagio).

27/10/2015

Dim 65,4 x 81,6 cm
Photo wikimedia commons The Port at Sunset. Saint-Tropez. Opus 236. 1892 (масло, холст)..jpg Usr Aesopus

Portrait du danseur Sakharoff, Alexej von Jawlensky

Portrait du danseur Sakharoff – Alexej von Jawlensky

Portrait du danseur Alexander Sakharoff, 1909, Alexej von Jawlensky, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich

Alexandre Sakharoff (1886-1963, Александр Сахаров) était un danseur et chorégraphe russe. Déterminé à devenir danseur après avoir vu à Paris Sarah Bernardt danser le menuet, il suit des cours d’acrobatie et de danse à Munich. Il donnera son premier spectacle de danse à Munich en 1910 (inspiré par les peintures de la Renaissance), puis formera plus tard avec sa femme Clotilde von Derp, un couple de la danse très célèbre dans les années 20, au style marqué par une préciosité affectée. Émigrés en Amérique du Sud pour fuir le nazisme, ils reviendront en Italie en 1952.

Arrivé à Munich, le jeune Sakharoff y côtoie ses compatriotes Jawlensky, Werefkin, Kandinsky. Séduit par l’énergie des membres fondateurs de la NKVM (Nouvelle Association des Artistes Munichois), il adhère au mouvement.

Alexej von Jawlensky (1864-1941) est devenu par la suite en Allemagne dans les années 30 un peintre dit « dégénéré ». Gabriele Münter, la compagne de Kandinsky, que nous avons croisée il y a peu, a conservé et caché de nombreuses toiles de cette période dans sa maison de Murnau, qu’elle a conservée toute sa vie. Elle a légué ce patrimoine inestimable à la Lenbahhaus de Munich à sa mort en 1962. Grâce à elle, tout un pan de l’histoire de la peinture a été sauvé de la destruction nazie.

Marianne von Werefkin, la compagne de Jawlensky, a également réalisé le portrait de Sakharoff, la même année. Deux visions complémentaires par deux artistes complémentaires !

Portrait d'Alexandre Sakharoff – Marianne von Werefkin

Portrait d’Alexandre Sakharoff, 1909, Marianne von Werefkin, Museo Comunale d’Arte Moderna, Ascona, Suisse

26/10/2015

Jawlensky – Dim 69,5 x 66,5 cm photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad
Werefkin – Dim 73,5 x 55 cm photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Scène de plage à Trouville, Eugène Boudin

Scène de plage à Trouville – Eugène Boudin

Scène de plage à Trouville, 1863, Eugène Boudin, National Gallery of Art, Washington (DC)

En 1862, Eugène Boudin avait 38 ans. Il ne vendait rien, désespérait. Il eut même la tentation de se jeter dans les eaux de l’Orne. En février 1863, Boudin se marie et repart bravement à Paris. Mais il est las de réaliser des œuvres sur commande. Deauville vient d’être créée au terminus de la ligne de chemin de fer et le peintre imagine de nouveaux débouchés pour sa peinture en regardant les élégantes qui viennent se montrer sur le front de mer. En avril, il a envoyé des tableaux de marines au Salon. En septembre, il revient à Trouville pendant que Courbet est à Deauville, et que Monet et Jongkind sont à Honfleur.

Si Boudin, le « roi des ciels » (dixit Corot au peintre), est plus, vis-à-vis de la mer, le peintre des ports, des bateaux de pêche et de commerce, il ne peut empêcher quelques yachts de se glisser en arrière-plan de ses scènes de plage, comme dans celle-ci, où les bourgeois et aristocrates parisiens sont spectateurs de ce qui semble bien être le déroulement d’une régate.

La Société des Régates du Havre avait été créée en 1838. Elle a été le tout premier club nautique en France. La première régate en 1839 a vu s’affronter des embarcations à rame. Dès l’année suivante, les régates sont organisées pour les voiliers. À Trouville il faudra attendre 1878 pour voir la création d’un club de voile, les voiliers de l’arrière-plan viennent donc sûrement du Havre. Les gréements sont équipés de voiles auriques, le flèche (voile de tête de mât) n’a pas été établi sur celui le plus proche de la plage.

Demain au Havre, c’est le départ de la « Transat Jacques Vabre » vers le Brésil. Les voiliers ont changé, l’esprit est resté. Quels sont les peintres (et aussi maintenant photographes) qui, comme l’ont fait dans le passé Paul Signac, Maxime Maufra, Mathurin Méheut, Marin Marie, Albert Brenet, Albert Marquet, vont demain immortaliser le départ en tant que P.O.M. (peintres officiels de la marine) ?

Dim : 34,8 x 57,5 cm
Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)

Rue à Murnau, Vassily Kandinsky

Rue à Murnau, Vassily Kandinsky

Rue à Murnau (Maisons), 1908, Vassily Kandinsky, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich

Vassily Kandinsky (1866-1944) eut une vie artistique importante dès avant « Le Cavalier bleu » (Der Blaue Reiter) de 1911 et l’abstraction un peu plus tard. En 1908, il a 42 ans. Il vit depuis 1896 en Allemagne, à Munich. Il donne des cours de peinture auxquels s’est inscrite en 1901 une jeune peintre, Gabriele Münter (1877-1962). Elle devient la compagne de Vassily à l’été 1902 lors de cours d’été que le peintre organise à Murnau, petit village de Bavière, à 25 km de Garmish-Partenkirchen et 70 km de Munich. Vassily et Gabriele vivront ensuite ensemble jusqu’en 1914. Entre deux voyages à travers le monde, ils viennent se reposer dans leur maison de Murnau. Les débats sur la peinture sont animés, d’autant que se sont joints à eux deux autres peintres russes, Alexej von Jawlensky et Marianne von Verefkin. Leur maison est tout naturellement devenue la « maison des Russes ».

Kandinsky était synesthète. La synesthésie est l’association de deux ou plusieurs sens. Pour Kandinsky cela signifiait qu’il associait dans son esprit systématiquement (ou plutôt qu’il voyait mentalement) une couleur pour chaque son, une particularité rare mais bien connue en neurologie. La sysnesthésie toucherait 4% de la population. Il est vraisemblable que cette particularité a joué un rôle important dans sa relation à la couleur, indépendante de l’objet, et débouchera sur l’abstraction.

Notre tableau du jour se situe à une période charnière, peu avant la formation en 1909 de la Nouvelle Association des Artistes Munichois (NKVM), avec Münter, Jawlensky et Werefkin, dans laquelle ils seront rejoints par August Macke et Franz Marc pour ce qui deviendra Der Blaue Reiter.

La rue ou la route qui disparaît est un grand classique de l’art depuis les hollandais au XVIIe, et les impressionnistes (en particulier Monet, Sisley, Guillaumin et surtout Cézanne à Auvers). Comme chez les impressionnistes, la rue est ici vide de toute activité humaine.

23/10/2015

Dim 32,8 x 40,7 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port–en-Bessin, le pont et les quais, 1888, Georges Seurat, Minneapolis Institute of Arts (MN)

Georges Seurat (1859-1891) a commencé à peindre des marines en 1885 à Grandcamp (Calvados). En 1886 il passe l’été à Honfleur. En 1887, il veut absolument finir son grand tableau de l’année (Les Poseuses, fondation Barnes, Philadelphie) et reste à Paris. L’année suivante il part pour Port-en-Bessin, après l’exposition d’Amsterdam, qui avait été organisée par Théo van Gogh. Paul Signac avait séjourné là en 1882 et lui avait recommandé le site, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Grandcamp.

Les marines constituent une partie importante de l’œuvre de Seurat. Comme il est mort à 31 ans, et que sa technique « de peinture au petit point » (comme disait Renoir) lui demandait beaucoup plus de temps, son catalogue raisonné comprend moins de 220 numéros. Ses recherches scientifiques, sa rigueur et son intransigeance en font un peintre difficile d’accès, auquel on reproche une trop grande froideur. Son caractère était très réservé, sa parole ne s’animait que pour défendre ses théories, et même son ami Signac évoquera plus tard un « aspect mécanique » dû à une couleur « trop divisée » et une « touche trop petite » (Journal, décembre 1897).

Mais que serait devenue sa peinture s’il avait pu éviter de mourir 3 ans plus tard ? Notre tableau du jour est particulièrement intéressant et montre une évolution puisqu’il s’agit du premier paysage maritime dans lequel l’artiste a introduit des personnages. Mais ils n’habitent pas le décor, ils sont là comme des fantômes. Beaucoup ont vu là les prémisses d’un Giorgio de Chirico avec ses places désertes ou d’un Paul Delvaux avec ses femmes désincarnées. Un paysage très construit, très architecturé, aux multiples points de vue, qui le rendent plein de poésie. Alors Seurat est-il un précurseur du surréalisme ? L’a-t-il vu venir ?

Seurat allait l’été au bord de la mer pour « se laver l’œil des jours d’atelier » selon ses confidences à son ami Émile Verhaeren.

22/10/2015

Dim 67 x 84,4 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Olympia, Paul Gauguin

Olympia, Paul Gauguin

Olympia, hst, 89 x 130 cm, Paul Gauguin, collection particulière, Oslo

Gauguin ? Oui. On sait que Manet (1832-1883) eut beaucoup d’influence sur ses cadets, que son Olympia devint un des symboles d’une nouvelle ère pour la peinture. On sait toutefois moins que Paul Gauguin (1848-1903) lui vouait une admiration sans bornes. Avant de devenir peintre, Gauguin était agent de change et était financièrement aisé. Il posséda alors deux tableaux de Manet. Mais c’est plus que de l’admiration qu’il voue à Olympia, c’est de l’amour. Ainsi en 1890, Henry Bidou, décrit la chambre de Gauguin au Pouldu : « La chambre de Gauguin était ornée de l’Olympia de Manet, du Triomphe de Vénus de Botticelli, de l’Annonciation de Fra Angelico, d’estampes d’Antamaro et de décorations de Puvis de Chavannes. »

Gauguin est parti à Tahiti le 4 avril 1891. Quelques semaines plus tard, une tahitienne s’enhardit et entre dans sa case. Gauguin décrit ainsi la scène :

« Pour m’initier au caractère si particulier d’un visage tahitien, je désirais depuis longtemps faire le portrait d’une de mes voisines, une jeune femme de pure extraction tahitienne.

Un jour, elle s’enhardit jusqu’à venir voir dans ma case des photographies de tableaux, dont j’avais tapissé un des murs de ma chambre. Elle regarda longuement, avec un intérêt tout spécial, l’Olympia.

— Qu’en penses-tu ? lui dis-je. (J’avais appris quelques mots de tahitien, depuis deux mois que je ne parlais plus le français). Ma voisine me répondit :

— Elle est très belle.

Je souris à cette réflexion et j’en fus ému. Avait-elle donc le sens du beau ? Mais que diraient d’elle les professeurs de l’école des Beaux-Arts !

Elle ajouta tout à coup, après ce silence sensible qui préside à la déduction des pensées :

— C’est ta femme ?

— Oui.

Je fis ce mensonge ! Moi, le tané[*] de la belle Olympia ! »

Le tableau du jour date du premier trimestre de 1891. Grâce à Monet, une souscription (19 415 francs collectés et versés à Suzanne Manet) et l’acceptation de l’État avaient permis que l’Olympia rentre au musée du Luxembourg en décembre 1890. Gauguin s’y est rendu pour la copier, pour essayer de comprendre ce qu’il y avait dans la tête de cet aîné qu’il admire tant. Il la copie d’abord sur place et termine la toile dans son atelier. Il y met assez de fidélité, malgré un tempérament si différent de celui de Manet, y compris avec le petit chat noir qui avait tellement scandalisé en 1865. Quand il s’embarque en avril pour Tahiti, il emporte la photo qu’il avait dans sa chambre du Pouldu.

Toute l’histoire est à retrouver avec tous les aspects de la vie de l’artiste dans la monographie écrite par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ !

[*] tané : à Tahiti, le mâle, le mari, l’amant.

21/10/2015

Photo wikimedia commons Gauguin_Olympia.jpg Usr Vriullop.

Les Filles sur le pont, Edvard Munch

Les Filles sur le pont, Edvard Munch

Les Filles sur le pont, 1902, Edvard Munch, musée Pouchkine, Moscou.

Edvard Munch (1863-1944) n’est pas que le peintre du Cri. Que ressentez-vous devant ce tableau ? Les résultats peuvent être très différents selon les personnes. La scène est peinte à Aasgaardstrand, une petite station de villégiature dans le fjord d’Oslo, au cœur de l’été, une saison très courte en Norvège.

Trois jeunes filles sont accoudées à la balustrade de la jetée du ferry. L’une d’entre elles porte un chapeau de paille. Les éléments sont réunis pour un tableau paisible.

Mais… la composition et la palette donnent d’autres interprétations. Les arbres sont très foncés, l’eau est sombre et le reflet de l’arbre, d’un noir violacé, évoque la nuit. La jetée est rose, la balustrade striée de rayures orange et bleues, la diagonale sort du cadre, le ciel est turquoise avec une lune très basse. Les jeunes filles qui pourraient danser sur le pont sont au contraire très rapprochées, comme si, apeurées, elles voulaient se protéger en se serrant les unes contre les autres. Munch est un des pionniers de l’expressionnisme, de la projection sur la toile de ses états d’âme. Il est ici dans sa résidence d’été et il traitera ce thème des filles sur le pont pas moins de 12 fois en presque 10 ans, avant de continuer en le déclinant sous forme d’estampes, de xylographies, de lithographies, de zincographies. Les jeunes filles sont tantôt trois, tantôt quatre, de dos ou de face.

Plusieurs grands collectionneurs du début du siècle ont voulu avoir leur version de cette composition propice à la méditation et l’artiste a réalisé par exemple des versions pour Max Linde à Lübeck, Ivan Morozov à Moscou (le tableau du jour), Rasmus Meyer à Bergen ou encore Eberhard Grisebach à Iena.

Lors de la décennie 1900-1910, Munch est un artiste à la fois célèbre et controversé. Il a participé à la Sécession de Berlin en 1902, après une première exposition à scandale en 1892. Mais sa vie personnelle est plus sombre. Il est blessé à la main d’un coup de revolver en 1902 et rompt avec sa compagne Tulla Larsen, il est soigné pour alcoolisme en 1905 puis passe huit mois en clinique pour dépression en 1908.

L’eau dans laquelle se reflète le grand arbre est-elle un miroir de son âme ? On remarquera sur les deux versions qui suivent les différences de couleurs liées à l’humeur de l’artiste.

Jeunes filles sur le pont, 1901, Edvard Munch


Jeunes filles sur le pont, 1901, Edvard Munch, Kunsthalle, Hamburg

Quatre filles sur le pont, Edvard Munch, Cologne


Quatre filles sur le pont, 1905, Edvard Munch, Wallraf-Richartz Museum, Cologne

20/10/2015

Crédits et dimensions.
photo Moscou Courtesy The Athenaeum, rocsdad, dim 83 x 73 cm
photo Hambourg Courtesy The Athenaeum, Irene, dim 84 x 129,5 cm
photo Cologne Wikimedia commons Four_girls_on_the_bridge.jpg Usr Pimbrils, dim 126 x 126 cm

Papillons, Odilon Redon

Papillons – Odilon Redon

Papillons, ca 1910, Odilon Redon, Museum of Modern Art, New York.

Odilon Redon (1840-1916), peintre des rêves et de l’âme, de l’éther et du spleen. Jusqu’aux années 1890, sa peinture utilise beaucoup le noir, le gris, dans des dessins et lithographies. Les fans de BD pourront faire un parallèle entre les dessins de Redon et les « Idées Noires » de Franquin. Puis Redon s’éveille à la couleur, qui ne le quittera plus. Il est un des fondateurs du symbolisme, qui considérait l’art comme un moyen de passage entre les aspects extérieurs de la nature et une réalité plus complexe et enfouie au sein de chacun. Contemporain des débuts de la psychanalyse (1895-1905), Redon est aussi un précurseur du surréalisme. Ses papillons renvoient à ses « yeux ouverts sur les merveilles du monde visible ». Surgissent-ils de la mer ? Sont-ils là pour fertiliser la terre, cette côte rocheuse encore aride ? Se métamorphosent-ils en fleurs comme le suggère la corolle jaune ?

Redon considérait les impressionnistes (qui sont pourtant de la même génération, Renoir et Monet par exemple ont exactement son âge) comme des peintres trop « superficiels ». Ici, au-delà du paysage, Redon nous donne sa vision de la Genèse. Poésie et exubérance plastique sont ici en harmonie.

19/10/2015

Photo wikimedia commons Odilon_Redon_-_Butterflies_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot

Le Pont japonais, Claude Monet

Le Pont japonais, Claude Monet

Le Pont japonais et la mare aux nénuphars, Giverny, 1899, Claude Monet, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

Si la maison de Giverny est très connue des Français, si les papiers peints, la déco, le jardin, et même le service de table font l’objet de déclinaisons répétées, beaucoup d’entre nous ont oublié la genèse de ce domaine magique. Aujourd’hui, nous ne dirons rien et laisserons Gustave Geffroy, le premier biographe de Monet et son ami proche, nous raconter Giverny. Nous avons aussi l’honneur de publier G.Geffroy chez VisiMuZ.

« C’est à Giverny qu’il faut avoir vu Claude Monet pour le connaître, pour savoir son caractère, son goût d’existence, sa nature intime…/… Celui qui a conçu et agencé ce petit univers familier et magnifique n’est pas seulement un grand artiste dans la création de ses tableaux, il l’est aussi dans le décor d’existence qu’il a su installer pour s’y plaire à l’abri de toutes les tentations du luxe, car le luxe, il l’a, …en correspondance parfaite avec son esprit et sa philosophie de la vie. Cette maison et ce jardin, c’est aussi une œuvre, et Monet a mis toute sa vie à la créer et à la parfaire.

…/… Ce n’est pas toute la richesse florale du domaine. Pour la connaître tout entière, il faut traverser le chemin, grimper au talus du chemin de fer de Vernon à Pacy-sur-Eure, traverser la voie, et pénétrer dans un second jardin qui est le Jardin d’Eau. Autrefois, la petite rivière de l’Epte passait là, sous une voûte de feuillage, et Monet prenait plaisir à y promener ses hôtes en barque jusqu’à la Seine. La rivière passe toujours, mais avec un arrêt. Monet a obtenu du Conseil municipal de Giverny la permission de détourner la rivière, de créer des bassins, et le Conseil municipal a été bien inspiré, car cette création fut la cause d’une éclosion de chefs-d’œuvre. Le cours d’eau détourné dans les bassins creusés, Monet dessina le jardin et les plantations. Les saules déployèrent leurs vertes chevelures, les bois de bambous s’élancèrent du sol, et les massifs de rhododendrons bordèrent les sentiers. Monet ensemença les bassins de nymphéas, dont les libres racines flottèrent entre les eaux sur lesquelles s’étalèrent les larges feuilles et jaillirent les fleurs blanches et roses, mauves et verdâtres. Du haut d’un pont garni de glycines, qui se trouve être de style japonais, Monet vient juger le tableau qu’il a créé. »

Giverny n’est pas loin de Paris, mais pour voir notre tableau du jour, il faut aller à Philadelphie.

Dim 89,2 x 93,3 cm

17/10/2015

Photo Claude_Monet,_French_-_The_Japanese_Footbridge_and_the_Water_Lily_Pool,_Giverny_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot

Dans la loge, Mary Cassatt

Mary Cassatt –

Dans la loge (Jeune femme au collier de perles dans la loge), 1879, Mary Cassatt, Philadelphia Museum of Art.

Qu’il est parfois difficile de cerner la personnalité de Miss Cassatt (1844-1926) ! Américaine francophile, elle a passé l’essentiel de sa vie en France. Que doit-on retenir ? L’amie, féministe avant l’heure, qui aimait défier Degas sur la technique du dessin ? La courtière et conseillère de la famille Havemeyer qui leur permit de constituer une des plus belles collections possibles d’art français ? La voisine et amie de la tribu Pissarro, qui vivait seule avec sa gouvernante et son personnel de maison en son château du Mesnil-Théribus ?

Le tableau du jour a été présenté à la 4e exposition impressionniste en 1879. Le théâtre parisien était un sujet de choix à l’époque et tous les peintres célèbres aujourd’hui ont représenté loges, corbeilles ou promenoirs. Ce n’est que plus tard, vers 45 ans, que Miss Cassatt, qui n’a pas eu d’enfant, se consacrera surtout aux toiles de mères et enfants. En 1879, il faut chercher ses influences du côté de Manet, de Courbet, de Degas et de Renoir, mais avec une palette plus claire, déjà influencée par le japonisme mis à la mode dans la décennie grâce au voyage de Théodore Duret et Henri Cernuschi au Japon en 1871-72 (voir par exemple ici l’éventail). Alors qu’avant 1874 Mary Cassatt n’a cessé de voyager (elle a fait de nombreux allers-retours entre les États-Unis et la France, a visité les musées d’Espagne et d’Italie), elle a trouvé son port d’attache en 1874 et ne quitte plus Paris et ses environs jusqu’en 1897.

Sa sœur Lydia est très probablement le modèle du tableau du jour. Lydia mourra peu après en 1882. Du point de vue de la composition, on remarque la vue des balcons de l’opéra de Paris au travers du miroir dans le dos de la jeune femme.

Degas disait d’elle : «  Je n’admets pas qu’une femme dessine aussi bien ». Il lui fallut pourtant l’admettre et elle nous le prouve ici encore. Edgar avait transmis à Mary son goût pour le défi de mettre en valeur les teintes de la peau des personnes peintes, lorsqu’elles sont soumises à une lumière artificielle. La lumière électrique est apparue à l’Opéra de Paris en 1875 mais il a d’abord été réservé à la scène. L’éclairage de l’Opéra sera tout électrique à partir de 1881.

Les liens de Cassatt et Degas méritent qu’on s’y attarde, en particulier dans les années autour de 1880. Retrouvez les dans la biographie de Miss Cassatt, chez VisiMuZ !

16/10/2015

Dim 81,3 x 59,7 cm
Photo wikimedia commons Mary_Stevenson_Cassatt,_American_-_Woman_with_a_Pearl_Necklace_in_a_Loge_-_Google_Art_Project Usr DcoetzeeBot

Le Chant de Mary Blane, Franck Buchser

15102015_Frank_Buchser_The_Song_of_Mary_Blane_1870

Le Chant de Mary Blane, 1870, 103,5 x 154 cm, Franck Buchser, Kunstmuseum Soleure, Suisse.

Nous avons évoqué il y a quelques jours le réalisme de Winslow Homer. Mais à la même époque, il a eu un frère de peinture, non aux États-Unis mais curieusement en Suisse. Franck Buchser (1828-1890) est né et a vécu à Feldbrunnen, commune près de Soleure, entre Berne et Bâle. Entre mai 1866 et 1884, il entreprend de fréquents voyages aux États-Unis, ce qui signifie qu’il est arrivé là-bas juste à la fin de la guerre civile (ou de Sécession). On est très loin des querelles du Salon à Paris, mais les Européens avaient eu connaissance des problèmes soulevés par cette guerre. La Case de l’oncle Tom en particulier a fait beaucoup pour la sensibilisation de l’Ancien Monde.

Buchser a accompagné en 1867 le général Sherman dans la conquête de l’Ouest et la guerre contre les tribus Sioux, Cheyennes, Arapahoes et Kiowas.. Au retour de son périple, il travaille dans son atelier de Washington et exposera ensuite ses œuvres à New York. Le peintre aime montrer les minorités dont la situation est en train de changer. En Amérique, il peint souvent les noirs. De ses voyages au Maroc bien plus tard il rapportera aussi de très beaux portraits de bédouins ou d’esclaves maures. Mais plutôt que chez les peintres orientalistes, il puise chez Courbet un réalisme puissant.

Mary Blane est d’abord un chant populaire des esclaves noirs avant la guerre. Plusieurs versions existent au thème identique. Un homme chante son amour pour Mary Blane. Celle-ci est enlevée, l’homme va la délivrer de ses kidnappeurs et il y a parfois un happy end ou dans d’autres versions la mort de Mary. Ici l’artiste réussit à nous immerger dans cette lumière crue des États du sud. À cette époque, traiter ce type de sujet était à la fois rare et courageux. N’oublions pas qu’il avait été mis fin à l’esclavage seulement 5 ans avant, le 18 décembre 1865. Qui pouvait s’intéresser à un groupe de jeunes noirs réunis autour d’un joueur de banjo, en train de manger pastèque et maïs, tandis que des cochons sauvages errent et que de magnifiques chevaux paissent à l’arrière-plan ? À notre connaissance, seuls Homer et Buchser ont eu cette envie et ce courage. Franck Buchser est un peu un Courbet sous testostérone, qui ne vit pas l’aventure entre Paris, Ornans et La-Tour-de-Peilx mais sur trois continents.

Buchser est méconnu (à tort) hors de Suisse. Une exposition réunissant les grands peintres suisses a eu lieu à Berne et Martigny en 2014-2015 et a permis de voir nombre de ses toiles.

En complément, nous vous proposons de contempler aussi un tableau de Homer, Habillement pour le carnaval, peint 7 ans plus tard, en 1877.

Winslow Homer – Le Carnaval

Habillement pour le carnaval, 1877, hst, 50,8 x 76,2 cm, Winslow Homer, Metropolitan Museum of Art, New York


Une confrontation intéressante entre deux grands peintres.

15/10/2015

Buchser photo wikimedia commons Frank_Buchser_The_Song_of_Mary_Blane_1870 Usr Parpan05
Homer photo VisiMuZ

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, Paul Cézanne

Le Pigeonnier à Bellevue, 1889-90, Paul Cézanne, Cleveland Museum of Art (OH)

On sait que Paul Cézanne a partagé sa vie d’adulte pour un peu plus de moitié en Île-de-France et l’autre partie à Aix. Dans le Sud, certains motifs sont particulièrement connus  : L’Estaque, la Sainte-Victoire, Château-Noir, le Jas-de-Bouffan. Il a consacré également 8 toiles à Bellevue.

Bellevue, c’est le nom d’une bastide, construite au XVIIIe siècle, sur la colline de Valcros, près d’Aix-en-Provence. La sœur cadette de Paul, Rose, habitait avec son mari Maxime Conil, la bastide voisine de Montbriant. Et, à la mort de Louis-Auguste Cézanne, Rose a acheté Bellevue pour 38 000 francs avec sa part de l’héritage.

En 1889, la famille Renoir est venue passer l’été et l’automne à Bellevue. Renoir a loué le domaine à Rose et Maxime Conil. Les 2 amis se retrouvèrent alors. Cézanne et Renoir ont peint pendant toute cette période ensemble « sur le motif ».

Une autre version du Pigeonnier à Bellevue, peinte par Renoir se trouve à la fondation Barnes (à Philadelphie). Bellevue a connu une existence tourmentée. Squattée dix ans durant, très abimée, la maison forte a été rachetée en 1995 et entièrement restaurée. Bellevue fait maintenant partie des sites remarquables autour d’Aix, protégés parce que « cézanniens ».

L’année suivante, Paul commencera ses fameuses séries de portraits  :L’Homme à la pipe, Le Fumeur et les célébrissimes Joueurs de cartes.

Tous ces tableaux sont à retrouver (avec 220 autres) dans la biographie de Cézanne, chez VisiMuZ.

14/10/2015

Dim 64 x 80 cm
Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_041.jpg Usr Eloquence