Mlle Caroline Rivière, J.A. Dominique Ingres

13102015_Ingres_Rivière

Portrait de Mlle Caroline Rivière, 1805, Jean-Auguste Dominique Ingres, musée du Louvre, Paris.

Philibert Rivière, un conseiller d’état, commanda à Ingres les portraits de sa famille, en 1804-05. L’artiste a ainsi réalisé trois tableaux représentant respectivement le père, la mère et Caroline, leur fille. Ingres avait à l’époque 25 ans. Il s’agit donc d’une œuvre de jeunesse (elle porte le n° 24 au catalogue raisonné de Wildenstein), avant son départ pour Rome en 1806. Les trois toiles furent exposées au Salon de 1806, et notre tableau du jour ne recueillit que des appréciations négatives. Il était soi-disant « gothique », et le critique Lapauze parlait pour Caroline « d’une figure au type de brebis ». Last but not least, certains jugeaient la tête disproportionnée et le portrait y gagna le surnom de « bilboquet ». Ingres fut très sensible à ces critiques, et bien qu’il perdit ces portraits de vue, il en parla souvent, avec nostalgie. C’est un des rares portraits du peintre qui mixe intérieur et extérieur, comme un hommage à la Renaissance italienne.

Trois ans après la mort de l’artiste en 1867, les tableaux réapparurent quand madame Robillard, une descendante des Rivière, les légua au musée du Luxembourg d’où ils passèrent en 1874 au musée du Louvre.

Ce portrait a depuis une trentaine d’années beaucoup de succès auprès des visiteurs. Caroline Rivière de l’Isle était née en 1793 et mourut quelque temps après en 1807 (sa tombe se trouve au cimetière du Père-Lachaise). Ses longs gants jaunes trop grands, son boa en duvet de cygne, le rendent délicieusement suranné. Ainsi, Lady Gaga a posé en 2013 pour l’artiste Robert Wilson, recréant le portrait de Caroline Rivière en vidéo (ici)

13/10/2015

Dim 100 x 70 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Automne, Winslow Homer

12102015 Winslow Homer – Automne

Automne, 1877, 97,1 x 58,9 cm, Winslow Homer, National Gallery of Art, Washington (DC).

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer Winslow Homer (1836-1910), ce grand peintre de Boston, qui a suivi le front de la guerre civile entre 1862 et 1865, puis vint passer un an à peindre en France en 1867. À partir des années 1870, sa manière s’affirme. Réaliste, proche par certains côtés de Courbet et Manet, il puise ses sujets dans la vie quotidienne et dans les bords de mer.

Automne fait partie d’une série de tableaux comme Rab et les jeunes filles (The Parthenon, Nashville) ou encore Le Ramassage des feuilles d’automne (Cooper Hewitt Museum, New York) dans laquelle les feuilles d’érable flamboyantes en cette mi-octobre jouent un rôle déterminant.

La même année, James Tissot (1836-1902), son exact contemporain, a peint un tableau montrant une jeune femme élégante en noir sur un fond de feuilles oranges (Octobre, 216 x 108,7 cm, musée des Beaux-Arts de Montréal).

James Tissot - Octobre

Comme souvent pour les tableaux de cette période, c’est Kathleen Newton, la compagne de James, qui campe cette jolie jeune femme qui dévoile sa cheville.

Comment les deux hommes ont-ils pu, l’un à Londres, l’autre à New York avoir une même idée la même année ? Se connaissaient-ils ? Certainement. Correspondaient-ils ? Nous n’en savons rien.

Homer n’avait pas coupé tous les liens avec l’Europe. Il enverra de nombreuses toiles à l’Exposition universelle de Paris en 1878, puis vivra 2 ans en Angleterre, où se trouvait alors encore Tissot, au début des années 1880.

12/10/2015

Photo Homer Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)
Photo Tissot Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Nature morte aux poivrons rouges, Félix Vallotton

Nature morte aux poivrons rouges – Félix Vallotton

Nature morte aux poivrons rouges sur une table laquée blanc, 1915, Félix Vallotton, Kunstmuseum Soleure.

Vallotton a abordé le thème de la nature morte essentiellement dans les dix dernières années de sa vie. Quand Charles Fegdal, son biographe, cite l’artiste à propos de sa conception des natures-mortes, c’est tout un pan des questions théoriques qui se posaient chez les peintres au début du XXe qu’il nous dévoile :

En 1919, il en a déjà aligné un certain nombre à son mur d’atelier, il en a fait « par duperie », disait-il ; puis voici qu’il réfléchit et qu’il peut, après le travail, s’expliquer : « … L’objet m’intéresse avant tout ; il me semble que ce retour sera salutaire et d’un antidote certain à tant d’erreurs dont on souffre dans l’art d’à présent. Sous prétexte de réagir contre l’abus de l’imitation directe, l’impressionnisme nous a jetés dans une imitation plus photographique que ce contre quoi il luttait. En représentant l’apparence des choses, en cherchant, même par une facture appropriée, à en réduire le mécanisme, il est plus plat d’imitation, plus bête que lorsqu’il s’agissait de restituer l’objet lui-même dans son poids, dans ses volumes, dans son style enfin, au lieu que dans une apparence atmosphérique seulement. »

Entre 1919 et 1925, Vallotton va réaliser de nombreuses natures mortes, et ce sont celles-ci qu’il va envoyer chaque année au Salon d’automne. Notre tableau du jour est un défi pour le dessinateur et le coloriste. Rien de moins géométrique que la forme d’un poivron, rien de plus puissant que ses couleurs franches, avec des transitions subtiles. Mais cette nature est doublement morte. On sait que Vallotton a été très marqué par l’entrée dans la guerre, qu’il a voulu s’engager (mais il avait 49 ans et a été refusé). Le couteau est là pour nous rappeler cette boucherie, sur ce fond de laque d’un blanc clinique, où les poivrons sanguinolents sont les morts et blessés d’Ypres, de Champagne ou d’Artois.

Une nature morte peut souvent nous raconter une histoire, même 3 siècles après celles des Hollandais. Vallotton est un peintre intelligent et cultivé, qui aime faire réfléchir et provoquer les spectateurs.

Tout Vallotton est à retrouver dans sa biographie, chez VisiMuZ.

10/10/2015

Dim : 46 x 55 cm
Photo Courtesy wikiart.org

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, Théo van Rysselberghe

Madame van Rysselberghe et sa fille

Madame Théo van Rysselberghe et sa fille, 1899, Théo van Rysselberghe, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.

Au-delà de la simple contemplation de cette toile, de multiples pensées nous assaillent, qu’elles aient trait à l’artiste, ou à l’homme et sa famille. La toile a été réalisée en 1899, Théo et Maria se sont mariés en 1889, leur fille Élisabeth est née un an plus tard. Alors que sa mère lit calmement, la petite fille de neuf ans a du mal à poser, et son père a réussi à nous montrer sa nervosité.

À cette époque, Théo van Rysselberghe vient de changer sa manière. Le strict pointilliste qu’il a été, le compagnon de Seurat et Signac, laisse place à un peintre moins extrême, influencé par l’art décoratif des Nabis. Sa palette est devenue plus éclatante. Le cadre familial respire la sérénité. On sent que Théo a du plaisir à peindre les différentes matières qu’il a multipliées à loisir : le bouquet de fleurs, le service à thé, les différents tissus, les papiers-peints, etc.

Le 26 décembre 1899, Théo écrivit à Signac : « La division, la teinte pure, je ne les ai jamais considérées comme un principe d’esthétique – moins encore comme une philosophie – mais bien, et uniquement, comme un moyen d’expression. Dès que ce moyen me semble incomplet, ou, pour mieux dire ma pensée, tyrannique, je modifie mon outil »

Mais les deux personnages nous émeuvent aussi par leur histoire hors du commun. Maria est connue en littérature comme « La Petite dame », elle a pendant près de 40 ans été l’historiographe d’André Gide. Les Van Rysselberghe et Gide se sont connus en 1899, l’année même de notre tableau.

24 ans plus tard, Élisabeth, qui avait grandi et voulait « faire un bébé toute seule » a donné naissance à Catherine, fille d’André Gide. Catherine Gide est décédée, à 90 ans, en 2013. Dès 1916, au retour des funérailles d’Émile Verhaeren, André Gide avait écrit à Élisabeth : « Je n’aimerai jamais d’amour qu’une seule femme et je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n’en pas avoir moi-même. » Ce sera chose faite quelques années plus tard à la suite d’un complot réunissant André, Marc Allégret, le compagnon de Gide, Maria, et Élisabeth. Théo, mis à l’écart, ne l’a su qu’après la naissance de Catherine. Il n’a pas revu son ami André jusqu’à sa mort trois ans plus tard.

Quand on connaît un peu l’histoire de la famille, il est impossible de ne pas y penser en regardant cette scène si paisible et si colorée.

09/10/2015

Dim : 96 x 129 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

La Vendange à Ornans, Gustave Courbet

La Vendange à Ornans, Gustave Courbet

La Vendange à Ornans, sous la Roche-du-Mont, 1849, Gustave Courbet, collection Oscar Reinhart, Winterthour.

Courbet a 30 ans. C’est le début de la gloire… Georges Riat[*], qui a laissé une biographie critique importante de Courbet, écrit, pour l’année 1849 : « Au Salon, il a présenté sept toiles, qui furent toutes admises. Il y avait des paysages, des portraits, et une scène de genre. La Vendange à Ornans représentait les vignerons affairés à leur travail, sur les pentes rapides qui dévalent sous la Roche-du-Mont; …/… Champfleury [**], emboucha la trompette épique : “Courbet force les portes du Salon… Personne, hier, ne savait son nom : aujourd’hui il est dans toutes les bouches. Depuis longtemps on n’a vu succès si brusque. Seul, l’an passé, j’avais dit son nom et ses qualités; seul j’ai parlé avec enthousiasme de quelques tableaux enfouis au dernier salon, dans les galeries du Louvre. Je ne me suis pas trompé, j’avais raison. Aussi m’est-il permis de fouetter l’indolence des critiques qui s’inquiètent plus des hommes acceptés que de la jeunesse forte et courageuse, appelée à prendre leur place et à la mieux garder peut-être”… ».

Les environs d’Ornans, sa ville natale, ont toujours représenté un sujet de choix pour l’artiste. Deux tiers de son œuvre sont consacrées aux paysages, partagés entre ceux de Franche-Comté et de Suisse d’une part, et ceux de mer d’autre part. Ici, on retrouve un mélange de minéral et de végétal, de brun et de vert. Mais les vendanges ne sont pas le réel sujet du tableau au contraire de cet arbre majestueux qui trône au centre de la toile. Un genre que Courbet va développer largement à tel point que l’on évoque à son sujet les « portraits d’arbres ». Les vendangeurs sont indiqués de manière anecdotique alors que l’arbre s’étale dans toute sa splendeur.

On comprend facilement, en regardant ce tableau et quelques autres du même Courbet, pourquoi et comment il va devenir au début des années 1860, le grand modèle pour les jeunes Bazille, Renoir, Monet et Sisley lors de leurs virées en forêt de Fontainebleau.

[*] RIAT Georges, Gustave Courbet, peintre, H.Floury, Les Maîtres de l’Art moderne, Paris, 1906.
[**] Champfleury (1821-1889), écrivain, critique d’art, puis collectionneur de faïences et directeur-conservateur du musée de Sèvres, était un personnage hors du commun. Il deviendra aussi l’ami de Courbet (qui fera son portrait en 1855) et le défenseur du réalisme.

08/10/2015

Dim : 71 x 97 cm
Photo VisiMuZ

Pêcheuses de moules à Berneval, Renoir

Renoir Pêcheuses de moules à Berneval

Pêcheuses de moules à Berneval, 1879, Pierre-Auguste Renoir, fondation Barnes, Philadelphie.

Renoir a séjourné plusieurs fois au château de Wargemont, chez ses amis Marguerite et Paul Bérard. Berneval, près de Dieppe est aussi à quelques kilomètres de Wargemont.

La Ve exposition des Impressionnistes a eu lieu en 1880. Comme en 1877 et 1879, Renoir s’abstient d’y participer. A contrario, il va postuler au Salon officiel, celui de M. Gérôme (comme disait Cézanne) avec ces Pêcheuses de moules et la Jeune fille au chat. Il va être admis. Renoir était convaincu que pour recevoir des commandes des milieux fortunés de Paris, il était nécessaire d’exposer au Salon. Il l’a expliqué dans une lettre à Durand-Ruel au début de mars 1881.

«. Mon cher Monsieur Durand-Ruel,
Je viens tâcher de vous expliquer pourquoi j’envoie au Salon. Il y a dans Paris à peine quinze amateurs capables d’aimer un peintre dans le Salon. Il y en a 80 000 qui n’achèteront même pas un nez si un peintre n’est pas au Salon. Voilà pourquoi j’envoie tous les deux ans deux portraits, si peu que ce soit. De plus, je ne veux pas tomber dans la manie de croire qu’une chose ou une autre est mauvaise suivant la place.

En un mot, je ne veux pas perdre mon temps à en vouloir au Salon. Je ne veux même pas en avoir l’air. Je trouve qu’il faut faire la peinture la meilleure possible, voilà tout. Ah ! si l’on m’accusait de négliger mon art, ou par ambition imbécile, faire des sacrifices contre mes idées, là je comprendrais les critiques. Mais comme il n’en est rien, l’on a rien à me dire, au contraire. »

Alors le peintre a joué « cavalier seul » et n’a pas exposé avec ses amis. Un an plus tard, suite à son voyage en Italie, Renoir va rompre avec sa manière impressionniste, pour entrer dans sa période « ingresque » ou « aigre ». Ce tableau est aussi l’un des deux derniers de l’artiste acquis par Albert Barnes (1872-1951). Barnes possédait à sa mort 178 tableaux de Renoir acquis entre 1912 et 1942. Il en acheta en particulier 41 en une seule fois juste lors de la dispersion de l’atelier à la mort du peintre.

Retrouvez ici tout Renoir dans sa biographie par Ambroise Vollard, chez VisiMuZ (avec 200 tableaux)

07/10/2015

Dim 176,2 x 130,2 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Ferme en Haute-Autriche, Gustav Klimt

Ferme en Haute-Autriche – Klimt

Ferme en Haute-Autriche, 1911-12, Gustav Klimt, Palais du Belvédère, Vienne

Gustav Klimt (1862-1918) n’est pas seulement le peintre de la période dorée et du Baiser. Il a peint de nombreux (55) paysages très lumineux, le plus souvent sur des toiles au format carré. Il a en effet découvert les mouvements artistiques français et décidé d’épurer son style à partir de 1909, évitant l’or et se rapprochant du divisionnisme cher à Seurat, Signac, etc.. mais aussi des couleurs des Fauves qui ont exposé à Vienne en 1908.

Klimt le Viennois a passé à partir de 1897 ses vacances d’été en Haute-Autriche, sur le lac Atter (Attersee à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Salzbourg) avec sa compagne Émilie Flöge. Ses paysages sont toujours vides de personnages, ce qui leur donne une sérénité et un calme particulier. Le feuillage des arbres répond à la prairie en fleurs. Klimt peignait ses toiles en plein air et les terminait en atelier. Les lieux sont donc réels et non imaginaires. Un autre tableau de Klimt, célèbre pour d’autres raisons, a été peint ici. Le Jardin au crucifix (1912-1913) a été détruit dans l’incendie du château d’Immendorf par les Nazis le 8 mai 1945 (à moins que les camions en fuite aient été chargés avec les œuvres et que…).

Le tableau du jour est au palais du Belvédère comme Le Baiser ou Judith. Son succès est si grand qu’il a été reproduit sur toutes sortes de supports, y compris des coques de téléphone portable. On sait aussi que l’Autriche s’est dotée d’une loi exemplaire de restitution aux héritiers spoliés dans le cas d’achats douteux à partir de 1938, et qu’un autre paysage de Klimt de même taille (Litzlberg am Attersee) a été vendu aux enchères en 2011 pour 40,4 millions de dollars suite à un jugement de restitution envers le musée de Salzbourg. Mais l’acquisition de cette toile dès 1912 ne saurait être douteuse. Vous pourrez toujours aller l’admirer au Belvédère.

Dim 110 x 110 cm
Photo wikimedia commons : Oberösterreichisches Bauernhaus Usr : GianniG46

Parution en juillet 2017 de Gustav Klimt (1862-1918), entre femmes et paysages

Retrouvez sa biographie, les femmes qu’il a peints et qu’il a aimées, les 55 paysages de sa maturité, les records d’enchères des vingt dernières années, …

Chevaux de courses devant les tribunes, Edgar Degas

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes)

Le Défilé (Chevaux de courses devant les tribunes), be 1862-1866, Edgar Degas, musée d’Orsay, collection Camondo.

Le tableau du jour est l’un des premiers que Degas a consacré aux courses hippiques, loisir d’origine britannique, devenu très en vogue en France dès le Second Empire. L’artiste avait décidé de saisir au vol les mouvements de ses sujets pour mieux nous en révéler la personnalité, l’essence, en l’occurrence ici l’âme des courses hippiques et de ses protagonistes.

Citons Paul Jamot [dont la biographie de Degas est parue et est disponible chez VisiMuZ], qui est le premier à avoir analysé ce thème chez Degas.
« Doué d’un don prodigieux de dessinateur qui saisit les contours et les formes même quand ils nous semblent se dissoudre et nous échapper par leur mobilité, il [Degas] s’empare de ce qui n’avait pas été aperçu avant lui. De là, cet aspect de nouveauté qui a scandalisé les uns et fait extravaguer les autres. Il ne poursuivait, il n’a jamais poursuivi que le vrai.
Il n’y a donc pas de différence essentielle entre ses portraits et ses suites de tableaux consacrés aux courses, au théâtre, à la danse, au café-concert, même aux nus, aux blanchisseuses, aux modistes.
Degas, qui n’était pas plus homme de cheval que noctambule, fut attiré de bonne heure par les spectacles qu’un champ de courses offre à un peintre…/… Parmi ses envois au Salon, le premier qui ne fût ni un portrait ni une peinture d’histoire est un tableau de courses…

À gauche, des tribunes remplies de spectateurs. Sur la piste au premier plan, deux jockeys, vus de dos, tiennent leurs chevaux arrêtés, dans des directions un peu divergentes. Plus loin, un groupe de jockeys plus nombreux venant vers nous. Un cheval s’emballe au galop, retenu avec peine par son cavalier. Les ombres portées s’allongent de droite à gauche. À l’horizon, arbres et cheminées d’usines.  »

Signalons aussi le respect de la perspective classique marqué par les diagonales (le cheval centre se trouve sur le point de fuite), le choix assumé de la modernité par opposition à l’académisme (les tribunes, les cheminées d’usines) et la prééminence de la lumière qui annonce déjà la décennie suivante. Le tableau, pourtant si décrié 45 ans avant, est rentré au Louvre avec la collection Camondo dès 1911, alors que l’artiste était encore vivant.

05/10/2015

Terrasse de la maison de campagne à Saint-Germain, August Macke

Terrasse de la maison de campagne à Saint-Germain August Macke

Saga Hebdo 2/2

Terrasse de la maison de campagne à Saint-Germain, 1914, August Macke, LWL-Museum für Kunst und Kultur, Münster.

Dans un premier temps, ce sont les couleurs qui frappent dans cette aquarelle très certainement réalisée sur place, c’est-à-dire dans la maison de Saint-Germain dont nous avons parlé hier.

Mais on doit souligner l’importance des recherches formelles étudiées par Macke et ses amis à cette époque. Déjà Cézanne puis les Nabis avaient mis à mal la perspective classique et le cubisme va naître une dizaine d’années avant ce voyage. En 1907 paraît en Allemagne un livre de Wlilhelm Worringer (Abstraktion und Einfühlung) « Einfühlung » peut se traduire incomplètement par « empathie esthétique » ou « identification » dans laquelle l’artiste est confronté à la recherche de l’illusion de la profondeur et de l’espace. Celle-ci a été initiée dans la peinture des Grecs, reprise par les Italiens de la Renaissance puis développée dans toute la peinture européenne. Worringer présente l’Abstraction et l’Einfühlung comme les deux pôles de la création, opposant les conceptions arabo-musulmanes de l’art décoratif avec celles de l’Europe.
Notre tableau du jour est encore inspiré de l’idéal de la Renaissance. Macke utilise des lignes de fuite pour suggérer la profondeur, mais comme Klee hier, il utilise des formes géométriques simples (triangles, carrés, rectangles) pour bâtir son paysage. Macke est venu en Tunisie pour la couleur mais aussi pour tenter une synthèse entre les univers picturaux de l’Occident et de l’Orient.
En 1912 déjà, dans l’almanach du « Blaue Reiter » il avait écrit : « Le croisement de deux styles donne un troisième style nouveau… l’Europe et l’Orient ».

Pour finir, nous savons par le Journal qu’a tenu Paul Klee de cette période, que Macke et Moilliet étaient en permanence en train de plaisanter, et que Klee se sentait un peu mal à l’aise dans cette ambiance de calembours et d’humour potache, au sein de laquelle il avait de la peine à se situer.

Macke était grand, fort, souvent jovial, et sa peinture respire cette joie de vivre, qui le rend encore aujourd’hui vecteur de petits moments de bonheur pour le spectateur.

03/10/2015

Dim : 22,7 x 28,7 cm
Photo Wikimedia commons August_Macke_048.jpg Usr Eloquence

Saint-Germain près de Tunis, Paul Klee

Saint-Germain près de Tunis, Paul Klee

Saga hebdo 1/2

Saint-Germain près de Tunis, avril 1914, Paul Klee, collection particulière.

En 1914, Paul Klee partit avec ses amis August Macke et Charles Moilliet en Tunisie, du 7 au 19 avril. Ils y avaient été invités par un ami de Moilliet, le docteur Ernst Jäggi (1878-1941). Ils se retrouvèrent d’abord chez Moilliet au lac de Thoune, et grâce à ce dernier, Klee put vendre 8 aquarelles au pharmacien bernois Charles Bornand afin de financer son voyage. Leur but, qui avait été aussi celui de Delacroix (au Maroc), de Monet (Algérie, même si son voyage était dû à l’armée française), Renoir (Algérie) ou Matisse (Algérie, Maroc), était de mieux appréhender la couleur. Et le voyage fut à cet égard couronné de succès. Paul Klee écrivit dans son journal lors de leur visite de Kairouan : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède. Voilà le sens de ce moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre ».

Le docteur Jäggi possédait une maison de campagne à Saint-Germain, à cette époque un quartier européen au sud de Tunis, créé en 1909 et aujourd’hui appelé Ezzahra. Klee et Macke peignirent énormément. Ils avaient rencontré Robert Delaunay deux ans auparavant et avaient étudié ses théories sur la couleur (les couleurs remplacent les objets…). Leur expérience tunisienne leur permit de tester une manière nouvelle pour eux. Pour obtenir la nuance désirée, Klee utilisait des couleurs transparentes qu’il superposait.

Notre aquarelle du jour montre la tendance de Klee à l’abstraction. La peinture est composée d’éléments, comme des notes sur une portée musicale. Ici ces éléments se juxtaposent, se croisent, s’interpénètrent, se mélangent pour finalement composer un paysage.

02/10/2015

Dim : 18,5 x 24 cm
Photo courtesy www.pubhist.com

Les Baigneuses, Suzanne Valadon

Suzanne Valadon Les Baigneuses

Les Baigneuses, 1923, Suzanne Valadon, musée des Beaux-Arts de Nantes

Suzanne Valadon (23 septembre 1865-1938). Elle aurait eu 150 ans la semaine dernière. Degas la découvrit dessinatrice après qu’elle eut été couturière, acrobate, modèle de Puvis de Chavannes, de Renoir, de Lautrec. Puis elle devint elle-même peintre, mère de peintre (Maurice Utrillo), femme de peintre (André Utter). Et jamais elle ne trahira ses idéaux artistiques.

1921 année faste : c’est l’année de l’exposition à trois (Valadon, Utrillo, Utter) chez Berthe Weill, la galeriste qui avait eu le cran d’exposer les nus de Modigliani à la fin 1917.

Peu avant la réalisation de notre tableau, le critique André Warnod écrit : « Le trait noir qui cerne les nus en précise les contours, mais laisse intacte la sensibilité émue de la chair, chair quelquefois molle, quelquefois lasse. L’impitoyable trait, précis et ferme, souligne parfois des tares, les plis du ventre, les seins qui s’affaissent; – un beau dessin n’est pas toujours un dessin joli – mais toujours chair vivante et belle justement par la vie qui l’anime, fraîche parce qu’on sent le sang circuler à fleur de peau. Les nus de Suzanne Valadon peints dans une gamme si claire, si radieuse, enchantent par la vérité qui émane d’eux, nus en pleine force, en plein mouvement… » (L’Avenir, 19 décembre 1921).

1923 : Une nouvelle exposition a lieu chez Berthe Weill, le succès commercial s’amplifie pour les trois compères et André va acheter le château de Saint-Bernard (Ain). Mais Suzanne ne change pas de cap, elle renoue ici avec un thème qu’elle avait déjà traité dès 1903 avec La Lune et Le soleil ou La Brune et la Blonde.

Est-il nécessaire d’ajouter autre chose à la critique d’André Warnod ?

01/10/2015

Dim : 116,4 x 89 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, Irene

Moulin rouge, Henri de Toulouse-Lautrec

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Dressage des nouvelles par Valentin le désossé (Moulin rouge), 1889-90, hst, 115 x 150 cm, Henri de Toulouse-Lautrec, Philadelphia Museum of Art

Le Moulin Rouge a récemment fait parler de lui à New York ! Pas mal pour un établissement qui a l’âge de la Tour Eiffel ! Il a en effet ouvert le 5 octobre 1889 (anniversaire dans 5 jours) sur le site d’un autre bal qui avait fermé. Il avait été conçu par ses propriétaires (Joseph Oller et Charles Ziedler) pour éclipser tous ses concurrents (dont l’Élysée-Montmartre, le cabaret de Bruant, le cirque Fernando, le Chat noir…) dans ce quartier devenu l’épicentre des divertissements parisiens. La publicité fut massive à l’ouverture. Dans un supplément du Figaro illustré, il était décrit comme « un magnifique jardin contenant plus de 6 000 personnes, à l’ombre des grands arbres …/… », avec sa scène où l’on pouvait retrouver « …/…tous les soirs, un concert-spectacle de 8h30 à 10h, avant le bal. » L’article se poursuivait en précisant qu’on y retrouvait « les artistes peintres, sculpteurs, littérateurs, membres de cercles, danseurs, enfin le Tout-Paris, joyeux. »

Lautrec fréquenta très vite ce bal où il se sentait moins un intrus qu’au bal plus populaire du Moulin de la Galette. Remarquons au passage que l’électricité a conquis les lieux (une possibilité récente mais aussi une obligation depuis le tragique incendie de 1887 à l’Opéra comique, éclairé au gaz). Lautrec le souligne en donnant au tableau une luminosité et des teintes claires qui ne lui sont pas habituelles.

Le tableau fut présenté aux Indépendants en mars 1890, puis acheté par Le Moulin rouge. Il fut alors accroché au-dessus du bar, dans le foyer, à côté d’un autre célèbre tableau de Lautrec Au cirque Fernando : Écuyère.

Quelques-uns des personnages peuvent être identifiés et constituent un échantillon intéressant de la population cliente de l’établissement. Valentin, danseur et contorsionniste, était une figure du Moulin. Maurice Guibert et Paul Sescau en haut-de-forme, sont des amis du peintre, la femme en rose au premier plan a un rôle mal défini, peut-être une prostituée accompagnée de sa voisine moins jolie, faire-valoir « qui oblige » selon le mot de Bruant. Elle était dans la « vraie vie » un modèle professionnel qui avait aussi posé pour Anquetin. Pas moins de 26 personnages, dont les plus proches du spectateur sont pratiquement en grandeur nature, peuplent ce théâtre d’ombres qui fait écho à la publicité que nous avons citée plus haut.

30/09/2015

Photo wikimedia commons : Henri_de_Toulouse-Lautrec,_French_-_At_the_Moulin_Rouge-_The_Dance_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot