Le Vase de fiançailles, Henri Fantin-Latour

Fantin-Latour Grenoble Bouquet de fiançailles

• Le Vase de fiançailles, 1869, 32,8 x 30,4 cm, Henri Fantin-Latour, musée de Grenoble.

Fantin-Latour (1836-1904) est né à Grenoble mais il a grandi à Paris. Contrairement à tous les autres peintres de l’époque, il habitait sur la rive gauche. Il fait artistiquement le lien entre l’école romantique (Delacroix), réaliste (Courbet) et Manet ou Whistler. Son amitié avec James Abbott Whistler l’envoie en Angleterre dès 1859. Il y retourne en 1862 et 1864 et se compose dès lors une riche clientèle qui lui demande des natures mortes. Contrairement à son ami Manet, il a besoin de sa peinture pour vivre, et même s’il aime aussi se consacrer à d’autres thèmes (portraits de groupe par exemple), il va réaliser de très nombreuses natures mortes (plus de 800 entre 1864 et 1896), qu’il va envoyer à son ami et courtier londonien Edwin Edwards. Sa carrière sera donc autant londonienne que parisienne. Il va exposer à la Dudley Gallery très régulièrement ainsi qu’au salon annuel de la Royal Academy.

En 1866, il fait la connaissance au Louvre de Victoria Dubourg, qu’il épousera dix ans plus tard. Elle était peintre, elle aussi. Le critique Jacques-Emile Blanche la qualifia d’ailleurs de « femme supérieure et peintre de mérite ». Ce petit tableau est le cadeau que Fantin offrit à Victoria pour leurs fiançailles.

Comme le plus souvent l’arrière-plan est neutre, afin de donner plus de relief aux éléments du premier plan. Il achetait les fleurs et les fruits le matin même avant de réaliser ses tableaux afin que l’éclat en soit plus grand. De nombreuses couches de peinture ont été nécessaires pour le volume et la texture des fruits, pour un résultat qui donne toutes ses lettres de noblesse à la nature morte.

Victoria a gardé le tableau toute sa vie et l’a légué en 1921, 17 ans après la mort d’Henri (elle avait elle-même 81 ans), au musée de Grenoble.

29/09/2015

Photo wikimedia commons Henri_Fantin-Latour_-_Natureza-Morta_«Noivado»_1869.jpg Usr Darwinius

La Laveuse de vaisselle, Camille Pissarro

La Laveuse de vaisselle, Pissarro

• La Laveuse de vaisselle, 1882, hst, 81,9 x 64,8 cm, Camille Pissarro, Fizwilliam Museum, Cambridge (UK)

Dès la fin des années 1870, Camille Pissarro reprend intérêt à la figure humaine en tant que motif. Durant l’année 81, il a travaillé à Pontoise avec Gauguin, Cézanne et Guillaumin, mais à côté des paysages, il choisit de représenter de nombreuses jeunes femmes au travail : La Charcutière, la Petite Bonne de campagne, La Bergère, Paysanne gardant des vaches, Le Marché à la volaille, etc. Si l’influence de Millet est très présente dans le choix des sujets, celle de Degas est plus grande encore pour le traitement des attitudes et le choix des cadrages.

Comme Millet, Pissarro saisit ses modèles dans le travail agraire comme dans les occupations domestiques. Mais l’artiste, sympathisant anarchiste, avait aussi des visées politiques dans la représentation d’une classe sociale, celle des paysans, aux champs comme au marché. Pendant ce temps, Degas représentait les repasseuses et modistes parisiennes.

Notre tableau du jour montre aussi une évolution dans sa technique. Pissarro n’a pas encore rencontré Georges Seurat (ce sera en 1885), pourtant il se rapproche déjà du divisionnisme. La juxtaposition de touches de couleurs pures s’accentue. Les ombres du feuillage, au premier-plan, contrastent fortement avec les tons clairs du chemin.

La toile a été réalisée au 85, quai du Pothuis, à Pontoise, l’adresse de la famille Pissarro avant son déménagement à la fin de 1882 à Osny. On sait aussi qu’elle a été achetée par Paul Durand-Ruel le 28 juin 1882, pour 2500 francs, un prix élevé à cette époque pour l’artiste.

28/09/2015

Photo courtesy The Athenaeum, rocsdad

Bateaux sur la Seine, Berthe Morisot

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Bateaux sur la Seine, 1880, Berthe Morisot, Wallraf-Richartz Museum, Cologne.

Saga hebdo 2/2

Berthe Morisot (1841-1895) avait 39 ans à l’époque de notre tableau. Elle s’est mariée à la fin de 1874 avec Eugène Manet. Julie, leur fille, a un an et demi en cet été 1880. Alors à cette période, les voyages sont un peu plus difficiles. Villeneuve-la-Garenne était encore un hameau de Gennevilliers, où Berthe avait déjà passé le printemps de 1875, et restait, comme le dit Armand Fourreau dans sa biographie (publiée chez VisiMuZ), « une charmante localité suburbaine. »

Berthe a choisi ici de représenter comme Sisley, un coin de campagne, ce qui n’est pas tout à fait la réalité. L’île Saint-Denis vivait des activité liées au fleuve : les bateliers faisaient transiter leurs péniches, la blanchisserie était une activité importante (voir toujours de Morisot son Percher de blanchisseuses peint non loin de là) et les activités de construction navale commençaient à s’implanter. C’est ce dernier point qui attirera Caillebotte à Gennevilliers où il va acheter une maison l’année suivante.

Contrairement au tableau de Sisley d’hier, le pont n’est pas ici le motif principal du tableau, mais plutôt les barques et les canots. Le fait de couper les barques du premier plan était un geste audacieux (à cette époque). Contrairement à la construction solide de Sisley, le tableau de Morisot est peint légèrement, presque esquissé. Notez par exemple la différence sur le rectangle vert de la maison à droite du pont dans les deux tableaux. Chez Morisot, il se confond presque avec l’herbe de la berge. Elle a toujours été à la recherche de la plus grande économie de moyens possible. Elle aurait pu faire sienne la devise « Less is more » (phrase appliquée d’abord à Andrea del Sarto par le poète Robert Browning, puis reprise par l’architecte Mies van der Rohe).

Le site du tableau n’a été identifié que vers la fin du XXe siècle grâce au rapprochement avec la toile de Sisley. Le titre, donné par Mary Cassatt, premier propriétaire de la toile, ne donnait aucune indication de localisation. Mary Cassatt avait acheté la toile à son amie Berthe (les deux femmes se voyaient très souvent) au printemps 1881 pour la collection de son frère Alexander.

À retrouver bien sûr avec tous les autres, dans la collection des livres d’art numériques de VisiMuZ !

26/09/2015

Dim 25,5 x 50 cm
Photo courtesy The Athenaeum, Usr rocsdad

Le Pont à Villeneuve-la-Garenne, Alfred Sisley

25092015_Sisley_PontVilleneuve

Le Pont à Villeneuve-la-Garenne, 1872, hst, 49,5 x 65,4 cm, Alfred Sisley, Metropolitan Museum of Art, New York

Saga Hebdo 1/2

Nous sommes en 1872. La vie de Sisley a basculé l’année précédente. Citons Duret, l’historien des impressionnistes : « Pendant la guerre, son père tombé malade et incapable de surmonter la crise survenue dans ses affaires, subit des pertes, qui amenèrent sa ruine et, peu de temps après, sa mort. Alfred Sisley, qui jusque-là avait vécu comme le fils d’une famille riche, se trouva tout à coup sans autres ressources que celles qu’il pourra tirer de son talent de peintre. Après 1870. il se donne donc tout entier à la peinture, à laquelle il lui faut désormais demander ses moyens d’existence pour lui et sa famille, car il est marié et a des enfants. À ce moment son ami Claude Monet avait, sous l’influence de Manet, adopté et développé le système des tons clairs et l’appliquait à la peinture du paysage, directement devant la nature. Sisley s’approprie lui-même cette technique ; il peint en plein air, dans la gamme claire. On voit ainsi l’influence qu’exercent les uns sur les autres, au point de départ, des artistes en éveil, Manet sur Monet et Monet sur Sisley. ».

Au printemps 1872, Sisley chercha d’abord un peu de réconfort auprès de son ami Monet à Argenteuil puis il alla passer l’été à Villeneuve-la-Garenne. Notre tableau du jour sera vendu à Durand-Ruel dès le 24 août 1872 pour 200 francs. Celui-ci le revendra 360 francs à Jean-Baptiste Faure, en avril 1873. « Jean-Baptiste Faure (1830-1914), célèbre chanteur de l’Opéra de Paris, collectionnait les œuvres de Sisley. » Il deviendra ensuite son mécène en lui proposant de payer son séjour à Londres entre juillet et octobre 1874.

Le pont est ici symbole de la modernité. Il a été construit en 1844, pour relier Villeneuve-la-Garenne à Saint-Denis, avec une structure et un tablier en fer. Des canotiers, le loisir à la mode, flânent sur la rivière et sur la rive. Le cadrage qui raccourcit la perspective, est ici très innovant, de même que la touche des couleurs sur l’eau, qui suscitera des railleries lors des expositions à venir.

25/09/2015

Photo VisiMuZ

24/09/2015 La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, Édouard Vuillard

Vuillard – Villa Les Écluses Saint-Jacut

• La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, 1909, Édouard Vuillard, High Museum of Art, Atlanta (acquis en 2008).

En 1909, une bande d’amis parisiens séjourna pour toute la saison d’été à la villa du Plessix à Saint-Jacut.

Étaient là Jos et Lucie Hessel, Alfred Natanson et sa famille, Tristan Bernard, Édouard Vuillard. Quelques absents de la tribu : Thadée et Misia Natanson avaient divorcé en 1905, les Vallotton venaient d’acquérir leur résidence à Honfleur, les Bernheim-Jeune (beaux-frères de Vallotton, cousins germains de Lucie Hessel) sont à Villers.

L’été à Saint-Jacut a été studieux. Natanson et Bernard travaillaient à leur pièce « Le Costaud des Épinettes ». Vuillard peignait. Il musardait sans doute aussi avec Lucie Hessel. Vallotton avait présenté les Hessel, devenus ses cousins par son mariage, à son vieil ami Vuillard en 1900. Lucie est vite devenue la maitresse d’Édouard et le restera jusqu’à sa mort. Il semble que Jos Hessel, le mari de Lucie n’en ait jamais pris ombrage. Jos était aussi le marchand exclusif d’Édouard.

Notre tableau du jour a été peint près de la villa du Plessix. La villa « Les Écluses » a été construite vers 1900. Elle existe toujours.

On connaît bien Vuillard, peintre d’intérieurs, décorateur, l’homme des silences. On connaît moins ses tableaux d’extérieurs. Mais contrairement à Cézanne par exemple, il ne travaillait pas « sur le motif ». Son célèbre Kodak lui permettait de figer la scène, quelques esquisses et sa mémoire lui permettaient de reconstruire le tableau en atelier.

Le résultat dans ce tableau est tout à fait particulier, abstrait autant que figuratif. Vuillard mélange ici de la colle à l’huile Cela donne cette texture tout à fait particulière et supprime toute profondeur et tout modelé au profit d’un paysage en deux dimensions. Seul notre œil, accoutumé à la perspective, reconstitue la profondeur.

Dim : 47,3 x 46,7 cm.
Photo Wikimedia commons  La_Villa_Les_Écluses,_St._Jacut,_Brittany_by_Édouard_Vuillard,_High_Museum_of_Art.jpg Usr Wmpearl

Campo Santo, Joseph Mallord William Turner

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Le Campo Santo, Venise, av. 1842, Joseph Mallord William Turner, Toledo Museum of Art (OH)

Joseph Mallord William Turner (1775-1851), le terrible Turner, avec ses excès, était tombé amoureux de Venise (comme beaucoup d’entre nous). Il y alla trois fois en 1819, 1829 et 1840.

D’après le critique John Ruskin cité par J.H. Rosny aîné, l’œuvre de Turner se divise en quatre périodes. La 3e va de 1835 à 1845. Pendant ces dix ans, « il est pleinement maître de son talent et de son génie; il cesse de chercher un idéal, il se laisse inspirer par la nature qu’il transforme d’après sa nature, d’après les besoins essentiels de son génie. »
C’est dire que l’apogée du génie de Turner se situe entre sa 60e et sa 70e année. Une bonne nouvelle pour tout le monde !

Le même Rosny parlait de Turner comme « faiseur d’or qui avait capté à travers la brume la lumière du soleil. » Et cette phrase s’applique bien au tableau du jour. Il avait été présenté par l’artiste en 1842 à la Royal Academy avec une autre toile en pendant (maintenant à la Tate Britain).

Le point de vue est très inhabituel. Nous sommes au nord, entre la ville et la terre ferme. À droite, se trouve le cimetière San Michele (où sont maintenant enterrés Stravinsky, Diaghilev, Ezra Pound, ou encore le baron Corvo, cher à Hugo Pratt et Corto Maltese). À gauche, la cité, avec l’Arsenal et le campo San Zanipolo avec sa statue équestre du Colleoni par Verrochio.

Le cimetière venait alors d’être construit. Ce point de vue sur la ville était symbolique pour le peintre. Cette ville jadis puissante se mourait depuis le perte de son indépendance 40 ans plus tôt. Le déclin de la Sérénissime est évoqué aussi par les débris du premier plan, et les voiliers dérivant du fait du manque de vent. A-t-on besoin de parler de cette lumière qui dissout les formes ?

Devant ce spectacle où la nature domine la ville qui disparaît, le musée de Toledo (Ohio) a cité fort justement les vers de Lord Byron :

« Those days are gone — but Beauty still is here. States fall, arts fade — but Nature doth not die. » (in Childe Harold’s Pilgrimage [I stood in Venice], 1824).

23/09/2015

Dim : 62,2 x 92,7 cm
Photo Wikimedia commons Joseph_Mallord_William_Turner_-_Campo_Santo_-_WGA23179.jpg Usr JarektUploadBot

Une sieste, John Singer Sargent

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Une sieste, ca 1907-08, 40,6 x 53,3 cm, John Singer Sargent, collection particulière

John Singer Sargent (1856-1925) a fait partie avec Stevens, Tissot, Zorn, des portraitistes mondains les plus recherchés de la 2e partie du XIXe siècle. Né à Florence dans une famille d’américains voyageurs, il passera sa vie entre Paris, Londres et les États-Unis, sans négliger de voyager un peu partout.

Son élégance mondaine, son dandysme, son côté snob lui valurent aussi de solides inimitiés. Opportuniste, il a adapté son style au moment. Il a été impressionniste quand il peignait avec son ami Claude Monet, académique avec Carolus-Duran, réaliste quand il choisissait de peindre à la manière de Velázquez ou celle de Frans Hals. Parisien à Paris, il était londonien à Londres, bostonien à Boston.

Mais quand il s’affranchit des contraintes commerciales, il est un très grand peintre. Il a fermé définitivement son atelier en 1907 (il a donc pris sa « retraite » à 51 ans) pour ne plus peindre que pour son plaisir et voyager. Il réalisa peu-après cette fermeture une série de tableaux qu’il nomme tous «  Sieste », en général réalisés en plein-air. Avait-il envie de se reposer, ou profitait-il simplement de modèles qui étaient du coup immobiles ?

Dans notre tableau du jour, les deux femmes sont traditionnellement identifiées comme étant Violet Ormond, la sœur de l’artiste, sous le parasol, et l’une de ses filles, probablement Reine. Cette aquarelle (et gouache) a très certainement été réalisée lors d’un séjour estival à Purtud (Courmayeur, val d’Aoste). Sargent aimait y passer les mois d’été, à proximité d’une grande station touristique, mais au calme, et dans une fraîcheur qu’il appréciait. Il en repartait aux premiers frimas vers la fin septembre.

22/09/2015

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

21/09/2015 La Repasseuse, Rik Wouters

21092015_Anvers_Wouters

La Repasseuse, 1916, Rik Wouters, Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers.

Rik Wouters (1882-1916), ou un destin brisé !

Il fait partie de ces météores de l’histoire de la peinture, comme Egon Schiele, Franz Marc ou August Macke. Ce n’est pas la grippe espagnole, ni une balle, mais un cancer qui l’emporte à 33 ans alors que la guerre fait rage. Il connut le succès tout de suite entre Anvers, Paris et Amsterdam. Inspiré par Cézanne et les Fauves, il expose en 1912 en compagnie de Pierre Bonnard. Ses couleurs souvent puissantes l’ont fait qualifier plus tard de « Fauve brabançon ». De son vivant, il eut aussi une notoriété importante en tant que sculpteur.
Comme Bonnard peignait sa femme Marthe, Wouters peignait très souvent Nel, sa jeune femme modèle et muse qu’il avait épousée en 1905, dans ses activités quotidiennes. Le couple habitait à Boitsfort, près de la forêt de Soignes.

Degas avait innové 40 ans plus tôt en choisissant de peindre le geste des repasseuses, mais son propos s’intéressait au métier de la professionnelle alors qu’ici Wouters peint sa femme Nel effectuant une tâche ménagère. Nel d’ailleurs préfère regarder son mari.

Sur cette toile, Nel est coiffée comme toujours d’un chignon. Les couleurs que Wouters utilise, liées à une touche très personnelle rendent son style très reconnaissable. Sur le marché de l’art, si les sculptures de Rik Wouters apparaissent régulièrement, ses tableaux sont beaucoup plus rares. Dans les musées, on peut normalement aller l’admirer à Anvers au KMSKA, mais le musée est en travaux jusqu’en 2017. Il va être exposé à la Haye du 3 octobre au 4 janvier 2016, avant la grande année du centenaire de la mort de l’artiste.

Dim 108,5 × 124,8 cm
Photo wikimedia commons Rik_Wouters_-_De_strijkster.JPG Usr Ophelia2

19/09/2015 Madame Roulin, Paul Gauguin

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Saga hebdo 2/2

Madame Roulin, nov 1888, Paul Gauguin, Saint Louis Art Museum (MO)

Nous avons laissé hier Vincent avec madame Roulin en janvier 1889. En décembre, il avait certes déjà peint Augustine tenant le bébé Marcelle dans ses bras [Philadelphia Museum of Art et Metropolitan Museum of Art]. Mais le premier à avoir peint madame Roulin a été Paul Gauguin en novembre. Faut-il y voir un effet de ce charme sulfureux qui a valu à Gauguin ses succès féminins ?
Madame Roulin doit poser dans la chambre de Gauguin puisqu’on voit sur le mur le bas d’un autre tableau de Gauguin (Les Arbres bleus (Vous y passerez la belle !), aujourd’hui au musée d’Ordrupgaard, près de Copenhague). Est-ce une allusion symbolique ?

En décembre, Vincent va faire un autre tableau d’Augustine Roulin [collection O. Reinhart, Winterthour], portant la même robe, très inspiré par celui de Paul. Il va même de manière symbolique l’assoir sur la chaise de Paul.
D’un point de vue peinture, on sait que Cézanne n’aimait ni Gauguin, ni Van Gogh. Émile Bernard a rapporté ces mots de Cézanne : « Jamais je n’ai voulu et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation  ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. » [voir la bio de Cézanne à paraître dans 10 jours chez VisiMuZ].
Et pourtant ! Certes l’homme Gauguin est au mieux déroutant, au pire insupportable. Il a eu pourtant des amis fidèles (Morice, Monfreid, etc.) et s’il s’est fâché avec de nombreux peintres, tous ou presque reconnaissaient à l’artiste une certaine prééminence. Van Gogh a pris des leçons chez Gauguin qu’il a su faire fructifier. Maurice Denis a écrit : «  Gauguin n’était pas professeur, … mais Gauguin était tout de même le maître. »

Et Gauguin lui-même, avec un brin de fatuité, écrit à propos de ces quelques mois passés en Provence [l’intégralité à retrouver bien sûr dans la biographie de Gauguin par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ avec entre-autres les tableaux de Gauguin en Provence].

« Sans que le public s’en doute, deux hommes ont fait là un travail colossal, utile à tous les deux– peut-être à d’autres. Certaines choses portent leur fruit.
Vincent, au moment où je suis arrivé à Arles, était en plein dans l’école néo-impressionniste, et il pataugeait considérablement, ce qui le faisait souffrir  ; non point que cette école, comme toutes les écoles, soit mauvaise, mais parce qu’elle ne correspondait pas à sa nature si peu patiente et si indépendante.
Avec tous ses jaunes sur violets, tout ce travail en complémentaires, travail désordonné de sa part, il n’arrivait qu’à de douces harmonies incomplètes et monotones  ; le son du clairon. J’entrepris la tâche de l’éclairer, ce qui me fut facile, car je trouvai un terrain riche et fécond. Comme toutes les natures originales et marquées au sceau de la personnalité, Vincent n’avait aucune crainte du voisin et aucun entêtement.
Dès ce jour, mon Van Gogh fit des progrès étonnants  ; il semblait entrevoir tout ce qui était en lui, et de là, toute cette série de soleils sur soleils en plein soleil. »

Et vous ? Préférez-vous madame Roulin par Paul, ou par Vincent  ?

À lundi !

Dim 51 x 64 cm
Photo wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Madame_Roulin.jpg Usr Postdlf

La Berceuse, Vincent van Gogh

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Saga hebdo1/2

La Berceuse (Portrait de madame Roulin), janvier 1889, Vincent van Gogh, Metropolitan Museum of Art, collection Annenberg, New York.

Lorsque Vincent arrive en Arles au début de mars 1888… – mais écoutons Duret, son biographe :

« …il va y vivre replié sur lui-même. Il n’aura de relations avec aucun des habitants bien placés. Il ne s’inquiète point de rechercher leur société. Il ne se tiendra en rapports qu’avec cette sorte de gens, qui pourront lui être utiles. Des hommes et des femmes du peuple, qui voudront bien lui servir bénévolement de modèles ou qui, de par leur condition, se contenteront pour poser du faible salaire qu’il peut seul leur donner. Les individus de l’ordre le plus élevé qu’il peindra pendant son séjour à Arles sont un facteur de la poste, Roulin, et un sous-lieutenant de zouaves, Milliet. …/… Les relations avec le sous-lieutenant, qui quitte Arles assez promptement, furent de courte durée, mais elles se prolongèrent avec le facteur et conduisirent de sa part à un véritable attachement. Van Gogh a peint Roulin plusieurs fois dans son uniforme. Il a aussi peint sa femme et a exécuté d’après elle la composition qui s’est appelée La Berceuse. »

Récapitulons : six portraits du facteur, avec sa barbe fleurie, et 17 portraits d’Augustine, d’Armand, de Camille et du bébé Marcelle. Le moins qu’on puisse dire est que les modèles ont voulu lui faire plaisir. Le tout a été peint entre juillet 88 et avril 89.

Mais l’épisode de l’oreille coupée a eu lieu le 23 décembre 88. Notre tableau du jour date de janvier 89, c’est le premier portrait de madame Roulin en berceuse d’un berceau invisible (tenu par la corde). Il en réalise 4 autres versions ensuite. Aujourd’hui 2 tableaux sont aux Pays-Bas, les 3 autres aux États-Unis (New York, Chicago, Boston).

Vincent a précisé dans ses lettres qu’il voulait peindre au-delà d’un portrait un « type idéal » à « valeur de mythe », il ressentait le mouvement de la berceuse comme un thème « consolateur » rappelant le « propre chant de nourrice » et ce thème apaisait ses souffrances personnelles à l’hôpital.

Pour finir, dévoilons qu’entre 1895 et 1900, Ambroise Vollard, toujours à l’affût d’un bon coup, racheta les six toiles que Vincent avait données à Joseph Roulin, dont ce tableau. Un peu plus tard, il fera la même chose à Aix après la mort de Cézanne en 1906.

Les tableaux de la famille Roulin sont à retrouver dans la bio de Van Gogh… chez VisiMuZ bien sûr,
et la suite, assez surprenante, demain matin.

18/09/2015

Dim : 92,7 x 73,7 cm
Photo VisiMuZ

Le Moulin à eau, Egon Schiele

Le Moulin à eau, Schiele

Le Moulin à eau, 1916, 110 x 140 cm, Egon Schiele, musée d’état de Basse-Autriche, St. Pölten.

De faible constitution et de santé fragile, Schiele avait été réformé en 1914. Mais en 1915, l’armée autrichienne subit de lourdes pertes et Schiele est rappelé et déclaré bon pour le service. Même si son poste est une sinécure (il est fourrier près de Vienne), même s’il peut de temps à autre rentrer voir sa femme Édith et aller à son atelier, il est suffisamment préoccupé pour ne pas pouvoir souvent peindre. Il va réaliser seulement huit tableaux dans l’année, et parmi eux ce « Moulin à eau » qui correspond à un tournant dans son œuvre. Ses tourments se sont un peu apaisés avec son mariage en 1915. De plus son rôle comme soldat (puis caporal) lui a permis de trouver une place dans la société, place qui lui avait été refusée comme peintre. Sa manière devient moins exacerbée, plus réaliste. Le Professeur Rudolf Leopold, créateur du musée éponyme à Vienne, parlait pour les deux dernières années qui suivent, du « maniérisme » de Schiele, parfaitement visible ici dans la combinaison particulièrement sophistiquée des motifs de la façade et le traitement du flux de l’eau. Le haut de la toile exprime tout le calme d’une maison érigée là depuis longtemps, qui se dégrade lentement avec le temps qui passe. Au contraire le bas exprime toute la force et l’énergie de l’eau canalisée. D’un point de vue pictural, la manière est aussi inspirée des estampes japonaises.

Egon Schiele meurt de la grippe espagnole le 31 octobre 1918 à seulement 28 ans, trois jours après sa femme. Sa belle-sœur Adèle Harms a recueilli les dernières paroles du peintre : «  La guerre est finie et je dois partir. Mes œuvres seront exposées dans les musées du monde entier. »

17/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocscad

16/09/2015 Mlle V… en costume d’espada, Édouard Manet

Manet, Mlle V… en costume d'espada

Mademoiselle V… en costume d’espada, 1862, Édouard Manet, Metropolitan Museum of Art, New York

V… pour Victorine. Citons d’abord Théodore Duret, le biographe et l’ami de Manet [dans sa biographie, éditée par VisiMuZ].

«  Victorine Meurent était une jeune fille que Manet avait rencontrée, par hasard, au milieu de la foule, dans une salle, au Palais de Justice. Il avait été frappé de son aspect original et de sa manière d’être tranchée. L’ayant fait venir à son atelier, il avait d’abord peint d’elle cette tête [Museum of Fine Arts, Boston]. Puis il l’avait utilisée, comme modèle, dans deux œuvres, La Chanteuse des rues[Boston] et Mlle V… en costume d’espada. À partir de ce moment, elle était devenue son modèle préféré et tous ceux qui, entre les années 1862 et 1875, ont connu Manet et fréquenté son atelier, ont connu Victorine. Elle lui a aussi servi pour la femme du Déjeuner sur l’herbe, pour l’Olympia, la Jeune femme du Salon de 1868 [La Femme au perroquet au Met], la Joueuse de guitare, la femme en bleu du Chemin de fer. »

Victorine va vivre un moment avec un ami de Manet, le peintre belge Alfred Stevens (1823-1906), poser aussi pour lui (Le Sphinx parisien, 1867), puis sa carrière de modèle terminée, va se mettre à la peinture, et sera reçue au Salon. Elle vivra ensuite discrètement à Colombes jusqu’à sa mort en 1927, dans une toute autre époque.

Victorine, ni grisette, ni lorette, ni cocotte, selon la classification en usage à l’époque, est d’abord un exemple de femme libre, qui montre fièrement son corps (et celui-ci n’est pas du tout conforme aux canons du Second Empire) et vit sa vie, sans se soucier du qu’en dira-ton.

L’espagnolisme de Manet dans les années 60 ne lui était pas venu par la fréquentation de Velasquez et de Goya. Citons Duret toujours : « S’il était allé tout de suite visiter les musées de Hollande et d’Allemagne, et étudier les Italiens chez eux, il ne devait aller voir les Espagnols à Madrid qu’en 1865, alors que sa personnalité serait pleinement développée. Les premiers tableaux consacrés à des sujets espagnols lui ont été suggérés par la vue de chanteurs et de danseurs, venus en troupe à Paris. Séduit par leur originalité, il avait ressenti l’envie de les peindre. » Il s’est servi alors des accessoires qu’ils avaient laissés pour habiller ses modèles. Dans une corrida, le mozo de espadas ou valet d’épées est l’assistant personnel et exclusif du matador.

Dim : 165,1 x 127,6 cm
Photo VisiMuZ