La Grande Portugaise, Robert Delaunay

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La Grande Portugaise, 1916, Robert Delaunay, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Robert Delaunay était très lié avant 1914 avec les peintres allemands August Macke et Franz Marc, ou encore avec Vassily Kandinsky (qui vivait en Allemagne). Sa femme Sonia Terk-Delaunay, d’origine ukrainienne, avait grandi aussi en partie en Allemagne. Aussi quand la guerre éclate, Delaunay, qui était en vacances en Espagne, décide de ne pas rentrer en France. Il s’installe à Madrid avec Sonia, pendant que Macke puis Marc se font tuer en France. En 1915, il s’établissent au Portugal et vont alterner séjours en Espagne et au Portugal jusqu’en 1922.

D’abord qualifié comme déserteur, Robert se présente au consulat de Vigo en 1915 et est réformé pour raisons de santé. Delaunay avait abordé l’abstraction (cercle coloré) en 1912 et 1913. Il revient pendant la guerre à la figuration tout en appliquant pour plus de force la théorie du contraste simultané des couleurs (Chevreul, 1839), et en introduisant dans la toile ses disques chromatiques. La lumière du Portugal exerce aussi sur lui une influence importante qui se retrouve dans ses toiles puissantes, aux couleurs chaudes. Delaunay pensait que la couleur pure avait un impact plus fort en créant une émotion immédiate. Il utilise aussi souvent dans le même tableau différentes techniques pour les besoins de son sujet. L’huile est couvrante et permet plus d’épaisseur de la matière, la colle est utilisée pour les surfaces sèches, et la cire pour les surfaces transparentes.

Ce tableau est d’une taille imposante (180 x 205 cm). Il prend toute sa force quand on arrive dans la salle où il est accroché (quand il n’est pas prêté). Une autre version, plus petite et aux couleurs un peu moins puissantes, se trouve au musée de Colombus (Ohio).

15/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Chemin montant, Gustave Caillebotte

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Chemin montant, 1881, Gustave Caillebotte, collection particulière.

Notre tableau du jour est fascinant à plus d’un titre…

Daté de 1881, il représente une transition entre ses toiles des années 1870 (paysages urbains, ou la propriété de famille de Yerres) et celle des années 80 (Seine à Argenteuil, jardins, portraits). Au printemps 1881, Gustave a acheté une maison au Petit-Gennevilliers qui va influencer fortement sur sa vie et ses toiles.

On voit ici deux personnages non reconnaissables, de dos, le long d’une villa cossue. Qui est ce couple de bourgeois parisiens ? Où se trouve cette maison ? Un problème qui a fasciné les historiens… dès que le tableau a été connu. C’est là le 2e mystère fascinant.

L’existence du tableau a été connue dès son exposition en 1882 au Salon des Artistes Indépendants. Il y avait fait sensation. Son thème, sa taille importante (100 x 125 cm), ses couleurs avaient partagé les visiteurs entre pros et antis. Puis, pffft ! plus rien, disparu ! Jusqu’en 1994, l’année de la redécouverte de l’artiste à l’occasion d’une grande rétrospective. 112 ans sans le voir, pas une photo, juste une caricature publiée dans Le Charivari en 1882 !

On suppose qu’il a appartenu d’abord à Doris Schultz (1856-1927), une élégante parisienne dont le domicile était proche de celui de Caillebotte. Dans les années 30, en tout cas, on parle de sa présence dans la collection de Jeanne Schultz, sa fille.

Caillebotte n’avait pas indiqué où la toile avait été réalisée. Son exposition en 1994 excite à nouveau le petit monde de l’art, qui cherche, puis trouve, qu’en fait le tableau a été peint à Trouville, à la « Villa Italienne ».

Gustave Caillebotte passait ses vacances d’été à Villers-sur-mer, et régatait tout l’été. Trouville, très voisine, était la villégiature à la mode. Martial Caillebotte, son frère, a posé pour le peintre. Charlotte Berthier, la compagne de Gustave a vraisemblablement posé pour la jeune femme, dans cette pose qui ne permettait pas de l’identifier.

Il est alors plausible que le titre, donné par le peintre, est aussi une métaphore du chemin de la vie. Le couple représenterait alors Gustave et Charlotte sur ce chemin montant. La jeune femme n’avait alors que 18 ans, et si sa présence était connue da la famille et des amis proches, son existence était soigneusement cachée à la bonne société que le peintre-industriel fréquentait.

Cette réapparition subite du tableau après 112 ans ne devait rien au hasard. Il fallait créer l’évènement. Le 4 novembre 2003, le tableau a été mis aux enchères par Christie’s, précédé de cette réputation flatteuse. Il a été vendu 6,73 millions de dollars.

P.S. : Nous ne savons pas où se trouve aujourd’hui ce tableau. Par contre, la Villa « Italienne », existe toujours. À ce jour, elle est même proposée à la vente.

14/09/2015

Photo wikimedia commons G._Caillebotte_-_Chemin_montant Usr HGrobe

Nu sur un divan (Almaïsa), Amedeo Modigliani

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Saga Hebdo 2/2

Nu sur un divan (Almaïsa), 1916, hst, 81 x 116 cm, Amedeo Modigliani, collection M. et Mme Paul Wurzburger, Cleveland (OH).

Une autre facette, plutôt agréable 🙂 , de notre modèle d’hier.

Ce portrait d’Almaïsa allongée nue sur un divan est le premier des six grands nus que Modi a réalisés au long de l’année 1916, avant les 20 nus de 1917. Modigliani à cette époque est sorti de l’influence du Picasso des Demoiselles d’Avignon et du primitivisme pour entrer dans une période plus réaliste et plus personnelle. Il a abandonné la sculpture et il peint. En cette année 1916, tous ses modèles sont représentés coupés au niveau des tibias. Ils regardent aussi tous le peintre, instaurant par là même ensuite un autre dialogue avec le spectateur. Lors de l’exposition de décembre 1917 chez Berthe Weill, les nus de Modigliani seront saisis par la police pour « outrage à la pudeur ».

Son ami André Salmon écrit : «  Il n’eut point de modèle type. Les femmes de Modigliani ne pourraient être signées d’aucun autre, mais il s’est bien évidemment défendu d’inspirer un type de femme bien propre à s’aller prostituer dans tous les ateliers secondaires. Qu’il peigne le modèle anonyme, la petite bonne de Rosalie, de Zborowski ou de celle de ce marchand de la rive droite enfermant le peintre et son modèle dans un cellier…/.. l’esprit de Modigliani domine.»

Un mot des collectionneurs ! Paul Wurzburger (1904-1974), né à Lyon, arriva à Cleveland en 1941. Le grand public connaît au moins l’une de ses sociétés : Patex. Odette (1909-2006), son épouse, née Valabrègue à Avignon, était une avocate, résistante durant la 2de guerre mondiale, qui rejoignit Cleveland en 1960.

À lundi !

[*] La Vie passionnée de Modigliani, p. 320.

12/09/2015

Photo Wikimedia commons Amedeo_Modigliani_001.jpg Usr Eloquence

Almaïsa, Amedeo Modigliani

Almaïsa - Modigliani

Saga Hebdo 1/2

Almaïsa, 1916, hst, 91,4 x 53,3 cm, Amedeo Modigliani, collection particulière.

Quoi de plus fascinant que la vie de Modigliani ? Ce mélange de culture, de sensibilité, de transgression permanente, dans le Montparnasse de la guerre. En 1916, Modigliani met fin à sa relation tourmentée (et violente) avec Béatrice Hastings. Il va commencer sa série des grands nus, qui le mènera jusqu’à la fin de 1917. Malgré son manque chronique d’argent, il réussit grâce à son charme et sa beauté (son magnétisme, disaient alors les femmes), à faire poser pour lui quelques modèles professionnels. Almaïsa était de ceux-là.

Modi l’a identifiée clairement en haut à droite sur ce tableau. Il semble que son nom signifie en arabe « Celle qui se dandine ». Était-elle danseuse, comme son nom ou surnom peut le laisser supposer ? Était-elle algérienne, comme Modi l’a écrit à son propos d’un autre tableau ? Certains le pensent, d’autres évoquent « L’Italienne à Alger » (1813) de Rossini, et pensent qu’elle était italienne. À cette époque Modi vivait seul (il ne rencontra Jeanne Hébuterne qu’en avril 1917). A-t-elle été pour lui plus qu’un modèle ? Comme cette Germaine, (ou Thérèse, ou Suzanne, les avis divergent) dont André Salmon raconte que Modi lui avait donné un fils non reconnu ? Almaïsa est identifiable avec certitude sur 2 tableaux de Modi (et certains historiens la reconnaissent sur plusieurs autres), mais elle n’apparaît pas chez les autres peintres de cette époque.

En tout cas, le modèle fait aussi rêver (ses yeux en amande, les lèvres ourlées, etc.) et quand ce tableau, qui était dans une collection bâloise, a été mis en vente chez Phillips à New York en 2001, une bataille d’enchères le vit adjugé à 7.1 millions de dollars.

11/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

10/09/2015 La baie de Marseille, vue de l’Estaque – Paul Cézanne

10092015 Estaque Cezanne Metropolitan

La baie de Marseille, vue de l’Estaque, ca 1885, Paul Cézanne, Metropolitan Museum of Art, New York.

Cézanne et l’Estaque, c’est une histoire d’amour, qui commence au milieu des années 1860 et se terminera définitivement au milieu des années 1890, du fait d’une urbanisation qu’il trouvait envahissante ainsi que de « l’invasion des bipèdes », c’est-à-dire les premiers estivants. Mais quand Cézanne a abandonné l’Estaque, une nouvelle génération l’a aussitôt remplacé. Les Fauves (Derain, Dufy, Braque, Friesz) vont venir y peindre dès 1906.

En dehors de ses escapades à la journée depuis Aix, Cézanne va aussi vivre à l’Estaque de septembre 1870 à mai 1871, à la fois pour cacher Hortense Fiquet à sa famille et échapper à la conscription. Il habitait dans une petite maison que sa mère possédait dans le bourg, et partageait son temps entre le travail dans la campagne, les escapades au Jas de Bouffan pour voir brièvement sa famille et la vie avec Hortense, qu’il avait installée à Marseille.

Un peu plus tard, dans une lettre du 2 juillet 1876 à Pissarro, Cézanne écrit à propos de l’Estaque : « C’est comme une carte à jouer : des toits rouges sur la mer bleue. Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouettes, non pas seulement en blanc et noir mais en bleu, en rouge, en violet. Je puis me tromper, mais il me semble que c’est l’antipode du modèle. »

En 1882 déjà, Cézanne commence à désespérer de l’Estaque. Renoir raconte : « Oh ! N’y allez pas ! se récria Cézanne, qui en revenait. L’Estaque n’existe plus ! On a mis des parapets ! Je ne peux pas voir ça. »

Notre tableau date des années 83-85. Dans l’arrière-plan, on distingue Marseille et Notre-Dame-de-la-Garde. Mais souvenons-nous que pour l’artiste, la réalité était accessoire et que son tableau devait d’abord confronter des surfaces et des volumes, comme ici la mer et le ciel d’une part, les toits du premier plan et les massifs montagneux des calanques au fond d’autre part.

Un tout petit aperçu de la monographie de Cézanne qui paraîtra le mois prochain chez VisiMuZ. Comme d’habitude, l’auteur en est un proche de l’artiste. Georges Rivière était l’autre grand-père des petits-enfants de Cézanne. Il a suivi ses amis Renoir et Cézanne dès le début de l’aventure impressionniste.

Dim : 73 x 100,3 cm
Photo VisiMuZ

09/09/2015 Après le petit-déjeuner, Childe Hassam

Childe Hassam Après le petit-déjeuner

• Après le petit-déjeuner, 1886, Childe Hassam, collection particulière

Childe Hassam (1859-1935) est l’un des premiers impressionnistes américains, co-fondateur des « Ten American Painters ». Il a passé 3 ans en France à partir de 1886 . Il est arrivé juste au moment de la dernière exposition impressionniste et va être durablement influencé par Claude Monet.

Encore au début de sa longue carrière, il avait à cette époque une prédilection pour les femmes et les fleurs. La peinture du jour a sans doute été réalisée dans la résidence d’été de son ami Ernest Blumenthal à Villiers-le-Bel. Madame Blumenthal était la fille du peintre Thomas Couture, le maître d’Édouard Manet. Elle était aussi la plus proche amie de Maud Hassam et les Hassam ont passé l’essentiel de leurs 3 étés français à Villiers-le-bel, trop désargentés pour aller plus loin, en dehors d’un unique voyage en Normandie.

La jeune servante arrose le laurier en pot, pendant que sa patronne lit le journal du matin après son petit-déjeuner. Le rituel du journal est une concession à la modernité, une pose que l’on retrouve par exemple chez Degas (La Classe de ballet, ca 1880, Philadelphie), chez Mary Cassatt (Madame Cassatt lisant Le Figaro, 1878, collection particulière ou Lydia lisant le journal, 1878-79, Norton Simon). L’arrosage se retrouve aussi par exemple chez Morisot (Jeune femme arrosant un arbuste, 1876, Virginia Museum). On voit que les sources d’inspiration ne manquaient pas pour le jeune Américain. Mais le style est plutôt puisé dans les années 70 de Monet et Renoir. Hassam louait un atelier boulevard Rochechouard dont l’occupant précédent avait été Renoir.

La composition est également très influencée par Edgar Degas et Mary Cassatt. Elle est complètement asymétrique, une caractéristique nouvelle choisie par Degas dès les années 1870. Hassam cherche à exprimer chez ces deux jeunes femmes un charme commun en dépit de la différence de position sociale. Et même si ce tableau est sous influence de ses aînés français, il en résulte une toile pleine de charme, un moment de grâce par une belle journée d’été.

Dim 73 x 101
Photo Courtesy The Athenaeum.

Augusta cousant devant une fenêtre, Mary Cassatt

Mary Cassatt Augusta cousant

• Augusta cousant devant une fenêtre, ca 1905-1910, Mary Cassatt, Metropolitan Museum of Art, New York.

Un tableau de la maturité de Mary Cassatt, la période qui la fit surnommer le «  peintre des enfants et des mères ». Intéressons-nous à son propriétaire. On ne dira jamais assez l’importance des collectionneurs dans la carrière des artistes. De l’autre côté de l’Atlantique, les Havemeyer, Stillman, Clark, Dale, ont compté pour beaucoup dans la renommée de Renoir, Degas, ou Miss Cassatt.

James J. Stillman (1850-1918) avait acheté cette toile directement à Miss Mary, comme de très nombreuses autres… Homme d’affaires new-yorkais, amoureux de Mary Cassatt, il l’aurait demandée en mariage autour de 1900. Celle-ci, qui avait alors autour de 55 ans, et était de 6 ans plus âgée que lui, déclina la proposition. Elle aurait aussi été influencée en cela par sa gouvernante et amie Mathilde Vallet qui ne voulait pas qu’elle « laisse le nom de Cassatt. » Mary et James restèrent amis et se virent souvent, surtout après que James Stillman se soit installé à Paris après sa retraite en 1909. Il acheta nombre de tableaux chez Durand-Ruel et possédait à sa mort 22 tableaux de Mary Cassatt. Mais il n’a pas osé demander à Miss Mary de réaliser son portrait et nous ne possédons que des photos de James Stillman.
Degas et lui furent les deux hommes à avoir compté dans la vie de Mary Cassatt.
Après la mort de son propriétaire en 1918, le tableau a fait l’objet d’une donation (anonyme, donc vraisemblablement par son fils James A. Stillman) au Metropolitan Museum en 1922.

Dim 80,6 x 60,3 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Scène de rue, Ernst Ludwig Kirchner

Scène de rue, Kirchner

• Scène de rue, 1913, Ernst Ludwig Kirchner, Museum of Modern Art, New York.

Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) fonda le mouvement expressionniste Die Brücke en 1905. Le groupe s’installa à Berlin en 1911 mais fut dissous dès 1913. Entre-temps Kirchner avait rencontré Erna Schilling, une danseuse de cabaret qui sera sa compagne jusqu’à sa mort. À Berlin, entre 1913 et 1915, il peignit la série des Scènes de rue, qui comprend 11 toiles, et illustre à la fois la fascination et la peur de Kirchner devant la vie nocturne berlinoise. Ici, deux prostituées élégantes sont entourées par des hommes qui les regardent furtivement. Les prostituées sont un symbole de beauté, mais aussi de la négation de la liberté humaine, de la vénalité et du danger associé à leur fréquentation. La présence de l’argent est omniprésente dans cette scène entre vêtements chics et automobile de luxe. Mais avez-vous remarqué la forme de cœur des zones éclairées en rose ? Les angles aigus, les couleurs puissantes, tout concourt à insuffler à ce tableau une énergie qui déséquilibre le spectateur.
En 1917, Kirchner s’installe à Davos en Suisse. Il se suicide en 1938. Les nazis avaient déclaré son art « dégénéré » en 1937 et détruit de très nombreuses toiles.
En 2006, le Brücke Museum à Berlin a restitué à des héritiers d’un collectionneur juif une des Scènes de rues, qui ensuite a été acquise aux enchères par la Neue Galerie à New York pour 38 millions de dollars. Une autre scène de rue plus simple a été acquise ensuite en 2009 par un collectionneur pour près de 10 millions de dollars. Seules deux des peintures de la série sont ainsi encore en mains privées, les autres sont toutes dans des musées.

07/09/2015

Dim : 120,6 x 91,1 cm
Photo wikimedia commons Kirchner_-_Die_Straße_001 Usr : Mefusbren69

Soleil levant (Marine), Claude Monet

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Saga hebdo 2/2

Soleil levant (marine), 1873, hst, 48,9 x 60 cm, Claude Monet, Getty Museum, Los Angeles , W262.

Connaissez-vous ce tableau ? Autant celui d’hier est célèbre, autant celui-ci est plus discret. Dans le catalogue raisonné de Georges Wildenstein, il porte le numéro 262 et précède donc immédiatement l’icônique « Impression, soleil levant » du musée Marmottan, que nous avons rencontré hier.
Ils ont été tous deux peints au Havre à la toute fin 1873 (ou aux premiers jours de janvier 1874). On retrouve le même fond dilué des mâts et vergues des bateaux de commerce. Le soleil est un peu plus haut et à demi-caché derrière les nuages. Au premier plan, la silhouette blanche du yacht se déhale doucement dans un vent évanescent. Grand-voile haute, yankee (foc sur le bout-dehors) et trinquette (foc entre le yankee et le mât) établis. Les teintes rosées qui éclairent la mer derrière le voilier participent à cette atmosphère poétique qui déconcerta tant les critiques de la première exposition de de la Société anonyme des peintres, sculpteurs et graveurs, en 1874. Ce tableau n’a pas été exposé lors de cette première exposition.

Mais celui-ci ne démérite pas par rapport à celui de Paris. Et ces deux tableaux pourraient, selon certains commentateurs, signifier aussi métaphoriquement, l’aube d’une ère nouvelle pour la France après la défaite de 1870 et la Commune.

Bon week-end à tous et à lundi !

05/09/2015

Photo Wikimedia commons Claude_Monet_(French_-_Sunrise_(Marine)_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot

Impression, soleil levant, Claude Monet

Impression, Soleil levant, Monet
Saga hebdo 1/2

Impression, Soleil Levant, 1873, hst, 48 x 63 cm, Claude Monet, musée Marmottan-Monet, Paris, W263.

Le tableau a été peint au Havre fin 1873 (et daté 72 postérieurement). W263 signifie le n° 263 dans le catalogue raisonné de Wildenstein. Nous en reparlerons demain.
Rappelons ce qu’a écrit Théodore Duret, l’historien des Impressionnistes (dont 2 ouvrages ont déjà été publiés chez VisiMuZ), lorsqu’il relata dès 1906 (seulement 32 ans après) la première exposition historique d’avril 1874, chez Nadar…

« …/… Jusqu’en 1874, ceux qui pouvaient s’occuper d’eux, à un titre quelconque, ne savaient comment les désigner. Un nom leur manquait. Les uns disaient les peintres de la nouvelle peinture. C’est ce titre de la « Nouvelle peinture », que Duranty, dans une brochure qui leur était consacrée, prenait personnellement ; d’autres les appelaient les Indépendants ou encore les Intransigeants. Cependant quand une chose existe, une appellation survient sûrement pour la désigner.
Au milieu des trente peintres qui se produisaient sur le boulevard des Capucines, les amis de Manet, ayant hardiment adopté la pratique des tons clairs et du plein air, attiraient surtout les regards. Claude Monet avait envoyé des toiles particulièrement caractéristiques et c’est l’une d’elles, qui allait faire surgir le nom. Il en exposait cinq, dont l’une avait pour titre : Impression, soleil levant, une vue prise dans un port. Des bateaux sur l’eau, légèrement indiqués, apparaissaient au travers d’une buée transparente, qu’éclairait le soleil rouge. Au titre Impression correspondait une touche rapide et légère et des contours fondus, dans une enveloppe générale. Cette œuvre donnait bien la formule de l’art nouveau, aussi par son titre et sa facture fit-elle naître l’expression qui paraissait le mieux caractériser les artistes, qui le représentaient, celle d’Impressionnistes.
Le mot, venu en quelque sorte spontanément sur les lèvres des visiteurs, fut pris et appliqué par Le Charivari. Le 25 avril, un de ses rédacteurs, Louis Leroy, mettait « Exposition des Impressionnistes », en tête d’un article consacré aux exposants du boulevard des Capucines. Le nom nouveau n’était du reste employé que dans le sens le plus défavorable, approprié à des hommes considérés comme ignorants et présomptueux. L’article n’était qu’une suite de railleries et de sarcasmes. Le Charivari était alors dirigé par Pierre Véron, un homme sans jugement artistique. Il faisait systématiquement bafouer Manet. Il devait repousser Forain comme dessinateur, incapable de découvrir la moindre apparence de talent dans ce qu’on lui montrait de lui. Et maintenant que les Impressionnistes survenaient, il ne laissait apparaître leur nom dans son journal qu’à titre de dénigrement…./… »

La suite de notre histoire demain…

04/09/2015

Photo wikimedia commons Claude_Monet,_Impression,_soleil_levant.jpg Usr Quibik

03/09/2015 La Sultane ou Jeune femme en costume oriental, Édouard Manet

Édouard Manet - Sultane

• La Sultane ou Jeune femme en costume oriental, ca 1871 et 1876, Édouard Manet, fondation Bührle, Zürich.
Cette « Jeune femme en costume oriental » est tout à fait particulière dans l’œuvre de Manet. Les influences du peintre étaient plus souvent espagnoles, hollandaises et enfin japonaises. À l’époque où le Tout-Paris bruissait des charmes de l’Orient, de Gérôme à Renoir, à la suite de Delacroix, Manet s’est tenu à l’écart de cette mode liée à l’Algérie (déclarée territoire français depuis 1848) et aux harems ottomans fantasmés. À l’écart… sauf dans le cas de notre tableau du jour qui reste mystérieux. Le modèle est resté inconnu. S’agissait-il d’une de ces conquêtes que Manet faisait sur les Boulevards, ou d’une bourgeoise délurée lui ayant demandé son portrait ? Cette dernière hypothèse est peu crédible, car Manet a mis en vente le tableau (500 francs) puis l’a donné au critique Adrien Marx.
Un tableau à retrouver avec d’autres tableaux de charme du peintre dans sa biographie par Théodore Duret, chez VisiMuZ bien sûr.
Retrouvez ici l’Histoire d’Édouard Manet et de son œuvre !

Dim : 96 x 74,5 cm Photo commons Edouard_Manet_035.jpg Usr Eloquence

Note en passant : vu il y a quelques semaines à Orsay le beau et triste Angelina du même Manet, arrivé au musée du Luxembourg dès 1894 avec la donation Caillebotte. Mais aucun cartel n’indiquait le titre, le peintre, l’année. Cet oubli a eu au moins un avantage. Personne devant le tableau, dans une salle pourtant surpeuplée. L’art n’est-il parfois qu’une question de noms ?

02/09/2015 Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

• Forêt tropicale avec singes, 1910, Henri Rousseau dit le Douanier Rousseau, National Gallery of Art, Washington (DC)

Ce tableau a été peint dans les derniers mois de la vie de l’artiste. Rousseau avait l’habitude d’inventer ses paysages luxuriants et de copier les animaux sur un répertoire d’images (albums publicitaires des Galeries Lafayette, du chocolat Menier…) ce qui leur donnait une grande précision.. sauf les singes. Les lignes de leur corps, cachées par les poils, lui semblaient plus faciles à reproduire, et il les créait sans modèle. Le résultat en ressort d’autant plus personnel, maladroit d’un point de vue naturaliste, avec des faces presque humaines. Les 2 singes du bas semblent se servir des deux cannes vertes comme des humains se servent de cannes à pêche amplifiant l’anthropomorphisme des animaux et une vision occidentale de la jungle telle qu’Hergé nous la présentera 21 ans plus tard (seulement) dans « Tintin au Congo ».

Dim : 129,5 x 162,5 cm
Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)