Femme au tub, Edgar Degas

Femme au tub, Edgar Degas

Femme au tub, ca 1886, pastel sur papier bleu-gris, 69,9 x 69,9 cm, Edgar Degas, Hill-Stead Museum, Farmington (CT)

Mais qui êtes-vous donc monsieur Degas ? En 1886 vous avez 52 ans, vos relations vous décrivent comme un vieux célibataire ronchon, collectionneur de dessins (Ingres, …). Vous exposez votre première série de nus à la huitième et dernière exposition des impressionnistes. Les journalistes évoquent votre « mysoginie cruelle », votre « réalisme brutal ».

Huysmans parlera même de votre « accent particulier de mépris et de haine ». Devant les sarcasmes des critiques et du public, vous vous refermez encore plus et renoncez à exposer. On ne découvrira donc vos sculptures qu’après votre mort, dans votre atelier.
Le tub, cette grande bassine en zinc destinée à la toilette est dans votre atelier et vous ne vous lassez pas de guetter tous les gestes les plus anodins et en même temps les plus intimes de vos modèles qui se lavent devant vous. Votre connaissance de l’anatomie est grande, vous l’avez affinée en regardant les danseuses s’entraîner. Vous êtes un voyeur, et l’assumez puisque vous avez avoué à votre ami Georges Moore, « C’est comme si vous regardiez à travers le trou de la serrure ». Mais vous êtes un prince de la lumière, vous en jouez sur la peau de vos modèles, comme ici avec ces reflets somptueux. Vous opposez les couleurs entre elles. Vous composez vos pastels comme un dessin au crayon et par des jeux de hachures vous créez des contrastes exceptionnels.
Gustave Coquiot, dans la biographie pourtant critique qu’il fit de vous, reste cependant un admirateur définitif de vos nus et nous dit : « C’est parce qu’il n’en pensait pas tant, qu’il a pu dessiner, lui, Degas, de si réjouissantes, de si savoureuses baigneuses. Des batraciennes, plutôt ! Car, assurément, ce sont bien, interprétées par lui, d’alertes “grenouilles”, offrant dos, ventres, levant bras et jambes, avec une merveilleuse souplesse. » Alors mysogine peut-être, mais à la manière d’un Sacha Guitry, « contre les femmes, tout contre ».

Alors ne regardons plus par le trou de la serrure avec un seul tableau mais regardons tout Degas, dans sa monographie chez VisiMuZ, avec plus de 200 tableaux.

25/01/2015

Photo wikimedia commons Edgar_Germain_Hilaire_Degas_032.jpg Usr Eloquence

Paix éternelle, Isaac Levitan

Paix éternelle, Isaac Levitan

Paix éternelle, 1894, hst, 150 x 206 cm, Isaac Levitan, Tretiakov Gallery, Moscou.

Isaac Levitan (1860-1900) est un peintre trop peu connu. Nous avions envie de vous montrer un de ses tableaux. Vingt ans plus jeune que les impressionnistes français, de l’âge de Seurat ou Signac, ami proche de Tchekhov, Levitan est un paysagiste important. Dans un pays où, à cette époque, les Juifs étaient persécutés, sa proximité avec le tsar Alexandre III lui a permis de rester à Moscou. Son succès a été bref, puisqu’il a été emporté par la maladie à 40 ans. Il avait voyagé en France en 1889, où il découvrit d’abord Courbet, Corot et Daubigny. Il retourna en France en 1890, puis en 1894. Il a été exposé à l’Exposition Universelle de Paris en 1900. Son œuvre comprend plusieurs centaines de tableaux qui pour l’essentiel sont en Russie. Ce sont en général des paysages de bords de lac, de rivières et de forêts, des vues panoramiques dans lesquelles la lumière est souvent froide (comme ici), et engendre une certaine mélancolie, ou à tout le moins une rêverie. Il souhaitait capturer l’âme russe en communion avec la nature. Ici la petite chapelle et le cimetière (abandonné ?) au premier plan se trouvent en surplomb du lac et un ciel lourd, annonciateur d’orage occupe plus de la moitié de l’espace pictural.

Avez-vous noté la petite flamme qui se trouve dans la petite fenêtre de la chapelle, seule trace d’une existence humaine dans ce tableau ?

23/01/2016

Photo wikimedia commons Levitan nad vech pok28 Usr : Alex Bakharev

L’Été, Mary Cassatt

L'Été, Mary Cassatt

L’Été, 1894, hst, 73,7 x 93,5 cm, Mary Cassatt, Hammer Museum, UCLA School of the Arts and Architecture, Los Angeles (CA), BrCR240

Une jeune femme et une fillette observent cinq canards. Si Mary Cassatt était, comme l’a écrit son biographe Achille Ségard, d’abord le peintre des enfants et des mères, elle aimait, en bonne impressionniste, travailler à l’extérieur, « sur le motif » comme disait Cézanne. Pour être tranquille, et avoir suffisamment de place et de variété dans ses compositions, elle a acheté le château de Beaufresne, au Mesnil-Théribus (Oise). Elle y passait les mois d’été tout en pouvant, à partir de 1900, rejoindre en deux heures, en automobile, son domicile parisien, proche des Champs-Élysées [10, rue Marignan depuis 1887].

Alors que dans certains de ses tableaux de la même période elle se rapproche des techniques des nabis (grands aplats uniformes de couleur – par exemple Promenade en Bateau (Antibes) à la NGA Washington), elle reste fidèle ici à une technique plus impressionniste, en virgules pour la surface de l’eau, aux harmonies complémentaires.

Elle n’a pas oublié de mettre un peu d’orangé, de marron, et de lavande pour accentuer la lumière.

Jour d'été, Berthe Morisot

Jour d’été, 1879 , hst, 45,7 x 75,2 cm, Berthe Morisot, National Gallery, Londres (dépôt de la Tate Gallery), Catalogue CMR 79.

En cet été 1879, Berthe Morisot est maman d’un petit bébé de 10 mois (Julie Manet). Il n’est pas question de voyager trop loin. Alors Berthe va peindre au bois de Boulogne. Elle aime peindre des personnages en plein air et elle fait poser des jeunes femmes. Sont-elles des modèles professionnelles ? des relations de l’artiste ? Ce tableau a été peint 15 ans avant le précédent. La remarque sur les contrastes de couleurs du tableau précédent s’applique évidemment aussi à celui-ci.

La comparaison des deux tableaux permet de voir à quel point Berthe est impressionniste par excellence. Son dessin est moins précis que celui de Mary Cassatt, moins réaliste, mais le charme qui s’en dégage, s’il est différent n’est en rien inférieur.

Le tableau de Berthe Morisot fait intervenir le spectateur avec cette jeune femme qui regarde le peintre, donc le spectateur, alors que celui de Miss Cassatt nous laisse à l’extérieur de l’intimité de la jeune femme et son enfant. Le spectateur complice ? ou voyeur ? À vous de choisir !

Retrouvez tous les tableaux de Cassatt ICI et ceux de Morisot ICI

21/01/2016

Photos wikimedia commons
1 Berthe_Morisot_-_Sommertag_-_1879.jpeg Usr Mefusbren69
2 Mary_Cassatt_-_Summertime_-_1894.jpg Usr Jan023

La Neige, Boulevard de Clichy, Paul Signac

La Neige, boulevard de Clichy, Paul Signac

La Neige, boulevard de Clichy, 1886, hst, 46 x 65 cm , Paul Signac, Institute of Art, Minneapolis

En 1886, Paris a déjà été profondément transformée. Le percement des avenues, le gaz, l’électricité sont apparus (mais l’éclairage électrique n’arrivera boulevard de Clichy qu’en 1889). Encore 15 ans et ce seront les premières voitures automobiles. Paul Signac (1863-1935) est en encore tout jeune, il n’a que 23 ans. Il travaille avec Seurat et Pissarro depuis 2 ans environ et ils mettent au point le divisionnisme (ou pointillisme). Ce n’est que le 19 septembre de cette année 1886 que le terme « néo-impressionnisme » apparaîtra (sous la plume de Félix Fénéon). En 1886, Van Gogh arrive aussi à Paris et il va y découvrir la couleur. Il deviendra l’ami de Signac en janvier 1887.

Notre tableau réalisé en janvier 1886 et repris avec une touche plus pointilliste en avril-mai est exposé en mai. Dans la Revue Moderne du 20 juin, Jean Ajalbert écrit : « Au boulevard de Clichy, la bourrasque tourbillonnante accroche de la neige aux arbres, aux maisons, aux tramways. Le paysage lilas-mauve, violet, s’opalit au loin ; autour du poste de secours, dont le réverbère de verre rouge apparaît sur la façade rayée d’alternatives bandes de briques blafardes ou sanguinolentes ».

Signac peindra peu de paysages de neige, il préférait la mer. Mais dans cet hiver 85-86, il réalisa sur ce thème quelques chefs-d’œuvre. Charles Angrand en 1901 lui reprochera de ne pas avoir plus poursuivi dans cette voie : « Vous avez trop peu d’effets de neige dans votre vie ». Mais les quelques tableaux qu’il nous a laissés sont assez remarquables.

18/01/2016

Photo wikimedia commons Paul_Signac_-_Snow,_Boulevard_de_Clichy,_Paris_-_Google_Art_Project Usr Dcoetzee

Falaises à Penarth, soir, marée basse, Alfred Sisley

Falaises à Penarth, soir, marée basse, Alfred Sisley

Falaises à Penarth, soir, marée basse, 1897, hst, 54 x 65 cm, Alfred Sisley, musée national du pays de Galles, Cardiff

Alfred Sisley (1839-1899) ou le blues du peintre à l’automne de sa vie. Alfred Sisley n’a pas vraiment connu le bonheur, la souffrance a été son lot quotidien, plus ou moins forte selon les périodes, même s’il a trouvé un peu de répit dans sa maison de Moret.

En juin 1897, le geste d’un mécène, François Depeaux, industriel à Rouen, lui permet de revoir l’Angleterre de ses parents (lui est né à Paris). M. Depeaux a invité le peintre à l’accompagner à Londres puis il lui paya un séjour de 4 mois au pays de Galles en lui achetant d’avance quelques paysages. Alfred est accompagné de sa compagne de toujours Eugénie Lescouezec et de leur fille Jeanne. Il en profite pour se marier le 5 août à Cardiff (attention : wikipedia à la suite de François Daulte, indique qu’il s’était marié en 1866, nous avons, avec d’autres, corrigé ces éléments). Ces quatre mois sont un répit avant la fin. Sa femme décèdera d’un cancer le 8 octobre 1898 et il la suit le 29 janvier 1899.

Ses lettres montrent que pendant son séjour il n’avait rien perdu de son enthousiasme devant le « motif ». Il cherche toujours à étudier les effets de la lumière entre le sable et l’eau, et, sur ce tableau, les effets de la lumière du soleil rasant le soir. Les tons pastel évoquent des moments de grande sérénité.

Lorsqu’il expose ses toiles du Pays de Galles à la fin 1897, la presse en parle… enfin, pourrions-nous dire ! Nous avons retrouvé cet article, et les tableaux qui à l’époque étaient évoqués, sans être illustrés.

Ainsi le commentaire de notre tableau du jour (par un journaliste et critique resté inconnu), le troisième parmi les œuvres exposées, était le suivant.

« Je ne peux quitter cette falaise de Penarth, étudiée sous ses aspects les plus variés avec un souci aussi scrupuleux des spectacles de la nature, sans arrêter le lecteur à la troisième toile la représentant au soleil couchant. L’air est maintenant lavé et limpide : le soleil a brillé tout le jour ; le soir venu, son grand disque d’or a disparu derrière l’horizon en ne laissant sur l’eau somnolante et dans le ciel qu’un ton rose, assez vif, mais bien près de s’abolir dans l’ombre vespérale où les phares de la côte s’allument. La grève s’assombrit et déjà la falaise où la nuit va descendre se prépare au sommeil. Ainsi est, pour la troisième fois, représentée cette attirante falaise de Penarth.

Aucune description ne saurait donner l’idée de la façon dont ce peintre a exprimé les trois aspects si différents de ce même paysage. …/… Seul, il possède ce grand et tout premier art de donner un intérêt à des épisodes si disparates de la vie même des choses. Ne serait-ce pas une coquetterie d’artiste de laisser au spectateur peu fortuné le regret de ne pouvoir acquérir toute la collection d’un paysage surpris dans trois atmosphères si différentes ? »

En cette année 97, quelques centaines de francs suffisaient pour acheter un Sisley. 14 ans plus tard, l’Inondation à Port-Marly atteignait 43 000 francs à la vente Camondo. Mais Sisley n’en a jamais profité.

Les 200 autres tableaux de Sisley sont à retrouver ICI.

16/01/2016

Photo Courtesy The Athenaeum, roscdad.

Champ de blé près de Carantec, Alexej von Jawlensky

Champ de blé près de Carantec, Alexej von Jawlensky

Champ de blé près de Carantec, 1905, hsc, 49 x 52,5 cm, Alexej von Jawlensky (1868-1941), musée de l’Albertina, Vienne

Durant deux ans (1905-1906), Alexej von Jawlensky a travaillé à Carantec, en Bretagne, où il vivait avec la mère de son fils, Hélène Neznakomova, et sa compagne officielle la peintre Marianne von Werefkin. Jawlensky avait quitté la Russie (et l’armée russe, dont il était capitaine) en 1896 pour l’Allemagne.

En 1905, grâce à l’intervention de Diaghilev, Jawlensky envoya six toiles au Salon d’automne (salle XV, accrochage en compagnie de Kandinsky). Il y fait alors la connaissance de Matisse et des Fauves qui exposent salle VII. Les Fauves et l’Expressionnisme se rencontrent et s’influencent.On se souvient que 1905 est l’année de l’apparition de la « cage aux fauves » dont nous avons parlé dans un précédent article – ICI.

En 1912, retourné en Allemagne, Jawlensky fondera avec Marianne von Werefkin, Vassily Kandinsky, Gabriele Münter, Franz Marc, le groupe Der Blaue Reiter (Le Cavalier bleu). Cette toile est exposée à Vienne, au musée de l’Albertina. Celui-ci était originellement un musée dédié aux dessins. Mais depuis la donation Batliner, on peut y voir une très belle collection d’art moderne

12/01/2016

Photo VisiMuZ

Portrait(s) du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du Dr Gachet, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 67 x 56 cm, Vincent van Gogh, collection particulière Ryoei Saito ?, Tokyo.

Portrait du Dr Gachet v2, Vincent van Gogh

Portrait du docteur Gachet, juin 1890, hst, 68,2 x 57 cm, Vincent van Gogh, musée d’Orsay

Cet article est une réalité virtuelle. Jamais, dans le monde réel, ces deux portraits n’ont pu être accrochés l’un à côté de l’autre.

Le docteur Gachet a suivi Vincent pendant les quelques mois qu’il a passés à Auvers. La pose du médecin est mélancolique. Est-ce un aveu d’impuissance par rapport à son patient, quelques semaines avant sa mort ? Paul Gachet tient dans la main une branche de digitale pourpre, plante dont est tirée la digitaline, un médicament. Elle identifie donc le personnage en tant que médecin.

Le premier tableau est l’original. Il est dit aussi « aux livres ». Vincent en parle dans une lettre, ornée d’un croquis, du 3 juin 1890 à Théo : « Je travaille à son portrait la tête avec une casquette blanche très blonde très claire les mains aussi à carnation claire un frac bleu et un fond bleu cobalt appuyé sur une table rouge sur laquelle un livre jaune et une plante de digitale à fleurs pourpres …/… M. Gachet est absolument fanatique pour ce portrait et veut que j’en fasse un de lui si je peux absolument comme cela ce que je désire faire aussi. »

Notre tableau a gagné un surcroit de notoriété le 15 mai 1990 à New York. Mis en vente chez Christie’s, il a fait l’objet d’une bataille d’enchères et d’egos pour atteindre le prix fabuleux de 75 millons, soit 82.5 millions de dollars avec les frais. Il partira alors pour Tokyo et restera le tableau le plus cher du monde jusqu’en 2012 (date à laquelle un Cézanne le remplacera et depuis les records ont été battus deux fois en 2015, par Picasso pour les ventes publiques et le Gauguin de Bâle pour les ventes de gré à gré). De 1961 à 1984, on a pu voir cette toile au Metropolitan Museum auquel il avait été prêté.

Depuis 20 ans, c'est dire depuis la mort de Ryoei Saito en 1996, on ne sait plus où se trouve le tableau. Est-il dans les coffres d’une banque japonaise, créancière de Monsieur Saito ?

Mais l’histoire extraordinaire de la toile a commencé très tôt. Vendue par Jo, la veuve de Théo, en 1897 à Vollard pour 250 francs, elle est acquise finalement en 1911 par le Städel Museum à Francfort. Quand une œuvre entre dans un musée, le plus souvent, elle y reste.

Mais… en 1933 les nazis le décrochent. C’est pour eux de l’ « art dégénéré ». Hermann Goering s’en empare et le vend à une galerie d’Amsterdam. Il a été ensuite acheté par Siegfried Kramarsky, financier new-yorkais né en Allemagne, et conservée dans sa famille jusqu’à la vente de 1990.

Le tableau du musée d’Orsay est une réplique du précédent. La pose est approximativement la même mais les couleurs et la touche très différentes. Il est (heureusement) connu par une photo du galeriste Druet, qui avait pris une photo volée au salon des Indépendants en 1905.

Comme Vincent n’avait pas commenté cette réplique (ou qu'une lettre a été perdue), certains avaient mis en doute l’authenticité de cette toile. Mais la réalité est plus simple. L’original était destiné à Théo pour la vente. Et comme Gachet voulait le garder, il en a demandé une réplique à Vincent. Comment Vincent aurait-il pu dire non alors qu’il l’avait fait dans d’autres cas ? Mme Roulin par exemple ! Le Dr Gachet fils appelait ce portrait le « duplicatum ». La réplique est un peu moins fouillée, peut-être Vincent a-t-il voulu aussi simplifier pour obtenir plus de force expressive !

L’histoire ensuite est beaucoup plus classique, de Paul Gachet fils au musée du Louvre en 1949, et maintenant au musée d’Orsay.

Retrouvez les tableaux peints à Auvers et tous les autres, ainsi que la vie de Vincent dans la monographie publiée par VisiMuZ, ICI.


10/01/2016

Photo 1 wikimedia commons Van_Gogh_-_Bildnis_Doktor_Gachet Usr Mefusbren69
Photo 2 wikimedia commons File:Vincent_van_Gogh_-_Dr_Paul_Gachet_-_Google_Art_Project.jpg Usr Paris 16

Jeanne Hébuterne, Amedeo Modigliani

Jeanne Hébuterne, Amedeo Modigliani

Jeanne Hébuterne, 1919, hst, 91,4 x 73 cm, Amedeo Modigliani, Metropolitan Museum of Art, New York, catalogue Ceroni n° 326.

Nous sommes en mars 1917. Sur le front, la guerre s’enlise au fond de tranchées boueuses, mais à Paris, on fête le carnaval. Après avoir habité à Montparnasse, Amedeo vit maintenant à Montmartre (place Émile-Goudeau) et s’est costumé pour la fête en Pierrot. Ce soir-là une amie sculptrice, Chana Orloff, présente à Amedeo une amie à elle, une très jeune femme – elle a 19 ans – costumée. Elle porte un poncho et des bottes. Elle a dessiné, peint et cousu son déguisement elle-même.

Elle s’appelle Jeanne Hébuterne et est étudiante à l’académie Colarossi dans le 6e arrondissement, là même où Modi s’était inscrit à son arrivée à Paris en 1906. La beauté de Jeanne ne passe pas inaperçue. Son teint très pâle, contrastant avec sa chevelure auburn, lui a valu le surnom de « Noix-de-coco ».

C’est le coup de foudre, la nuit est longue et ils décident très vite de vivre ensemble. Modi va alors changer de rive, quitter Montmartre et retourner à Montparnasse. Ils emménagent au 8, rue de la Grande Chaumière (l’académie Colarossi est au 10, dans la même rue). Modi a rencontré l’amour fou mais sa santé ne s’améliore pas. La tuberculose s’est déclarée et le médecin va l’envoyer dans le midi au début de 1918. Une petite Jeanne (1918-1984) naîtra le 29 novembre 1918 à Nice

Le peintre rentre à Paris le 31 mai 1919. Les deux Jeanne le rejoindront en juin. Modigliani a son atelier rue de la Grande Chaumière. Tout près se trouvent son marchand Léopold Zborowski et son ami Moïse Kisling (rue Joseph-Bara).

À son retour à Paris , il reste à Modi un peu plus de sept mois à vivre pendant lesquels il va peindre une quarantaine de toiles. Il se restreint alors aux gens qu’il aime et à ses amis : Léopold Zborowski (2 fois) et sa femme Hanka Zborowska (4 fois), leur amie Lunia Czechowska (6 fois), sa petite voisine Paulette Jourdain (1 fois), et puis Jeanne, encore et toujours.

En juillet, il signe devant témoin une promesse de mariage, qu’il n’aura pas le temps et le loisir d’honorer.

« Je m’engage aujourd’hui, 7 juillet 1919, à épouser Mademoiselle Jeanne Hébuterne, aussitôt les papiers arrivés. ».
Signé : Amédée Modigliani, Léopold Zborowski, Jeanne Hébuterne, Lunia Czechowska.
Daté : 7 juillet 1919

Pendant ces quelques mois, Modi va réaliser au moins 12 portraits de Jeanne dont notre tableau du jour. Sa blouse évasée cache un petit ventre arrondi. Jeanne est alors enceinte de leur 2e enfant. Sa vie s’arrêtera juste après celle de Modigliani, le 25 janvier 1920. Elle avait 21 ans.

Jeanne n’était pas que « la femme de ». Elle était une artiste en devenir et il nous reste une douzaine d’œuvres de sa main dont cet autoportrait. Sa dernière localisation connue était la collection Oscar Ghez (musée du Petit-Palais, Genève, fermé).

Autoportrait, Jeanne Hébuterne

Autoportrait, ca 1916-1917, huile sur carton, 50 x 33,5 cm, Jeanne Hébuterne.

Signalons pour finir qu’une exposition « Amedeo Modigliani, l’œil intérieur » aura lieu bientôt à partir du 27 février 2016, au LAM à Villeneuve d’Asq.

08/01/2016

Photo 1 VisiMuZ
Photo 2 wikimedia commons File:Jeanne_Hébuterne_-_Autoportrait.jpg

Jour de pluie, Boston, Childe Hassam

Jour de pluie, Boston, Childe Hassam

Jour de pluie, Boston, 1885, hst, 66,2 x 122 cm , Childe Hassam, Toledo Museum of Art, Toledo (OH)

En cette année 1885, Childe Hassam (1859-1935) habitait à Boston avec sa jeune femme Kathleen Maud. Il habitait au 282, Colombus Avenue, au sud de la ville. Il aimait le côté urbain du quartier, à l’époque très nouveau aux États-Unis. « La route était entièrement recouverte d’asphalte, et je pensais souvent qu’elle était jolie lorsqu’elle était mouillée et luisante, qu’elle reflétait les passants et les véhicules de passage. » a-t-il alors déclaré.

Le reflet des briques et du ciel sur l’eau donne une teinte rosée à toute la scène. Le peintre arrive également à mettre de l’humidité dans l’air et la pluie trouble l’atmosphère (par exemple dans les personnages du second plan). À cette époque, Hassam n’est pas encore le leader de l’impressionnisme américain qu’il va devenir, qui va saturer ses toiles de lumières et de contrastes. La touche ici est aussi plus classique, proche des réalistes. Bien évidemment, la critique bostonienne a violemment critiqué ce tableau lors de sa présentation, la soi-disant banalité du sujet empêchant que cette peinture soit de l’art.

Deux ans auparavant, Hassam a séjourné en France et il a eu le temps de voir et d’apprécier le nouveau Paris créé par le baron Haussmann, avec ses perspectives urbaines dont la municipalité de Boston s’est aussi inspirée. Mais il nous paraît vraisemblable que l’idée de la composition lui est venue d’un autre tableau, celui-là par Gustave Caillebotte.

Rue de Paris, temps de pluie avait été présenté à la 3e exposition impressionniste en avril 1877. Sans avoir de certitude, il nous paraît vraisemblable que Childe Hassam l’ait vu durant son séjour à Paris.

Rue de Paris, temps de pluie, Gustave Caillebotte

Rue de Paris, temps de pluie, 1877, hst, 212,2 x 276,2 cm, Gustave Caillebotte, Art Institute de Chicago, Chicago (IL)

La présence dans les deux tableaux des lampadaires à gaz ancre les compositions dans la modernité. De même, dans les deux cas, la répétition de bâtiments identiques introduit un rythme particulier. Comme chez Caillebotte, le cadrage chez Hassam est asymétrique, une audace qui rompt avec le parallélisme classique, mais la scène apparaît moins figée chez Hassam que chez Caillebotte. Le trait moins net, moins « ligne claire » chez Hassam fait que ce dernier nous apparaît plus classique et moins révolutionnaire que Caillebotte. Mais le charme de notre tableau du jour tient aussi aux reflets nacrés de l’asphalte.

Si le tableau de Caillebotte est immense, invitant le spectateur à se confronter avec des personnages de même taille que lui, le cadrage chez Hassam est également très particulier, introduisant une vision panoramique, très loin des canons de l’époque pour la peinture de paysage (une toile P50 mesurerait 81 x 116 cm alors que nous sommes ici à 66 x 122 cm).

Childe Hassam, amoureux de Paris, va y retourner dès l’année suivante pour y vivre 3 ans.

06/01/2015

photos wikimedia commons

1 – Gustave_Caillebotte_-_Paris_Street;_Rainy_Day_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot
2 – Childe_Hassam_-_Rainy_Day,_Boston_-_Google_Art_Project.jpg Usr INeverCry

Neige tombant dans l’allée, Edvard Munch

Neige tombant dans l'allée, Edvard Munch

Neige tombant dans l’allée, 1906-08, hst, 80 x 100 cm, musée Munch, Oslo.

Notre tableau du jour correspond à une époque complexe dans la vie de Munch. Comme peintre, il est célèbre, il a été à la source de différents scandales dans la décennie précédente, comme à Berlin le 5 novembre 1892, puis a été célébré à l’aube du siècle un peu partout en Europe. Mais sa vie personnelle a été terrible. Nous en avions parlé ici. Ce tableau a-t-il été terminé avant ou après son séjour de huit mois en 1908 dans une clinique à Copenhague pour dépression et hallucinations ?

En tout cas, aucune faiblesse ne transparaît dans cette toile à la composition intemporelle. Les personnages (des enfants  ?) au premier plan sortent du cadre, une attitude qui renforce la dynamique de la scène et invite le spectateur à entrer dans le tableau.

Vous souvenez-vous du tableau de Ferdinand Hodler : La Route d’Évordes, que nous avons publié en novembre (ici) ? Entre 1890 (date du tableau de Hodler), et 1906-1908 (date de notre tableau du jour), les mouvements se sont succédés sans arrêt. Entre les Nabis, les symbolistes, l’expressionnisme, les Sécessions berlinoise, munichoise et viennoise, puis Die Brücke et Les Fauves français, l’approche du tableau a évolué dans de nombreuses directions. Mais il existe des invariants en peinture, et en particulier la composition reprenant une route qui disparaît au loin. Elle est un grand classique depuis le XVIIe siècle, comme nous l’avons vu avec le tableau de Hodler et la référence à Meindert Hobbema (ici).

04/01/2016

photo Courtesy The Athenaeum, Irene.

Avec tous nos vœux pour 2016 !

Voeux 2016
Chères lectrices, chers lecteurs,

NOUS VOUS SOUHAITONS UNE EXCELLENTE ANNÉE 2016 !

Nous ferons de notre côté le maximum pour vous apporter du plaisir avec les plus beaux tableaux et leur histoire, en profitant des atouts du numérique, sur notre site et dans nos collections d’e-books Beaux-Arts.

À très bientôt pour de nouvelles aventures !

La Modiste, Mlle Margouin, Henri de Toulouse-Lautrec

<i>La Modiste, M<sup>lle</sup> Margouin</i>, Toulouse-Lautrec

La Modiste, Mlle Margouin, 1900, hsp, 61 x 49,3 cm Henri de Toulouse-Lautrec, musée Toulouse-Lautrec, Albi

Le tableau du jour nous renvoie à un imaginaire d’une richesse exceptionnelle.

L’environnement

Le Paris de la Belle Époque est celui de l’élégance et de la mode. Pour habiller ces dames, les boutiques de modes sont indispensables. On n’en compte pas moins de 2400 dans Paris à l’orée du XXe siècle.

La vie de Lautrec

En 1899, Lautrec a été interné dans la clinique du docteur Sémelaigne à Neuilly de la fin février au 17 (ou avant le 20) mai pour alcoolisme. Une fois sorti, il est toujours accompagné de l’amiral Viaud chargé de l’empêcher de boire. Ses amis cherchent aussi à le distraire pour le faire penser à autre chose. Ils l’entraînent dans les maisons de couture autour de la rue de la Paix.

Le modèle

L’une de ces maisons de couture est tenue par Renée Vert, la maîtresse du peintre et graveur Adolphe Albert. La modiste ici représentée serait Louise Blouet, dite d’Enguin, employée et mannequin chez Renée Vert (d’après les témoignages d’époque de Maurice Joyant entre autres). Sa chevelure rousse a été certainement pour beaucoup dans le choix de Lautrec de son modèle. Le peintre depuis les années 80 ne conçoit ses modèles féminins que roux.

Le tableau est souvent également appelé Mlle Margouin, un margouin étant à cette époque un mannequin en argot.

La composition et le tableau

Le moins que l’on puisse dire est que le thème de la modiste a eu beaucoup de succès en peinture entre 1880 et 1914. On peut rapprocher notre tableau de Chez la modiste par Renoir en 1878 (Fogg Art Museum, Harvard), par Manet en 1881 (San Francisco), par Paul Signac en 1885 (fondation Bührle, Zurich), de nombreux tableaux d’un Degas qui impliquait souvent Mary Cassatt dans ses compositions (par exemple Chicago, Met, MoMA, SLAM, etc..), d’une modiste d’Éva Gonzalès en 1877 (Chicago), de Félix Vallotton en 1894. Le début XXe siècle ne sera pas en reste avec Macke, Kirchner ou encore Picasso.

Pourtant, Lautrec, qui avait si souvent défrayé la chronique, nous donne ici un tableau extrêmement classique, un chef d’œuvre de clair-obscur que n’aurait pas renié Rembrandt. Mais il n’a pas oublié les leçons de la théorie des couleurs et, pour accentuer la lumière, baigne la chevelure rousse et les tons chauds du bois dans une débauche de vert. Mlle Blouet est représentée de profil, les chapeaux faisant comme l’ombre de sa tête et sa coiffure.

Louise a inspiré à Lautrec l’un de ses dernières passions. Hors de sa présence, il l’appelait Croquesi-Margouin. « Croquez-y » lui conseillaient ses amis. Pour réaliser son tableau, il a utilisé un panneau de bois, loin du carton dont il usait le plus souvent.

Et comme souvent, il transforme ici ce qui n’était au départ qu’un portrait individuel en une célébration plus universelle de la féminité et de l’élégance.

Le musée Toulouse-Lautrec, à qui le tableau a été légué par Maurice Joyant, donne une explication beaucoup plus politiquement correcte. Croquesi viendrait selon le musée de croquer, esquisser. Hmm ! Vous y croyez, vous ?

30/12/2015

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad