Tête de femme (au chignon), Amedeo Modigliani

Tête de femme (au chignon) Amedeo Modigliani

Tête de femme (au chignon), 1911-1912, Amedeo Modigliani, collection Merzbacher, Zürich

On connaît mieux le Modigliani peintre que le sculpteur. Et pourtant ! Que serait-il advenu de son œuvre si sa santé délicate ne lui avait interdit de continuer à sculpter ? En effet, sa tuberculose, jamais réellement soignée, s’aggravait avec la poussière de la pierre qu’il était amené à respirer. Mais revenons au début.

En 1909, Modi a passé l’été à Livourne avec Brancusi. Il l’a emmené à Carrare voir la taille du marbre. Des témoins de l’époque auraient aussi vu Modigliani jeter une nuit des sculptures dans le canal des Hollandais à Livourne.

À son retour à Paris, Amedeo ne veut être rien d’autre qu’un sculpteur. L’année suivante, il trouve un atelier de sculpteur à Montparnasse à « La Ruche ».
Adolphe Basler (1878-1949) était un écrivain et critique d’art franco-polonais, qui a fréquenté Amedeo dès 1909. Son Modigliani paraît en 1931 à Paris, il y raconte les débuts parisiens de l’artiste [N.B. : nous avons respecté le texte originel].

« La sculpture nègre le hantait et l’art de Picasso le tourmentait. C’était le moment où le sculpteur polonais Nadelmann[*] exposait ses oeuvres à la galerie Druet[**]. Le principe de la décomposition sphérique dans les dessins et les sculptures de Nadelmann précéda, en effet, les recherches ultérieures de Picasso cubiste. Les premières sculptures de Nadelmann, qui émerveillaient Modigliani, furent pour lui un stimulant. Sa curiosité vers les formes créées par les Grecs archaïques et vers la sculpture khmère, que l’on commençait à connaître dans le milieu des peintres et des sculpteurs ; et il s’assimila beaucoup de choses, tout en réservant son admiration à l’art raffiné de l’Extrême-Orient et aux proportions simplifiées dans les sculptures nègres.

Pendant plusieurs années, Modigliani ne fit que dessiner, tracer des arabesques rondes et souples, rehausser à peine d’un ton rosé les contours élégants de ces nombreuses cariatides, qu’il se promettait toujours d’exécuter en pierre. Et il acquit un dessin très sûr, très mélodieux, en même temps d’un accent personnel, d’un grand charme, sensible et plein de fraîcheur. Puis, un jour, il se mit directement dans la pierre figures et têtes. Il ne tint le ciseau que jusqu’à la guerre, mais les quelques sculptures qui restent de lui laissent entrevoir plus qu’un soupçon de ses grandes aspirations. Il affectionnait les formes sobres, mais non pas tout à fait abstraites dans leur concision schématique.

L’époque où Modigliani suivit sa vocation de sculpteur fut une époque heureuse pour lui. Son frère, en lui accordant quelques subsides, lui permit de travailler tranquillement. S’il buvait et tombait souvent dans des états inquiétants, la chose demeurait sans conséquence.
Il se remettait vite au travail, car il aimait son métier. La sculpture fut son unique idéal et il fonda sur elle de grands espoirs. Je puis dire que je ne l’ai vraiment apprécié qu’à cette période de sa vie. »

Les sculptures de Modigliani sont donc en nombre très faible (25 numéros). Nous vous laissons apprécier aujourd’hui celle qui est la numéro IX, en grès.

Mais les fantasmes des uns et des autres sur ces sculptures ont aussi créé en 1984 un canular fabuleux. On avait retrouvé les sculptures de Modi en draguant le canal des Hollandais à Livourne. La mystification éclata bientôt et le scandale fut immense (détails sur wikipedia).

[*] Elie Nadelman (1882 Varsovie -1946 Riverdale (NY)), a vécu à Paris de 1904 à 1914 avant d’émigrer aux États-Unis. Longtemps oublié, il a été redécouvert et ses sculptures se trouvent aussi bien au Metropolitan Museum qu’au MoMA à New York. voir wikipedia (en anglais)
[**] 1909.

04/11/2015

Dimensions inconnues, photo VisiMuZ ©

Hermine au chemisier rouge, Jules Pascin

Hermine au chemisier rouge, Jules Pascin

Hermine au chemisier rouge, 1909, Jules Pascin, collection particulière.

Julius Mordecai Pincas (1885-1930), qui utilisera un anagramme de son nom de naissance, a grandi en Bulgarie. Après avoir fréquenté un temps les expressionnistes allemands (dont l’influence est perceptible dans sa peinture avant 1914), il arrive en 1905 à Paris. Il rencontre Hermine David (1886-1970), femme-peintre comme lui, en 1907 et elle devient sa compagne… En 1914, comme il est natif de Bulgarie, nation alliée de l’Allemagne, il doit partir de France et il rejoint Brooklyn. Hermine le rejoint l’année suivante. Ils prendront la nationalité américaine et se marieront en 1918 avant de rentrer en France en 1920.

Jules Pascin était un « très bon peintre et il était ivre, constamment, délibérément ivre, et à bon escient. » nous dit Ernest Hemingway dans Paris est une fête. Son érotisme était débridé dans la vie comme dans sa peinture. Marié avec Hermine, il eut aussi avant la guerre une aventure avec Lucy Krohg. Elle aussi s’est mariée pendant la guerre mais les amants se retrouvent en 1920 et leur liaison durera cette fois jusqu’au suicide de Jules en 1930. Hermine et Lucy se connaissaient, posaient même parfois ensemble pour le peintre. Nous avons choisi ici un tableau très sage, l’œuvre de Pascin faisant la part belle au beau sexe qui l’obsédait. « Pourquoi, disait-il, une femme est-elle considérée comme moins obscène de dos que de face, pourquoi une paire de seins, un nombril, un pubis sont-ils de nos jours encore considérés comme impudiques, d’où vient cette censure, cette hypocrisie ? De la religion ? ». Certains parlent du peintre aux 365 modèles.

Dans ce tableau de 1909, on sent encore très nettement l’influence de l’expressionnisme allemand (Macke ou Kirchner par exemple).

Hermine ne s’est pas remariée après la mort de son mari. Elle lui a survécu jusqu’en 1970 et a continué à peindre et à illustrer des livres jusqu’à sa mort. Le fils de Lucy, Guy Krohg sera l’héritier d’Hermine.

03/11/2015

Dim : 154,9 x 115,6 cm Photo courtesy The Athenaeum, Usr rocsdad

Chrysanthèmes (Le Panier renversé), Berthe Morisot

2 novembre, fête des morts, symbolisée par tous ces chrysanthèmes dans les cimetières.

Chrysanthèmes, Berthe Morisot

Chrysanthèmes (Le Panier renversé), 1885, Berthe Morisot, collection particulière.

Berthe Morisot est heureuse en 1885. Elle vient de faire construire avec son mari Eugène Manet l’hôtel particulier de la rue de Villejust. Berthe s’est occupée de la décoration. Elle met elle-même la main à la pâte (ou plutôt à la palette) dans les pièces de réception et réalise plusieurs tableaux tels que Vénus dans la forge de Vulcain, une copie d’après Boucher, L’Oie, une grande toile verticale, un Panier de jonquilles et notre Panier renversé.

C’est là que les Manet vont recevoir, dans ces années heureuses, leurs amis Renoir, Mallarmé, Degas, Claude Monet, Caillebotte, Théodore Duret, Puvis de Chavannes, James Abbott Whistler. Mallarmé racontera en 1896 qu’il étaient « hôtes du haut » dans ce salon du soir qui était aussi dans « la matinée, atelier très discret, dont les lambris Empire encastrèrent des toiles d’Édouard Manet », le frère et beau-frère décédé deux ans plus tôt.

L’ami Mallarmé toujours, dans des quatrains parus en 1894 sous le titre Les Loisirs de la Poste, eut l’idée de retranscrire en vers l’adresse de ses correspondants et amis sur les enveloppes. Ainsi, il écrivait sur l’enveloppe, pour envoyer ses lettres à Berthe Morisot :

« Apporte ce livre, quand naît
Sur le Bois l’Aurore amaranthe,
Chez Madame Eugène Manet
Rue au loin Villejust, 40. »

Une des si nombreuses belles histoires à retrouver dans la monographie de Berthe Morisot, enrichie par VisiMuZ.

02/11/2015

Dim 46 x 55,6 cm
Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Le Pont Louis-Philippe, J.B. Armand Guillaumin

Le Pont Louis-Philippe, Armand Guillaumin

Le Pont Louis-Philippe, 1875, Jean-Baptiste-Armand Guillaumin, National Gallery of Art, Washington.

J.B. Armand Guillaumin (1841-1927) ou l’impressionniste oublié. Il a rencontré Renoir, Pissarro, Monet, Cézanne lors de sa formation à l’académie Suisse en 1861. Il a fait partie de l’aventure dès le salon des refusés de 1863, il exposera avec ses amis lors des expositions impressionnistes de 1874 (1ère) ou 1877 (3e). Il a travaillé souvent avec Cézanne en 1873 à Auvers. À sa mort en 1927 à 86 ans, il était le dernier survivant du groupe. Le musée d’Orsay possède plus de 45 œuvres de l’artiste : il en a mis 28 en dépôt dans les musées de province et, hier, exposait une seule œuvre à Paris. Le même désamour existe dans d’autres musées qui ont relégué ses œuvres dans les réserves.

Quels ont été ses torts ? Le premier est sans doute d’avoir été infidèle à ses premières amours, et avec moins de succès. Il anticipe les Fauves dès 1895, puis se répète à partir de 1900 avec des paysages nombreux de Crozant (Creuse) et du massif de l’Estérel. Le second est peut-être d’avoir gagné un lot important à la Loterie Nationale, qui le rendit indépendant financièrement en 1892. Notre tableau a été acquis par le grand collectionneur Chester Dale en 1927. Dale légua l’intégralité de ses 240 peintures à la National Gallery of Art, Washington à sa mort en 1962.

Dans ce tableau, Guillaumin montre le début de l’évolution qui le conduira vers le Fauvisme. Les teintes sont plus contrastées et les couleurs plus puissantes. Guillaumin, encore plus que Monet ou Sisley, a toujours été attiré par l’eau et celle-ci apparaît dans la plupart de ses toiles.

Le pont Louis-Philippe se situe entre la rive droite et l’île Saint-Louis. Construit une première fois en 1834, il a été reconstruit en pierre en 1862. Au premier plan se trouve un bateau-lavoir. Paris compte à cette époque plus de 100 bains publics, presque tous sur la rive droite (plus ensoleillée), et le métier de laveuse permettait aux toutes jeunes filles (dans le roman de Zola, L’Assommoir, Gervaise dit avoir commencé à 10 ans) comme aux vieilles femmes d’aider à la subsistance de leur famille.

31/10/2015

Dim 45,8 x 60,5 cm
Photo Courtesy National Gallery of Art, Washington

Église à Domburg, Piet Mondrian

Église à Domburg, Piet Mondrian

Église à Domburg, 1910-11, Piet Mondrian, Musée municipal, La Haye.

Piet Mondrian (1872-1944) n’est pas arrivé d’un seul coup à l’abstraction. Paysagiste et nature-mortier, puis fauve (1907-1911) après sa rencontre avec Van Dongen, symboliste (1909-1911) cubiste (1912-1914) après son arrivée à Paris, et enfin plasticien rigoriste qui ne tracera plus de courbes.

Le tableau du jour donne la primeur à la couleur, dans un paysage très éloigné du réalisme ou des cathédrales impressionnistes de Monet. À propos de ce tableau, Mondrian a écrit dans la revue « De Stijl » en 1920 :

Le sujet « est si rapproché de nous que la distance manque pour le voir ou pour le peindre dans le champ d’une perspective normale. De cette distance, il est très difficile de rendre plastiquement la chose vue : il faut avoir cours à un genre d’expression plus libre. J’ai quelquefois essayé, jadis, de peindre les objets d’une distance très courte, justement parce qu’ils paraissent alors plus grandioses. »

D’un point de vue plus philosophique, Mondrian a perdu sa foi chrétienne (calviniste) en 1909 et a adhéré à la Société théosophique, pour laquelle « Il n y a pas de religion supérieure à la vérité. » Cette recherche de la raison pure (Mondrian aurait dû lire Kant) va le conduire peu à peu à une intransigeance extrême qui le verra ne plus utiliser que des horizontales et des verticales dans ses tableaux dix ans plus tard, et se fâcher avec son ami Van Doesburg simplement parce que celui-ci s’autorisait l’emploi de la diagonale !!!!

30/10/2015

Dim 114 x 75 cm
Photo Courtesy wikiart.org

Retour de l’école après l’orage, Chaïm Soutine

Retour de l'école après l'orage, Chaïm Soutine

Retour de l’école après l’orage, ca 1939, Chaïm Soutine, Phillips Collection, Washington (DC)

En 1939, Chaïm Soutine a complètement oublié les années de vaches maigres des années Modigliani. Il est maintenant un notable, fréquente le Tout-Paris, est par exemple l’ami de la décoratrice Madeleine Castaing, ou de l’écrivain Maurice Sachs. Il part en vacances en Bourgogne à Civry près d’Auxerre avec sa compagne Gerda Groth. Mais la guerre est déclarée le 3 septembre et ils ne peuvent plus rentrer à Paris. Ils sont assignés à résidence, lui comme russe, elle comme allemande. Ils vont rester là jusqu’en avril 1940.

C’est là qu’il va peindre une série de toiles sur le thème du Retour de l’école. Le paysage est plein d’une colère froide. Le vent est le maître et balaye les arbres et les herbes du pré. Sur le chemin, les enfants se hâtent fébrilement. La tempête ou l’orage ne sont pas seulement sur le tableau. Ils sont aussi dans la tête et le cœur du peintre. La guerre a réveillé la peur, l‘angoisse, du déraciné du shtetl de Slimovitchi. Préparant un tableau, il a été dénoncé par le curé et arrêté par les gendarmes comme espion de la 5e colonne, avant qu’un télégramme venu du ministère de l’Intérieur n’innocente le « grand peintre Chaïm Soutine ». Les enfants qui posent étaient Alexandre Einsild de la Salle et sa sœur Edmée, dont les parents étaient amis de Soutine. Alexandre a raconté les séances de pose (ICI). Gerda leur donnait des bonbons et du chocolat pour les faire tenir tranquilles.

Selon de nombreux historiens, les enfants ici symboliseraient l’innocence et la fragilité du peintre et de sa compagne, devant les forces telluriques qui se déclenchaient alors et venaient les menacer. Gerda va être déportée au camp de Gurs, et Soutine, obligé de se cacher parce que juif, a vu monter l’angoisse qui le transperça, jusqu’à sa mort d’un ulcère en août 1943.

Duncan Phillips, avec sa grande perspicacité, a acheté ce tableau dès 1940. Il a au demeurant proposé à Soutine de venir aux États-Unis, mais celui-ci a refusé.

29/10/2015

Dim 43,2 x 49,5 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Nana, Édouard Manet

Nana, Édouard Manet

Nana, 1877, Édouard Manet, Kunsthalle Hambourg

Théodore Duret a raconté en détail les combats de Manet avec le jury du Salon. Malgré sa grande renommée, malgré ses efforts pour être agréé, Manet va encore en 1877 être victime d’une cabale. Il présentait au Salon deux portraits : Portrait de M. Faure, dans le rôle d’Hamlet et Nana.

« Nana, d’après le roman d’Émile Zola représentait une jeune femme à sa toilette, en corset et en jupon, à même de se pomponner. Jusque-là il n’offrait rien qui pût effaroucher et c’était un personnage accessoire qui, en lui donnant sa signification, avait amené le jury à l’exclure. Manet avait peint, sur un côté de la toile, contemplant la toilette de la jeune femme, un monsieur en habit noir, assis le chapeau sur la tête. Par ce personnage et le détail du chapeau, la femme était déterminée ; sans qu’on eût besoin d’explications, on voyait qu’on avait affaire à une courtisane. Manet qui voulait peindre la vie sous tous ses aspects, qui cherchait à la rendre la plus vraie possible, avait trouvé moyen, par l’introduction auprès d’une femme d’un personnage masculin d’ailleurs inactif, d’établir un intérieur de courtisane. C’était un des côtés de la vie de plaisir qu’il rendait, mais à l’aide d’un artifice si simple et si tranquille, que l’ensemble n’avait rien d’offensant.

On avait devant soi une œuvre d’art à juger uniquement comme telle et à ceux qui eussent voulu la considérer d’un autre point de vue, on pouvait dire : Honni soit qui mal y pense. Car jamais Manet n’a fait autre chose que de peindre, sans sous-entendu, les scènes conçues franchement, pour exister comme œuvres d’art. Quand on a voulu trouver dans son Déjeuner sur l’herbe, dans son Olympia ou dans sa Nana certaines intentions, ce sont simplement les accusateurs qui tiraient d’eux l’idée malsaine qu’il n’avait jamais eue. Lorsqu’on compare en particulier cette Nana aux nombreuses représentations de Joseph et de Putiphar, de Suzanne et des vieillards, de nymphes et de satyres, peintes par les grands maîtres et placées dans les musées, on reconnaît qu’elle est à côté d’une réserve parfaite. Mais le temps est encore ici un élément essentiel. Après la mort de leurs auteurs, les audaces s’apaisent et se font accepter, tandis que l’exposition tranquille de simples réalités, au moment où elle se produit, paraît offensante. Toujours est-il que le jury du Salon de 1877 se refusait à montrer une courtisane, qu’on eût pu prendre pour une vertu, en comparaison de certaines dames tenues dans les musées. Il est présumable aussi que le jury n’y regardait pas de si près et que Nana lui offrant un prétexte de refus, il s’empressait de le saisir pour bannir, encore une fois, un tableau de Manet. »

On retrouvera tout Manet dans sa biographie par Duret, chez VisiMuZ évidemment, avec 140 tableaux supplémentaires.

Ajoutons que le modèle qui a posé pour ce tableau était Henriette Hauser, une actrice de boulevard et demi-mondaine, surnommée « Citron ». Elle était en effet la maîtresse en titre du prince Guillaume d’Orange, dit aussi « Wiwill », héritier de la couronne des Pays-Bas, qui menait à Paris une vie très agitée et mourut à 38 ans en 1879.

Et parce qu’en peinture tout est en relation avec tout, le roman Nana a été adapté au cinéma dès 1926 par Jean Renoir, avec dans le rôle principal sa femme Catherine Hessling, nom de cinéma d’Andrée ou « Dédée » Heuschling, l’un des derniers modèles – 1915-1919 – de baigneuses de Pierre-Auguste Renoir. Andrée (1900-1979) était une jeune fille que lui avait envoyée Matisse. Ce dernier pensait, à juste titre, que son physique et sa peau « qui ne repoussait pas la lumière » plairaient à Renoir.

28/10/2015

Dim 150 x 116 cm
Photo wikimedia commons Edouard_Manet_037.jpg Usr Eloquence

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez – Paul Signac

Le Port au crépuscule, Saint-Tropez, Opus 236, 1892, Paul Signac, collection particulière.

En 1881, Signac habitait à Asnières. Ce n’est pas loin du Petit-Gennevilliers et, au Cercle de la Voile de Paris, Caillebotte a pris sous son aile ce jeune peintre qui a le goût de la navigation. Signac a acheté alors son premier bateau, une périssoire qu’il baptisa par provocation Manet-Zola-Wagner, trois noms scandaleux à l’époque. Il passe à la voile avec Le Tub, un nom qui est aussi un calembour entre le sujet de la femme à sa toilette, popularisé par Degas, et le bateau qui se remplit à la gite. Le Tub coulera dans la Seine le 14 septembre 1890 sans qu’il y ait de blessés (Félix Fénéon et Maximilien Luce étaient aussi à bord). Mais plus que la Seine, c’est d’abord la mer qui attire Paul ! Il passe les étés de 1885 à 1890 à Saint-Briac. En 1891, il passe commande de l’Olympia, ainsi nommé en hommage à Manet (qui était décédé en 1883), avec lequel il va aller à Concarneau puis rejoindra, sur les conseils d’Henri-Edmond Cross, Saint-Tropez, en passant par le canal du midi, accompagné par l’ami Théo van Rysselberghe.

Après une escale au Lavandou, où Théo débarque, Paul Signac arrive en solitaire à Saint-Tropez en mai 1892. Ce jour-là soufflait un fort vent d’est. Signac est donc arrivé sous voile au vent-arrière, et une fois la jetée passée a affalé rapidement. Tout s’est bien passé et son audace et sa maîtrise lui ont valu l’enthousiasme des pêcheurs présents qui l’ont salué avec leur casquette. Il écrit à sa mère : « Depuis hier je suis installé et je nage dans la joie. À cinq minutes de la ville, perdu dans les pins et les roses, j’ai découvert un joli petit cabanon meublé. Devant les rives dorées du golfe, les flots bleus venant mourir sur une petite plage, ma plage et un bon mouillage pour Olympia. Dans le fond les silhouettes bleues des Maures et de l’Esterel – j’ai là de quoi travailler pendant toute mon existence – c’est le bonheur que je viens de découvrir ». Tombé sous le charme de l’endroit il y achète la villa La Hune, qui appartient toujours à ses descendants. C’est aussi l’occasion d’évoquer une grande dame : Françoise Cachin (1936-2011), première directrice du musée d’Orsay (1986-1994) puis directrice des musées de France (1994-2001), était la petite-fille de Paul Signac.

Jusqu’en 1894, Signac le peintre donnera à chacun de ses tableaux un numéro d’opus ou des titres évoquant la musique (Allegro, Adagio).

27/10/2015

Dim 65,4 x 81,6 cm
Photo wikimedia commons The Port at Sunset. Saint-Tropez. Opus 236. 1892 (масло, холст)..jpg Usr Aesopus

Portrait du danseur Sakharoff, Alexej von Jawlensky

Portrait du danseur Sakharoff – Alexej von Jawlensky

Portrait du danseur Alexander Sakharoff, 1909, Alexej von Jawlensky, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich

Alexandre Sakharoff (1886-1963, Александр Сахаров) était un danseur et chorégraphe russe. Déterminé à devenir danseur après avoir vu à Paris Sarah Bernardt danser le menuet, il suit des cours d’acrobatie et de danse à Munich. Il donnera son premier spectacle de danse à Munich en 1910 (inspiré par les peintures de la Renaissance), puis formera plus tard avec sa femme Clotilde von Derp, un couple de la danse très célèbre dans les années 20, au style marqué par une préciosité affectée. Émigrés en Amérique du Sud pour fuir le nazisme, ils reviendront en Italie en 1952.

Arrivé à Munich, le jeune Sakharoff y côtoie ses compatriotes Jawlensky, Werefkin, Kandinsky. Séduit par l’énergie des membres fondateurs de la NKVM (Nouvelle Association des Artistes Munichois), il adhère au mouvement.

Alexej von Jawlensky (1864-1941) est devenu par la suite en Allemagne dans les années 30 un peintre dit « dégénéré ». Gabriele Münter, la compagne de Kandinsky, que nous avons croisée il y a peu, a conservé et caché de nombreuses toiles de cette période dans sa maison de Murnau, qu’elle a conservée toute sa vie. Elle a légué ce patrimoine inestimable à la Lenbahhaus de Munich à sa mort en 1962. Grâce à elle, tout un pan de l’histoire de la peinture a été sauvé de la destruction nazie.

Marianne von Werefkin, la compagne de Jawlensky, a également réalisé le portrait de Sakharoff, la même année. Deux visions complémentaires par deux artistes complémentaires !

Portrait d'Alexandre Sakharoff – Marianne von Werefkin

Portrait d’Alexandre Sakharoff, 1909, Marianne von Werefkin, Museo Comunale d’Arte Moderna, Ascona, Suisse

26/10/2015

Jawlensky – Dim 69,5 x 66,5 cm photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad
Werefkin – Dim 73,5 x 55 cm photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Scène de plage à Trouville, Eugène Boudin

Scène de plage à Trouville – Eugène Boudin

Scène de plage à Trouville, 1863, Eugène Boudin, National Gallery of Art, Washington (DC)

En 1862, Eugène Boudin avait 38 ans. Il ne vendait rien, désespérait. Il eut même la tentation de se jeter dans les eaux de l’Orne. En février 1863, Boudin se marie et repart bravement à Paris. Mais il est las de réaliser des œuvres sur commande. Deauville vient d’être créée au terminus de la ligne de chemin de fer et le peintre imagine de nouveaux débouchés pour sa peinture en regardant les élégantes qui viennent se montrer sur le front de mer. En avril, il a envoyé des tableaux de marines au Salon. En septembre, il revient à Trouville pendant que Courbet est à Deauville, et que Monet et Jongkind sont à Honfleur.

Si Boudin, le « roi des ciels » (dixit Corot au peintre), est plus, vis-à-vis de la mer, le peintre des ports, des bateaux de pêche et de commerce, il ne peut empêcher quelques yachts de se glisser en arrière-plan de ses scènes de plage, comme dans celle-ci, où les bourgeois et aristocrates parisiens sont spectateurs de ce qui semble bien être le déroulement d’une régate.

La Société des Régates du Havre avait été créée en 1838. Elle a été le tout premier club nautique en France. La première régate en 1839 a vu s’affronter des embarcations à rame. Dès l’année suivante, les régates sont organisées pour les voiliers. À Trouville il faudra attendre 1878 pour voir la création d’un club de voile, les voiliers de l’arrière-plan viennent donc sûrement du Havre. Les gréements sont équipés de voiles auriques, le flèche (voile de tête de mât) n’a pas été établi sur celui le plus proche de la plage.

Demain au Havre, c’est le départ de la « Transat Jacques Vabre » vers le Brésil. Les voiliers ont changé, l’esprit est resté. Quels sont les peintres (et aussi maintenant photographes) qui, comme l’ont fait dans le passé Paul Signac, Maxime Maufra, Mathurin Méheut, Marin Marie, Albert Brenet, Albert Marquet, vont demain immortaliser le départ en tant que P.O.M. (peintres officiels de la marine) ?

Dim : 34,8 x 57,5 cm
Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)

Rue à Murnau, Vassily Kandinsky

Rue à Murnau, Vassily Kandinsky

Rue à Murnau (Maisons), 1908, Vassily Kandinsky, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich

Vassily Kandinsky (1866-1944) eut une vie artistique importante dès avant « Le Cavalier bleu » (Der Blaue Reiter) de 1911 et l’abstraction un peu plus tard. En 1908, il a 42 ans. Il vit depuis 1896 en Allemagne, à Munich. Il donne des cours de peinture auxquels s’est inscrite en 1901 une jeune peintre, Gabriele Münter (1877-1962). Elle devient la compagne de Vassily à l’été 1902 lors de cours d’été que le peintre organise à Murnau, petit village de Bavière, à 25 km de Garmish-Partenkirchen et 70 km de Munich. Vassily et Gabriele vivront ensuite ensemble jusqu’en 1914. Entre deux voyages à travers le monde, ils viennent se reposer dans leur maison de Murnau. Les débats sur la peinture sont animés, d’autant que se sont joints à eux deux autres peintres russes, Alexej von Jawlensky et Marianne von Verefkin. Leur maison est tout naturellement devenue la « maison des Russes ».

Kandinsky était synesthète. La synesthésie est l’association de deux ou plusieurs sens. Pour Kandinsky cela signifiait qu’il associait dans son esprit systématiquement (ou plutôt qu’il voyait mentalement) une couleur pour chaque son, une particularité rare mais bien connue en neurologie. La sysnesthésie toucherait 4% de la population. Il est vraisemblable que cette particularité a joué un rôle important dans sa relation à la couleur, indépendante de l’objet, et débouchera sur l’abstraction.

Notre tableau du jour se situe à une période charnière, peu avant la formation en 1909 de la Nouvelle Association des Artistes Munichois (NKVM), avec Münter, Jawlensky et Werefkin, dans laquelle ils seront rejoints par August Macke et Franz Marc pour ce qui deviendra Der Blaue Reiter.

La rue ou la route qui disparaît est un grand classique de l’art depuis les hollandais au XVIIe, et les impressionnistes (en particulier Monet, Sisley, Guillaumin et surtout Cézanne à Auvers). Comme chez les impressionnistes, la rue est ici vide de toute activité humaine.

23/10/2015

Dim 32,8 x 40,7 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port-en-Bessin, Georges Seurat

Port–en-Bessin, le pont et les quais, 1888, Georges Seurat, Minneapolis Institute of Arts (MN)

Georges Seurat (1859-1891) a commencé à peindre des marines en 1885 à Grandcamp (Calvados). En 1886 il passe l’été à Honfleur. En 1887, il veut absolument finir son grand tableau de l’année (Les Poseuses, fondation Barnes, Philadelphie) et reste à Paris. L’année suivante il part pour Port-en-Bessin, après l’exposition d’Amsterdam, qui avait été organisée par Théo van Gogh. Paul Signac avait séjourné là en 1882 et lui avait recommandé le site, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Grandcamp.

Les marines constituent une partie importante de l’œuvre de Seurat. Comme il est mort à 31 ans, et que sa technique « de peinture au petit point » (comme disait Renoir) lui demandait beaucoup plus de temps, son catalogue raisonné comprend moins de 220 numéros. Ses recherches scientifiques, sa rigueur et son intransigeance en font un peintre difficile d’accès, auquel on reproche une trop grande froideur. Son caractère était très réservé, sa parole ne s’animait que pour défendre ses théories, et même son ami Signac évoquera plus tard un « aspect mécanique » dû à une couleur « trop divisée » et une « touche trop petite » (Journal, décembre 1897).

Mais que serait devenue sa peinture s’il avait pu éviter de mourir 3 ans plus tard ? Notre tableau du jour est particulièrement intéressant et montre une évolution puisqu’il s’agit du premier paysage maritime dans lequel l’artiste a introduit des personnages. Mais ils n’habitent pas le décor, ils sont là comme des fantômes. Beaucoup ont vu là les prémisses d’un Giorgio de Chirico avec ses places désertes ou d’un Paul Delvaux avec ses femmes désincarnées. Un paysage très construit, très architecturé, aux multiples points de vue, qui le rendent plein de poésie. Alors Seurat est-il un précurseur du surréalisme ? L’a-t-il vu venir ?

Seurat allait l’été au bord de la mer pour « se laver l’œil des jours d’atelier » selon ses confidences à son ami Émile Verhaeren.

22/10/2015

Dim 67 x 84,4 cm
Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad