24/09/2015 La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, Édouard Vuillard

Vuillard – Villa Les Écluses Saint-Jacut

• La Villa Les Écluses, Saint-Jacut, 1909, Édouard Vuillard, High Museum of Art, Atlanta (acquis en 2008).

En 1909, une bande d’amis parisiens séjourna pour toute la saison d’été à la villa du Plessix à Saint-Jacut.

Étaient là Jos et Lucie Hessel, Alfred Natanson et sa famille, Tristan Bernard, Édouard Vuillard. Quelques absents de la tribu : Thadée et Misia Natanson avaient divorcé en 1905, les Vallotton venaient d’acquérir leur résidence à Honfleur, les Bernheim-Jeune (beaux-frères de Vallotton, cousins germains de Lucie Hessel) sont à Villers.

L’été à Saint-Jacut a été studieux. Natanson et Bernard travaillaient à leur pièce « Le Costaud des Épinettes ». Vuillard peignait. Il musardait sans doute aussi avec Lucie Hessel. Vallotton avait présenté les Hessel, devenus ses cousins par son mariage, à son vieil ami Vuillard en 1900. Lucie est vite devenue la maitresse d’Édouard et le restera jusqu’à sa mort. Il semble que Jos Hessel, le mari de Lucie n’en ait jamais pris ombrage. Jos était aussi le marchand exclusif d’Édouard.

Notre tableau du jour a été peint près de la villa du Plessix. La villa « Les Écluses » a été construite vers 1900. Elle existe toujours.

On connaît bien Vuillard, peintre d’intérieurs, décorateur, l’homme des silences. On connaît moins ses tableaux d’extérieurs. Mais contrairement à Cézanne par exemple, il ne travaillait pas « sur le motif ». Son célèbre Kodak lui permettait de figer la scène, quelques esquisses et sa mémoire lui permettaient de reconstruire le tableau en atelier.

Le résultat dans ce tableau est tout à fait particulier, abstrait autant que figuratif. Vuillard mélange ici de la colle à l’huile Cela donne cette texture tout à fait particulière et supprime toute profondeur et tout modelé au profit d’un paysage en deux dimensions. Seul notre œil, accoutumé à la perspective, reconstitue la profondeur.

Dim : 47,3 x 46,7 cm.
Photo Wikimedia commons  La_Villa_Les_Écluses,_St._Jacut,_Brittany_by_Édouard_Vuillard,_High_Museum_of_Art.jpg Usr Wmpearl

Campo Santo, Joseph Mallord William Turner

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Le Campo Santo, Venise, av. 1842, Joseph Mallord William Turner, Toledo Museum of Art (OH)

Joseph Mallord William Turner (1775-1851), le terrible Turner, avec ses excès, était tombé amoureux de Venise (comme beaucoup d’entre nous). Il y alla trois fois en 1819, 1829 et 1840.

D’après le critique John Ruskin cité par J.H. Rosny aîné, l’œuvre de Turner se divise en quatre périodes. La 3e va de 1835 à 1845. Pendant ces dix ans, « il est pleinement maître de son talent et de son génie; il cesse de chercher un idéal, il se laisse inspirer par la nature qu’il transforme d’après sa nature, d’après les besoins essentiels de son génie. »
C’est dire que l’apogée du génie de Turner se situe entre sa 60e et sa 70e année. Une bonne nouvelle pour tout le monde !

Le même Rosny parlait de Turner comme « faiseur d’or qui avait capté à travers la brume la lumière du soleil. » Et cette phrase s’applique bien au tableau du jour. Il avait été présenté par l’artiste en 1842 à la Royal Academy avec une autre toile en pendant (maintenant à la Tate Britain).

Le point de vue est très inhabituel. Nous sommes au nord, entre la ville et la terre ferme. À droite, se trouve le cimetière San Michele (où sont maintenant enterrés Stravinsky, Diaghilev, Ezra Pound, ou encore le baron Corvo, cher à Hugo Pratt et Corto Maltese). À gauche, la cité, avec l’Arsenal et le campo San Zanipolo avec sa statue équestre du Colleoni par Verrochio.

Le cimetière venait alors d’être construit. Ce point de vue sur la ville était symbolique pour le peintre. Cette ville jadis puissante se mourait depuis le perte de son indépendance 40 ans plus tôt. Le déclin de la Sérénissime est évoqué aussi par les débris du premier plan, et les voiliers dérivant du fait du manque de vent. A-t-on besoin de parler de cette lumière qui dissout les formes ?

Devant ce spectacle où la nature domine la ville qui disparaît, le musée de Toledo (Ohio) a cité fort justement les vers de Lord Byron :

« Those days are gone — but Beauty still is here. States fall, arts fade — but Nature doth not die. » (in Childe Harold’s Pilgrimage [I stood in Venice], 1824).

23/09/2015

Dim : 62,2 x 92,7 cm
Photo Wikimedia commons Joseph_Mallord_William_Turner_-_Campo_Santo_-_WGA23179.jpg Usr JarektUploadBot

Une sieste, John Singer Sargent

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Une sieste, ca 1907-08, 40,6 x 53,3 cm, John Singer Sargent, collection particulière

John Singer Sargent (1856-1925) a fait partie avec Stevens, Tissot, Zorn, des portraitistes mondains les plus recherchés de la 2e partie du XIXe siècle. Né à Florence dans une famille d’américains voyageurs, il passera sa vie entre Paris, Londres et les États-Unis, sans négliger de voyager un peu partout.

Son élégance mondaine, son dandysme, son côté snob lui valurent aussi de solides inimitiés. Opportuniste, il a adapté son style au moment. Il a été impressionniste quand il peignait avec son ami Claude Monet, académique avec Carolus-Duran, réaliste quand il choisissait de peindre à la manière de Velázquez ou celle de Frans Hals. Parisien à Paris, il était londonien à Londres, bostonien à Boston.

Mais quand il s’affranchit des contraintes commerciales, il est un très grand peintre. Il a fermé définitivement son atelier en 1907 (il a donc pris sa « retraite » à 51 ans) pour ne plus peindre que pour son plaisir et voyager. Il réalisa peu-après cette fermeture une série de tableaux qu’il nomme tous «  Sieste », en général réalisés en plein-air. Avait-il envie de se reposer, ou profitait-il simplement de modèles qui étaient du coup immobiles ?

Dans notre tableau du jour, les deux femmes sont traditionnellement identifiées comme étant Violet Ormond, la sœur de l’artiste, sous le parasol, et l’une de ses filles, probablement Reine. Cette aquarelle (et gouache) a très certainement été réalisée lors d’un séjour estival à Purtud (Courmayeur, val d’Aoste). Sargent aimait y passer les mois d’été, à proximité d’une grande station touristique, mais au calme, et dans une fraîcheur qu’il appréciait. Il en repartait aux premiers frimas vers la fin septembre.

22/09/2015

photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

21/09/2015 La Repasseuse, Rik Wouters

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La Repasseuse, 1916, Rik Wouters, Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers.

Rik Wouters (1882-1916), ou un destin brisé !

Il fait partie de ces météores de l’histoire de la peinture, comme Egon Schiele, Franz Marc ou August Macke. Ce n’est pas la grippe espagnole, ni une balle, mais un cancer qui l’emporte à 33 ans alors que la guerre fait rage. Il connut le succès tout de suite entre Anvers, Paris et Amsterdam. Inspiré par Cézanne et les Fauves, il expose en 1912 en compagnie de Pierre Bonnard. Ses couleurs souvent puissantes l’ont fait qualifier plus tard de « Fauve brabançon ». De son vivant, il eut aussi une notoriété importante en tant que sculpteur.
Comme Bonnard peignait sa femme Marthe, Wouters peignait très souvent Nel, sa jeune femme modèle et muse qu’il avait épousée en 1905, dans ses activités quotidiennes. Le couple habitait à Boitsfort, près de la forêt de Soignes.

Degas avait innové 40 ans plus tôt en choisissant de peindre le geste des repasseuses, mais son propos s’intéressait au métier de la professionnelle alors qu’ici Wouters peint sa femme Nel effectuant une tâche ménagère. Nel d’ailleurs préfère regarder son mari.

Sur cette toile, Nel est coiffée comme toujours d’un chignon. Les couleurs que Wouters utilise, liées à une touche très personnelle rendent son style très reconnaissable. Sur le marché de l’art, si les sculptures de Rik Wouters apparaissent régulièrement, ses tableaux sont beaucoup plus rares. Dans les musées, on peut normalement aller l’admirer à Anvers au KMSKA, mais le musée est en travaux jusqu’en 2017. Il va être exposé à la Haye du 3 octobre au 4 janvier 2016, avant la grande année du centenaire de la mort de l’artiste.

Dim 108,5 × 124,8 cm
Photo wikimedia commons Rik_Wouters_-_De_strijkster.JPG Usr Ophelia2

19/09/2015 Madame Roulin, Paul Gauguin

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Saga hebdo 2/2

Madame Roulin, nov 1888, Paul Gauguin, Saint Louis Art Museum (MO)

Nous avons laissé hier Vincent avec madame Roulin en janvier 1889. En décembre, il avait certes déjà peint Augustine tenant le bébé Marcelle dans ses bras [Philadelphia Museum of Art et Metropolitan Museum of Art]. Mais le premier à avoir peint madame Roulin a été Paul Gauguin en novembre. Faut-il y voir un effet de ce charme sulfureux qui a valu à Gauguin ses succès féminins ?
Madame Roulin doit poser dans la chambre de Gauguin puisqu’on voit sur le mur le bas d’un autre tableau de Gauguin (Les Arbres bleus (Vous y passerez la belle !), aujourd’hui au musée d’Ordrupgaard, près de Copenhague). Est-ce une allusion symbolique ?

En décembre, Vincent va faire un autre tableau d’Augustine Roulin [collection O. Reinhart, Winterthour], portant la même robe, très inspiré par celui de Paul. Il va même de manière symbolique l’assoir sur la chaise de Paul.
D’un point de vue peinture, on sait que Cézanne n’aimait ni Gauguin, ni Van Gogh. Émile Bernard a rapporté ces mots de Cézanne : « Jamais je n’ai voulu et je n’accepterai jamais le manque de modelé ou de graduation  ; c’est un non-sens. Gauguin n’était pas peintre, il n’a fait que des images chinoises. » [voir la bio de Cézanne à paraître dans 10 jours chez VisiMuZ].
Et pourtant ! Certes l’homme Gauguin est au mieux déroutant, au pire insupportable. Il a eu pourtant des amis fidèles (Morice, Monfreid, etc.) et s’il s’est fâché avec de nombreux peintres, tous ou presque reconnaissaient à l’artiste une certaine prééminence. Van Gogh a pris des leçons chez Gauguin qu’il a su faire fructifier. Maurice Denis a écrit : «  Gauguin n’était pas professeur, … mais Gauguin était tout de même le maître. »

Et Gauguin lui-même, avec un brin de fatuité, écrit à propos de ces quelques mois passés en Provence [l’intégralité à retrouver bien sûr dans la biographie de Gauguin par Charles Morice, enrichie par VisiMuZ avec entre-autres les tableaux de Gauguin en Provence].

« Sans que le public s’en doute, deux hommes ont fait là un travail colossal, utile à tous les deux– peut-être à d’autres. Certaines choses portent leur fruit.
Vincent, au moment où je suis arrivé à Arles, était en plein dans l’école néo-impressionniste, et il pataugeait considérablement, ce qui le faisait souffrir  ; non point que cette école, comme toutes les écoles, soit mauvaise, mais parce qu’elle ne correspondait pas à sa nature si peu patiente et si indépendante.
Avec tous ses jaunes sur violets, tout ce travail en complémentaires, travail désordonné de sa part, il n’arrivait qu’à de douces harmonies incomplètes et monotones  ; le son du clairon. J’entrepris la tâche de l’éclairer, ce qui me fut facile, car je trouvai un terrain riche et fécond. Comme toutes les natures originales et marquées au sceau de la personnalité, Vincent n’avait aucune crainte du voisin et aucun entêtement.
Dès ce jour, mon Van Gogh fit des progrès étonnants  ; il semblait entrevoir tout ce qui était en lui, et de là, toute cette série de soleils sur soleils en plein soleil. »

Et vous ? Préférez-vous madame Roulin par Paul, ou par Vincent  ?

À lundi !

Dim 51 x 64 cm
Photo wikimedia commons Paul_Gauguin_-_Madame_Roulin.jpg Usr Postdlf

La Berceuse, Vincent van Gogh

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Saga hebdo1/2

La Berceuse (Portrait de madame Roulin), janvier 1889, Vincent van Gogh, Metropolitan Museum of Art, collection Annenberg, New York.

Lorsque Vincent arrive en Arles au début de mars 1888… – mais écoutons Duret, son biographe :

« …il va y vivre replié sur lui-même. Il n’aura de relations avec aucun des habitants bien placés. Il ne s’inquiète point de rechercher leur société. Il ne se tiendra en rapports qu’avec cette sorte de gens, qui pourront lui être utiles. Des hommes et des femmes du peuple, qui voudront bien lui servir bénévolement de modèles ou qui, de par leur condition, se contenteront pour poser du faible salaire qu’il peut seul leur donner. Les individus de l’ordre le plus élevé qu’il peindra pendant son séjour à Arles sont un facteur de la poste, Roulin, et un sous-lieutenant de zouaves, Milliet. …/… Les relations avec le sous-lieutenant, qui quitte Arles assez promptement, furent de courte durée, mais elles se prolongèrent avec le facteur et conduisirent de sa part à un véritable attachement. Van Gogh a peint Roulin plusieurs fois dans son uniforme. Il a aussi peint sa femme et a exécuté d’après elle la composition qui s’est appelée La Berceuse. »

Récapitulons : six portraits du facteur, avec sa barbe fleurie, et 17 portraits d’Augustine, d’Armand, de Camille et du bébé Marcelle. Le moins qu’on puisse dire est que les modèles ont voulu lui faire plaisir. Le tout a été peint entre juillet 88 et avril 89.

Mais l’épisode de l’oreille coupée a eu lieu le 23 décembre 88. Notre tableau du jour date de janvier 89, c’est le premier portrait de madame Roulin en berceuse d’un berceau invisible (tenu par la corde). Il en réalise 4 autres versions ensuite. Aujourd’hui 2 tableaux sont aux Pays-Bas, les 3 autres aux États-Unis (New York, Chicago, Boston).

Vincent a précisé dans ses lettres qu’il voulait peindre au-delà d’un portrait un « type idéal » à « valeur de mythe », il ressentait le mouvement de la berceuse comme un thème « consolateur » rappelant le « propre chant de nourrice » et ce thème apaisait ses souffrances personnelles à l’hôpital.

Pour finir, dévoilons qu’entre 1895 et 1900, Ambroise Vollard, toujours à l’affût d’un bon coup, racheta les six toiles que Vincent avait données à Joseph Roulin, dont ce tableau. Un peu plus tard, il fera la même chose à Aix après la mort de Cézanne en 1906.

Les tableaux de la famille Roulin sont à retrouver dans la bio de Van Gogh… chez VisiMuZ bien sûr,
et la suite, assez surprenante, demain matin.

18/09/2015

Dim : 92,7 x 73,7 cm
Photo VisiMuZ

Le Moulin à eau, Egon Schiele

Le Moulin à eau, Schiele

Le Moulin à eau, 1916, 110 x 140 cm, Egon Schiele, musée d’état de Basse-Autriche, St. Pölten.

De faible constitution et de santé fragile, Schiele avait été réformé en 1914. Mais en 1915, l’armée autrichienne subit de lourdes pertes et Schiele est rappelé et déclaré bon pour le service. Même si son poste est une sinécure (il est fourrier près de Vienne), même s’il peut de temps à autre rentrer voir sa femme Édith et aller à son atelier, il est suffisamment préoccupé pour ne pas pouvoir souvent peindre. Il va réaliser seulement huit tableaux dans l’année, et parmi eux ce « Moulin à eau » qui correspond à un tournant dans son œuvre. Ses tourments se sont un peu apaisés avec son mariage en 1915. De plus son rôle comme soldat (puis caporal) lui a permis de trouver une place dans la société, place qui lui avait été refusée comme peintre. Sa manière devient moins exacerbée, plus réaliste. Le Professeur Rudolf Leopold, créateur du musée éponyme à Vienne, parlait pour les deux dernières années qui suivent, du « maniérisme » de Schiele, parfaitement visible ici dans la combinaison particulièrement sophistiquée des motifs de la façade et le traitement du flux de l’eau. Le haut de la toile exprime tout le calme d’une maison érigée là depuis longtemps, qui se dégrade lentement avec le temps qui passe. Au contraire le bas exprime toute la force et l’énergie de l’eau canalisée. D’un point de vue pictural, la manière est aussi inspirée des estampes japonaises.

Egon Schiele meurt de la grippe espagnole le 31 octobre 1918 à seulement 28 ans, trois jours après sa femme. Sa belle-sœur Adèle Harms a recueilli les dernières paroles du peintre : «  La guerre est finie et je dois partir. Mes œuvres seront exposées dans les musées du monde entier. »

17/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocscad

16/09/2015 Mlle V… en costume d’espada, Édouard Manet

Manet, Mlle V… en costume d'espada

Mademoiselle V… en costume d’espada, 1862, Édouard Manet, Metropolitan Museum of Art, New York

V… pour Victorine. Citons d’abord Théodore Duret, le biographe et l’ami de Manet [dans sa biographie, éditée par VisiMuZ].

«  Victorine Meurent était une jeune fille que Manet avait rencontrée, par hasard, au milieu de la foule, dans une salle, au Palais de Justice. Il avait été frappé de son aspect original et de sa manière d’être tranchée. L’ayant fait venir à son atelier, il avait d’abord peint d’elle cette tête [Museum of Fine Arts, Boston]. Puis il l’avait utilisée, comme modèle, dans deux œuvres, La Chanteuse des rues[Boston] et Mlle V… en costume d’espada. À partir de ce moment, elle était devenue son modèle préféré et tous ceux qui, entre les années 1862 et 1875, ont connu Manet et fréquenté son atelier, ont connu Victorine. Elle lui a aussi servi pour la femme du Déjeuner sur l’herbe, pour l’Olympia, la Jeune femme du Salon de 1868 [La Femme au perroquet au Met], la Joueuse de guitare, la femme en bleu du Chemin de fer. »

Victorine va vivre un moment avec un ami de Manet, le peintre belge Alfred Stevens (1823-1906), poser aussi pour lui (Le Sphinx parisien, 1867), puis sa carrière de modèle terminée, va se mettre à la peinture, et sera reçue au Salon. Elle vivra ensuite discrètement à Colombes jusqu’à sa mort en 1927, dans une toute autre époque.

Victorine, ni grisette, ni lorette, ni cocotte, selon la classification en usage à l’époque, est d’abord un exemple de femme libre, qui montre fièrement son corps (et celui-ci n’est pas du tout conforme aux canons du Second Empire) et vit sa vie, sans se soucier du qu’en dira-ton.

L’espagnolisme de Manet dans les années 60 ne lui était pas venu par la fréquentation de Velasquez et de Goya. Citons Duret toujours : « S’il était allé tout de suite visiter les musées de Hollande et d’Allemagne, et étudier les Italiens chez eux, il ne devait aller voir les Espagnols à Madrid qu’en 1865, alors que sa personnalité serait pleinement développée. Les premiers tableaux consacrés à des sujets espagnols lui ont été suggérés par la vue de chanteurs et de danseurs, venus en troupe à Paris. Séduit par leur originalité, il avait ressenti l’envie de les peindre. » Il s’est servi alors des accessoires qu’ils avaient laissés pour habiller ses modèles. Dans une corrida, le mozo de espadas ou valet d’épées est l’assistant personnel et exclusif du matador.

Dim : 165,1 x 127,6 cm
Photo VisiMuZ

La Grande Portugaise, Robert Delaunay

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La Grande Portugaise, 1916, Robert Delaunay, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Robert Delaunay était très lié avant 1914 avec les peintres allemands August Macke et Franz Marc, ou encore avec Vassily Kandinsky (qui vivait en Allemagne). Sa femme Sonia Terk-Delaunay, d’origine ukrainienne, avait grandi aussi en partie en Allemagne. Aussi quand la guerre éclate, Delaunay, qui était en vacances en Espagne, décide de ne pas rentrer en France. Il s’installe à Madrid avec Sonia, pendant que Macke puis Marc se font tuer en France. En 1915, il s’établissent au Portugal et vont alterner séjours en Espagne et au Portugal jusqu’en 1922.

D’abord qualifié comme déserteur, Robert se présente au consulat de Vigo en 1915 et est réformé pour raisons de santé. Delaunay avait abordé l’abstraction (cercle coloré) en 1912 et 1913. Il revient pendant la guerre à la figuration tout en appliquant pour plus de force la théorie du contraste simultané des couleurs (Chevreul, 1839), et en introduisant dans la toile ses disques chromatiques. La lumière du Portugal exerce aussi sur lui une influence importante qui se retrouve dans ses toiles puissantes, aux couleurs chaudes. Delaunay pensait que la couleur pure avait un impact plus fort en créant une émotion immédiate. Il utilise aussi souvent dans le même tableau différentes techniques pour les besoins de son sujet. L’huile est couvrante et permet plus d’épaisseur de la matière, la colle est utilisée pour les surfaces sèches, et la cire pour les surfaces transparentes.

Ce tableau est d’une taille imposante (180 x 205 cm). Il prend toute sa force quand on arrive dans la salle où il est accroché (quand il n’est pas prêté). Une autre version, plus petite et aux couleurs un peu moins puissantes, se trouve au musée de Colombus (Ohio).

15/09/2015

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Chemin montant, Gustave Caillebotte

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Chemin montant, 1881, Gustave Caillebotte, collection particulière.

Notre tableau du jour est fascinant à plus d’un titre…

Daté de 1881, il représente une transition entre ses toiles des années 1870 (paysages urbains, ou la propriété de famille de Yerres) et celle des années 80 (Seine à Argenteuil, jardins, portraits). Au printemps 1881, Gustave a acheté une maison au Petit-Gennevilliers qui va influencer fortement sur sa vie et ses toiles.

On voit ici deux personnages non reconnaissables, de dos, le long d’une villa cossue. Qui est ce couple de bourgeois parisiens ? Où se trouve cette maison ? Un problème qui a fasciné les historiens… dès que le tableau a été connu. C’est là le 2e mystère fascinant.

L’existence du tableau a été connue dès son exposition en 1882 au Salon des Artistes Indépendants. Il y avait fait sensation. Son thème, sa taille importante (100 x 125 cm), ses couleurs avaient partagé les visiteurs entre pros et antis. Puis, pffft ! plus rien, disparu ! Jusqu’en 1994, l’année de la redécouverte de l’artiste à l’occasion d’une grande rétrospective. 112 ans sans le voir, pas une photo, juste une caricature publiée dans Le Charivari en 1882 !

On suppose qu’il a appartenu d’abord à Doris Schultz (1856-1927), une élégante parisienne dont le domicile était proche de celui de Caillebotte. Dans les années 30, en tout cas, on parle de sa présence dans la collection de Jeanne Schultz, sa fille.

Caillebotte n’avait pas indiqué où la toile avait été réalisée. Son exposition en 1994 excite à nouveau le petit monde de l’art, qui cherche, puis trouve, qu’en fait le tableau a été peint à Trouville, à la « Villa Italienne ».

Gustave Caillebotte passait ses vacances d’été à Villers-sur-mer, et régatait tout l’été. Trouville, très voisine, était la villégiature à la mode. Martial Caillebotte, son frère, a posé pour le peintre. Charlotte Berthier, la compagne de Gustave a vraisemblablement posé pour la jeune femme, dans cette pose qui ne permettait pas de l’identifier.

Il est alors plausible que le titre, donné par le peintre, est aussi une métaphore du chemin de la vie. Le couple représenterait alors Gustave et Charlotte sur ce chemin montant. La jeune femme n’avait alors que 18 ans, et si sa présence était connue da la famille et des amis proches, son existence était soigneusement cachée à la bonne société que le peintre-industriel fréquentait.

Cette réapparition subite du tableau après 112 ans ne devait rien au hasard. Il fallait créer l’évènement. Le 4 novembre 2003, le tableau a été mis aux enchères par Christie’s, précédé de cette réputation flatteuse. Il a été vendu 6,73 millions de dollars.

P.S. : Nous ne savons pas où se trouve aujourd’hui ce tableau. Par contre, la Villa « Italienne », existe toujours. À ce jour, elle est même proposée à la vente.

14/09/2015

Photo wikimedia commons G._Caillebotte_-_Chemin_montant Usr HGrobe