Jeune Femme à la cruche, Édouard Manet

Suzanne Manet à la cruche

Jeune Femme à la cruche, ca 1859, Édouard Manet, 56 x 47,2 cm, Ordrupgaard, catalogue Orienti n° 21.

Cette jolie jeune femme n’est autre que Suzanne Leenhoff, qui deviendra la femme d’Édouard Manet en 1863. Né en 1830, elle était hollandaise, vivait à Paris, gagnait sa vie comme professeur de piano, et avait été employée dès 1849 par les parents Manet pour donner des leçons de piano à leurs trois fils.

Elle avait donné naissance le 29 janvier 1852, à un fils, Léon Édouard. Manet en devint le parrain, lors de son baptême selon le rite protestant (Édouard Manet était catholique) en 1855. Durant les vingt années qui suivirent, Léon fut toujours présenté comme le jeune frère de Suzanne.

Des doutes subsistent toujours sur le père de Léon. S’agissait-il d’Auguste Manet, le père d’Édouard, dont on sait qu’il connut bibliquement la jeune femme, ou d’Édouard lui-même. Et Suzanne elle-même le savait-elle ?

L’époque de la réalisation de notre tableau est contemporaine de la décision de Suzanne et d’Édouard d’habiter ensemble. Ils se marièrent ensuite en 1863, un an après la mort d’Auguste Manet, figure tutélaire qui jetait une ombre sur le bonheur du couple.

Suzanne a les yeux baissés, ce qui convient bien à sa nature timide et réservée, certains disaient placide. À l’occasion du mariage d’Édouard et Suzanne en Hollande, Baudelaire écrira à son ami Carjat, le 8 octobre 1863 : « Manet vient de m’annoncer la nouvelle la plus inattendue. Il part ce soir pour la Hollande, d’où il ramènera sa femme. Il a cependant quelques excuses ; car il paraît que sa femme est belle, très bonne et très grande musicienne. Tant de trésors dans une seule personne, n’est-ce pas monstrueux ? »

Les historiens pensent qu’il s’agit ici d’un portrait de fiançailles, une tradition qui remonte à la Renaissance. Manet est encore dans une phase d’expérimentation. Trois ans avant, il a copié la Vénus d’Urbin de Titien à Florence. Il est encore dans une phase italianisante avant sa période hispanisante des années 1860.

Ce portrait reprend certains des principes du portrait de femme (épouse ou courtisane) que Titien, Lorenzo Lotto et Palma le vieux ont créé au début du XVIe siècle à Venise. Dans le portrait de Manet, le blond vénitien de la chevelure répond à la cruche, à la coupe et au paysage.

Sibylle, Palma le Vieux

Sibylle, ca 1522-24, huile sur panneau, 74,3 x 55,1 cm, Palma le Vieux, collection royale, Buckingham Palace, Londres

La fenêtre ouverte sur le paysage avec des montagnes bleues est un autre emprunt à Titien (ainsi qu’aux primitifs flamands mais ceux-ci privilégiaient plutôt un paysage plus urbain). La pose de la jeune femme est beaucoup plus dynamique dans le tableau de Manet.

12052016_Titien_Isabelle_Prado

L’Impératrice Isabelle du Portugal, 1548, huile sur toile, 117 x 98 cm, Titien, musée du Prado, Madrid

Notre tableau du jour est inachevé, un grand classique pour Manet, qui sera ainsi critiqué de manière posthume en 1886 par Zola dans son roman L’Œuvre. Si le paysage, la coupe et la cruche sont juste esquissés, la tête et le bras gauche de la jeune femme (entre autres…) sont remarquables. Tel quel, il s’agit d’un délicieux portrait de Suzanne, dans toute la splendeur de ses presque 30 ans. Suzanne a gardé ce tableau jusqu’en 1893, dix ans après la mort de son mari.

L’histoire de Manet et de la révolution qu’il introduisit en peinture sont à retrouver dans sa biographie par Théodore Duret, chez VisiMuZ.

12/05/2016

Photo 1 : Courtesy The Athenaeum, Usr : rocsdad
Photo 2 : Courtesy The Athenaeum, Usr : kohn1fox
Photo 3 : wikimedia commons File:Isabella_of_Portugal_by_Titian.jpg Usr : Escarlati.

Nageuse se reposant, Théo van Rysselberghe

Nageuse se reposant, Théo van Rysselberghe

Nageuse se reposant, 1922, hst, 92 x 111 cm, Théo van Rysselberghe, collection particulière.

En 1905, Théo van Rysselberghe (1862-1926) s’est fait construire par son frère architecte la villa « Le Pin » au Lavandou. Il a ainsi rejoint ses amis néo-impressionnistes dans le Var. Depuis 1892, Cross habitait aussi au Lavandou et Signac à quelques kilomètres à Saint-Tropez.

En 1922, à 60 ans, le thème de prédilection de Théo reste les Baigneuses en groupe ou, comme ici, peintes isolément. Alors que dans ses portraits de société, il insiste sur les détails du décor, il le simplifie dans ses nus. Le dessin est très classique, caractéristique de cette époque, après la première guerre mondiale, qui a vu un retour au classicisme chez tous les peintres (même chez Picasso ou Léger).

La lumière et la couleur sont très puissantes, jouant sur le contraste simultané des couleurs bleues et orange en particulier. La lumière est celle qui précède le crépuscule, les ombres sont longues et le massif des Maures, les rochers du premier plan, le ciel et même la mer se teintent de rose. On pourrait presque sous-titrer « un classique chez les Fauves ».

N.B. : la municipalité du Lavandou a mis en place depuis la maison de Théo un « chemin des peintres », pas très évident à trouver, mais qui permet de juxtaposer le paysage réel et des reproductions de tableaux de Van Rysselberghe et de Cross. Un joli et instructif but de promenade.

La villa de Théo au Lavandou

La villa de Théo van Rysselberghe au Lavandou en 2015.

10/05/2016

Photo 1 : Courtesy The Athenaeum, Usr : rocsdad
Photo 2 : VisiMuZ

Marée basse à Varengeville, Claude Monet

Marée basse à Varengeville, Claude Monet

Marée basse à Varengeville, 1882, Claude Monet, hst, 60 x 81 cm, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid.

Après les années noires de Vétheuil (mort de sa femme Camille, vie avec Alice et les huit enfants, manque d’argent chronique), Claude Monet et sa famille recomposée ont déménagé à Poissy en décembre 1881. À peine installé, Claude Monet part seul pour deux mois, en plein hiver, à Pourville, près de Dieppe, et va en rapporter une quarantaine de paysages, ainsi que quelques portraits et natures mortes effectués les jours de pluie.

Il y retournera le 15 juin avec compagne et enfants et louera la villa Juliette pour trois mois, mais l’effet villégiature l’empêche alors de travailler au calme. Malgré les efforts qu’ils coûtent à Monet (« ce que j’ai commencé de toiles est insensé, mais hélas sans pouvoir arriver à rien terminer » écrit-il), les paysages de 1882 sont parmi ses plus belles marines . Durand-Ruel en achètera cinquante durant l’année.

Ici la composition est très solide, très géométrique, un triangle sur la droite partagé entre falaise et estran, le ciel et le sable qui se partagent presque symétriquement le reste de la toile. Mais c’est naturellement la lumière et les nuances de couleurs qui surprennent, puis attirent et finalement envoûtent.

06/05/2016

Photo The Athenaeum licence PD-Art Usr kohn1fox

Le Bosquet de bouleaux, Arkhip Kuindzhi

Le Bosquet de bouleaux, Archip Kuindzhi

Le Bosquet de bouleaux (“The Birch Grove”), 1879, huile sur toile, 97 x 181 cm, Archip Kuindzhi, Tretyakov Gallery, Moscou.

Connaissez-vous Archip Kuindzhi (Архи́п Куи́нджи) (1842-1910), peintre russe (ou ukrainien selon les sensibilités) ? Il est pourtant contemporain de Renoir ou Monet, mais fait partie des peintres que le succès des impressionnistes a laissé dans l’ombre. Difficile d’exister quand on ne travaillait pas à Paris dans ces années-là. Et pourtant ! L’éclairage très particulier qu’il met dans ses toiles, en particulier de nuit, fait éclater son talent dans chacune d’elles. Ce bosquet de bouleaux est une des vedettes de la galerie Tretyakov, et un thème particulièrement prisé par l’artiste, parce qu’il évoque le paysage de Russie.

Quand l’artiste a été exposé dans la collection permanente du Met à New York, près de Vincent van Gogh, de Paul Cézanne, d’Anders Zorn, son Coucher de soleil sur le Dniepr a tout de suite attiré les visiteurs comme un aimant.

Coucher de soleil sur le Dniepr, Archip Kuindzhi

Coucher de soleil sur le Dniepr, 1905-08, huile sur toile, 134,6 x 188 cm, Archip Kuindzhi, Metropolitan Museum of Art, New York

Ses œuvres sont rares sur le marché. Un autre bosquet de bouleaux de 1881 s’est vendu en 2008 pour 3 millions de dollars à New York. À Saint-Pétersbourg, il faut aller au musée Russe. On peut penser que dans quelques années, les œuvres de Kuindzhi traverseront la rue pour être exposées au musée d’en face, l’Ermitage, ce qui est déjà le cas pour Kasimir Malevitch. À Moscou, ses œuvres, comme celle-ci, sont à la galerie Tretyakov.

Une ébauche de notre tableau du jour se trouve au musée de Nijni-Novgorod, une version plus tardive (1901) se trouve aussi au musée de Minsk (Belarus).

03/05/2016

Photo 1 wikimedia commons : Archip_Iwanowitsch_Kuindshi_005.jpg Usr : Dmitry Rozhkov
Photo 2 : VisiMuZ

Nu au collier de corail, August Macke

Nu au collier de corail, August Macke

Nu au collier de corail,1910, hst, 83 x 60 cm, August Macke, Sprengel Museum, Hanovre

Une œuvre de jeunesse d’un artiste (il a vingt-trois ans) qui ne connaîtra pas la maturité puisqu’il meurt au front quatre ans plus tard.

Macke a été d’abord fortement influencé par les impressionnistes français suite à de nombreux voyages d’études à Paris. Mais en 1909-1910, sa vie a changé. Il a d’abord épousé en 1909, Élisabeth Gerhardt. August en était amoureux depuis qu’il avait fait sa connaissance, alors qu’il n’avait que seize ans. Les jeunes mariés ont quitté Bonn pour habiter à Tegernsee, petite ville au bord d’un lac au sud de Munich. Durant cette période de bonheur, Macke a peint près de deux cents toiles, dans lesquelles l’influence de Cézanne et celle des Fauves (Dufy, Vlaminck, Van Dongen, Matisse) se font fortement sentir. Dans ce nu sensuel, on retrouve aussi l’influence du sculpteur Aristide Maillol dont Macke a vu les œuvres dès 1908.

Élisabeth a-t-elle posé pour ce tableau ? Ce n’est pas impossible et semble plausible, par rapport à la période de création et quand on compare le tableau avec des photos de la belle jeune femme.

Le thème du Nu au collier de corail va resurgir un peu plus tard (en 1917) dans l’œuvre de Modigliani (nous en parlerons dans le tome II de sa biographie à paraître chez VisiMuZ).

30/04/2016

Photo The Athenaeum, Usr : rocsdad

La Machine de Marly, Alfred Sisley

La Machine de Marly, Alfred Sisley

La Machine de Marly, 1873, hst, 45 x 64,5 cm, Alfred Sisley, NY Carlsberg Glyptotek, Copenhague, Daulte n° 67.

Les noms de Marly et de Sisley sont indissolublement liés à cause de la peinture des inondations de Port-Marly (et de ses répliques et variantes dont nous reparlerons). Sisley s’était d’abord installé dans les boucles de la Seine pour fuir l’occupation prussienne et la Commune. Il a habité en premier lieu Louveciennes puis en 1875, la famille Sisley va déménager de Voisins (Louveciennes) à Marly-le-Roi, pour un logement au loyer moins élevé, près de l’Abreuvoir. Ils vont y rester jusqu’en mars 1878.

La machine de Marly avait été construite sous le règne de Louis XIV pour alimenter en eau les jardins du château de Marly et du parc de Versailles en installant une dérivation sur la Seine. Elle fonctionna jusqu’en 1817 et fut remplacée sous Napoléon III par la machine de Dufrayer abritée dans le bâtiment que l’on voit ici. Cette machine comportait six roues de 12 mètres de diamètre. Elle fut détruite en 1968.

Sur ce tableau, le rose-orangé des briques répond aux bleus de la Seine et du ciel. On retrouve ici l’association bâtiments-nature, qui a souvent fait le succès du peintre et une structure géométrique d’horizontales, interrompues par la diagonale du barrage.

Le peintre a aussi représenté le chemin d’accès à la Machine (musée d’Orsay, Daulte 102), l’année suivante l’aqueduc qui transportait l’eau (musée de Toledo, Ohio, Daulte 133), puis les réservoirs en hiver (National Gallery Londres, Daulte 152), la Baignade des chevaux à Port-Marly (Virginia Museum of Fine Arts, Richmond, Virginie, Daulte 172).

Sisley et Marly, une histoire et des tableaux à retrouver en détail dans la biographie enrichie parue chez VisiMuZ.

27/04/2016

Photo wikimedia commons File : Alfred_Sisley_043.jpg Usr Eloquence

Quilleboeuf, estuaire de la Seine, Joseph Mallord William Turner

Quilleboeuf, estuaire de la Seine, J.M.W. Turner

Quilleboeuf, estuaire de la Seine, 1833, hst, 88 x 120 cm, Joseph Mallord William Turner, fondation C. Gulbenkian, Lisbonne.

John Ruskin (Notes on the Turner Collection, 1857) a divisé l’œuvre de J.M.W. Turner (1775-1851) en 4 périodes. La deuxième commence après 1820.

« Il n’imite plus, du moins directement. Il met en œuvre les éléments qu’il s’est adjoint, il cherche un idéal, quelque chose qui dépasse, qui exalte la nature. Cette période se termine vers 1835.

Pendant une dizaine d’années (1835-1845), il est pleinement maître de son talent et de son génie ; il cesse de chercher un idéal, il se laisse inspirer par la nature qu’il transforme d’après sa nature, d’après les besoins essentiels de son génie. »

En 1833, il avait 58 ans. De 1830 à 1845, il a ébloui le monde. Depuis 1802, il voyageait régulièrement en France, en Suisse, en Italie.

Le tableau du jour se situe en Normandie, près de l’estuaire de la Seine, là où se trouvait le bac avant le pont de Tancarville. La nature est magnifiée, idéalisée, les vagues, qui sont le fait d’une « barre » liée à la marée, sont sans doute exagérées par l’artiste qui réinvente son monde, avec cette écume sur la gauche qui devient plus haut un vol de mouettes. Le côté dramatique est intensifié par le phare, l’église et le cimetière en arrière-plan (la trilogie du marin). Le tableau a été réalisé en atelier, une aquarelle, prise sur le vif, l’avait précédé en 1832. Lors de sa présentation en 1833, une annotation dans le catalogue de l’exposition à la Royal Academy mettait en garde contre les dangers de la marée montante pour les navires et les marins. Cette toile justifierait à elle seule s’il en était besoin le surnom de « peintre de la lumière » qui a accompagné Joseph Mallord William Turner. Les lignes sur terre s’estompent derrière les gouttes d’eau et l’humidité qui imprègnent toute la scène. Les différents cercles, du vol de mouettes aux vagues et aux nuages intensifient le mouvement.

25/04/2016

Photo VisiMuZ.

Autoportrait aux seins nus, Suzanne Valadon

Autoportrait, Suzanne Valadon

Autoportrait aux seins nus, 1917, hst, 65 x 50 cm, Suzanne Valadon, collection privée.

Un selfie ! voire un sexfie ? Et pourtant Suzanne Valadon (1865-1938) n’appartenait pas à la génération Z. Mais cette femme a bousculé toutes les barrières. Issue d’un milieu plus que modeste, elle sera lingère, acrobate, modèle, peintre et mère de peintre (Maurice Utrillo). Elle est devenue châtelaine (à Saint-Bernard) dans l’Ain. Elle a vécu avec Toulouse-Lautrec, a eu comme amant Erik Satie, Renoir et Puvis de Chavannes. Son professeur de dessin s’appelait Degas (excusez du peu !) En 1894, elle est la première femme peintre reconnue en étant acceptée comme membre de le Société Nationale des Beaux-Arts. Nous avons publié sur le site un article sur cette femme libre :

https://www.visimuz.com/8-mars-journee-internationale-des-femmes-hommage-a-suzanne-valadon/

Mais arrêtons-nous quelques instants sur ce tableau ! On est loin de Flora ou de Vénus idéalisées par la Renaissance. Au point de vue du style, l’artiste a évolué depuis les années 1890 et a été influencée par le cubisme de ses confrères plus jeunes.

Suzanne s’est remariée en 1914 avec André Utter (de 21 ans son cadet). En 1917, elle a 52 ans et assume pleinement sa féminité. Elle récidivera en 1931 avec un autre autoportrait aux seins nus, elle avait alors 66 ans.

À la fin de sa vie, Suzanne confiait à Michelle Deroyer : « Que des hommes m’aient aimée comme une femme que j’étais, soit ! Mais je veux être aimée des hommes qui ne m’auront jamais vue, qui demeureront à rêver, à méditer, à m’imaginer devant un carré de toile où , avec quelques couleurs, j’aurai mis une image et aussi un peu de mon âme. » (Fayard, 1946).

Alors, Suzanne toujours aussi généreuse, nous donne son image, pour rêver et méditer, sur son destin, sur le désir et le plaisir, sur la Condition Humaine.

22/04/2016

Photo The Athenaeum Usr Irene

Long Branch, New Jersey, Winslow Homer

Long Branch, New Jersey, Winslow Homer

Long Branch, New Jersey, 1869, hst, 41 x 55 cm, Winslow Homer, Museum of Fine Arts, Boston.

Entre 1867 et 1869, en France, Boudin a peint Trouville, Monet Sainte-Adresse et Courbet Étretat. Mais Winslow Homer était déjà rentré aux États-Unis. Certes il a passé 10 mois à Paris en 1867, il a exposé au Salon, mais il n’a pas frayé avec la communauté des artistes et des peintres français, ni même avec ses confrères américains. Sargent ou Whistler étaient des peintres de la bourgeoisie, alors que Winslow était le peintre des grands espaces américains.

À Paris, seul le critique Paul Mantz l’avait remarqué. Il écrivit dans la Gazette des Beaux-Arts : « En toute justice, M. Winslow Homer ne devrait pas être ignoré ou oublié[…] C’est une peinture solide et précise, dans la manière de Gérôme, mais sans sa sècheresse ».

Homer avait couvert la guerre de Sécession comme correspondant peu-avant et les querelles parisiano-parisiennes le laissaient de marbre. À l’Exposition universelle de Paris, il a présenté Prisonniers au front. Chaque fois qu’il le pouvait il rejoignait Barbizon et la forêt. Il était dès 1867 un peintre de plein-air.

Rentré aux États-Unis, il se spécialisera dans les scènes au bord de ou sur la mer. Le tableau du jour nous montre une facette rare de son talent. Il peint les élégantes de la haute société de la côte Est en haut des dunes. L’ensemble est solide, la touche vigoureuse et la lumière subtile.

Un rappel : nous sommes ici en 1869. Les Femmes à l’ombrelle de Monet (musée d’Orsay) ne verront le jour qu’en 1886.

L’Amérique commençait avec Homer à prendre son indépendance en matière de peinture par rapport à l’Europe. Winslow Homer est un très grand peintre, tant dans ses toiles que dans ses aquarelles, mais qu’on ne peut malheureusement aller admirer qu’en ayant traversé l’Atlantique, à l’exception d’une toile à Orsay : Nuit d’été, de 1890.

20/04/2016

photo wikimedia commons Winslow_Homer_-_Long_Branch,_New_Jersey.jpg Usr Botaurus

Le Chemin de fer, Édouard Manet

Le Chemin de fer, Édouard Manet

Le Chemin de fer, 1873, hst, 93,3 x 111,5 cm , Édouard Manet, National Gallery of Art, Washington

Nous voyons sur ce tableau une jeune femme qui regarde le peintre avec un livre et un petit chien sur les genoux, une enfant (dont nous pouvons supposer qu’elle est sa fille, ou un enfant qu’elle garde), une grille, un nuage de fumée. La scène est paisible et pourtant cette fumée fait penser aux adolescents qu’il s’agit d’un incendie (nous avons fait plusieurs tests). Le titre du tableau donne immédiatement du sens. Les générations nées avant 1960 se souviennent du plaisir d’enfant consistant à regarder les locomotives qui arrivaient en gare en crachant leurs volutes de vapeur, en empoignant les barreaux du pont qui existait généralement au-dessus de la gare.

Le tableau prend tout son sens quand on apprend que le modèle de la jeune femme est Victorine Meurent, l’Olympia de 1863, l’ancien modèle du peintre et peut-être aussi maîtresse (en tout cas c’est ce qu’en dit Zola dans son roman L’Œuvre, paru après la mort de Manet). Ce tableau est le dernier où elle pose pour lui, dix ans après le Déjeuner sur l’herbe et Olympia. Manet vieillit, sa santé est précaire, Victorine va aussi arrêter sa carrière de modèle, et toute la mélancolie de la fin d’une époque se lit dans le regard de la jeune femme. En même temps, le monde change, et Manet, quelque temps avant Monet, peint la modernité et le chemin de fer si présent sans qu’il soit visible. L’enfant, qui représente l’avenir, s’empare à bras-le-corps de cette époque nouvelle.

Retrouvez Manet, Suzanne et Victorine dans la biographie de Manet par Théodore Duret, chez VisiMuZ.

18/04/2016

Photo Courtesy National Gallery of Art, Washington

Femme agenouillée à la robe rouge orangé, Egon Schiele

Jeune fille agenouillée à la robe orange, Egon Schiele

Femme agenouillée à la robe rouge orangé, 1910, Craie noire, aquarelle et gouache sur papier, 44,6 x 31 cm, Egon Schiele, Leopold Museum, Vienne

Egon Schiele a vingt ans en 1910. Il est déjà délibérément provocateur et va réaliser cette année-là cinq nus émaciés et agressifs. Trois sont des autoportraits, deux des portraits de sa jeune sœur Gertrude (Gerti), qui a seize ans la même année.

L’érotisme omniprésent dans ses œuvres est curieusement absent de celle-ci. Pas de nu centré sur les parties génitales, pas de sous-entendu scabreux pour « choquer le bourgeois ».

On remarque plutôt le sens aigu de l’artiste pour la composition, avec ces deux pieds qui s’appuient sur deux bords du tableau. Gerti a posé pour cette œuvre comme pour bien d’autres. Elle est posée sur son genou gauche, et cette posture ancre son corps dans un losange, amplifié par le trait de crayon qui va de sa robe à ses mains.

Elle regarde fermement son frère de son œil unique (l’autre est caché par ses mains), ébauche un sourire — est-il ironique ? méprisant ? — et noue ainsi aussi une relation avec le spectateur.

La dramaturgie mise en exergue par ces mains qui semblent exprimer toute la douleur du monde est balancée par une harmonie subtile de couleurs sur un fond neutre. Les couleurs plus foncées du visage et de la chevelure font comme une cible dans la composition et dirigent le regard du spectateur vers l’œil de la jeune fille.

Cette aquarelle a été exposée à Paris, au Grand Palais en 2006. Elle fait partie de la collection de 41 toiles et 186 dessins d’Egon Schiele au Leopold Museum à Vienne.

15/04/2016

Photo wikimedia commons File : Egon_Schiele_-_Kneeling_Female_in_Orange-Red_Dress_-_Google_Art_Project.jpg Usr DcoetzeeBot