Le Bateau rouge aux voiles bleues, Odilon Redon

Le Bateau rouge aux voiles bleues, Odilon Redon

Le Bateau rouge aux voiles bleues, ca 1910, Odilon Redon, Collection Hahnloser, villa Flora, Winterthur.

Odilon Redon (1840-1916) était né la même année que Monet, Rodin et quelques mois avant Renoir. Il eut une vocation très précoce (il avait six ans) et on aurait pu penser qu’il serait lié à tous les mouvements des années 1870 à 1900. Mais avant 1890, il traverse les époques tel un fantôme, son monde personnel, insensible à la couleur, est réservé à l exploration de l’imaginaire et des rêves, dans une époque sensible au spiritisme.

Redon ne commence à exposer sérieusement qu’après 1890 (il a déjà 50 ans !), et ne s’intéresse à la couleur qu’après la naissance de son fils en 1889. Les nabis l’invitent à exposer avec eux dans les années 90. Sa carrière de peintre symboliste est relativement courte (1895-1916), alors qu’il n’était plus vraiment dans la prime jeunesse.

Le thème de la barque ou du bateau est récurrent dans l’ œuvre de celui qui a grandi à Bordeaux. Il exécuta une série de pastels intitulée « La Barque mystique ». De caractère, il avait de nombreux points communs avec Cézanne, qui l’admirait beaucoup. Ses barques sont d’abord des toiles incitant à la rêverie et la méditation. Liberté, évasion, solitude, volonté, mais aussi introversion, timidité, doute, sont des mots qui viennent à l’esprit quand on regarde les tableaux de Redon. Il ouvrira la voie au surréalisme. Le tableau du jour se trouve dans la collection Hahnloser à Winterthur. Un autre bateau rouge (mais sans voiles) se trouve au musée des Beaux-Arts de Lyon.

09/03/2016

Photo Courtesy The Athenaeum, licence CC-PD-Art Usr : rocsdad

Marcella, l’artiste, Ernst-Ludwig Kirchner

Marcella, l'artiste. Ernst-Ludwihg Kirchner

Marcella, l’artiste, 1910, hst, 101 x 76 cm, Ernst-Ludwig Kirchner, Brücke Museum, Berlin.

En introduction, reprenons quelque lignes déjà publiées pour introduire Ernst-Ludwig Kirchner, qui est moins connu en France qu’en Allemagne.

En 1905, à Dresde, Ernst-Ludwig Kirchner (1880-1938) a fondé, avec Erich Heckel et Karl Schmidt-Rottluff, le mouvement « Die Brücke » (Le Pont), dans le but de rompre avec l’art académique et de créer un art plus en phase avec la société moderne. Leur manifeste indiquait : « Nous souhaitons établir notre liberté d’action et de vie contre les forces anciennes bien établies » .
Est-il besoin de préciser que c’est justement à cause de cette liberté que le parti nazi a classé Kirchner comme un artiste dégénéré ? En Allemagne nazie, ses toiles ont été brûlées dans des autodafés. L’expressionnisme représente l’énergie, les pensées, les humeurs, les état d’âme, en particulier grâce à la couleur. Contrairement à l’impressionnisme, ce n’est plus le réel (le paysage, la lumière, etc.) que l’on représente mais l’expression, l’âme de l’artiste mise à nu.

En 1910, Kirchner est encore à Dresde. Il partira l’année suivante à Berlin.

Deux jeunes filles, Fränzi et Marcella sont à cette période très souvent modèles pour Max Pechstein, Erich Heckel et Ernst-Ludwig Kirchner. Fränzi avait 10 ans, Marcella 15 ans. Pendant très longtemps, on a cru qu’elles étaient sœurs et filles d’un artiste de cirque. Il n’en était rien. On sait depuis 2009 que Marcella Sprentzel était la fille d’un employé des postes et de sa femme, Kirchner a voulu que le spectateur pense, d’après le titre de son tableau, qu’elle travaillait dans un cirque.

On remarque d’abord dans ce tableau d’une part un point de vue cinématographique, en plongée, et d’autre part une force et une harmonie de couleurs vertes puissantes, en opposition avec la chair orange et une touche de rouge (les chaussons de la jeune fille). On fera naturellement un rapprochement avec les Fauves français (Matisse, Derain, etc.) mais ici, les couleurs sont plus froides.

Un certain nombre d’entre nous ont pu voir ce très beau et très puissant tableau à Grenoble lors d’une exposition en 2012.

07/03/2016

Photo wikimedia commons File:Ernst_Ludwig_Kirchner_-_Artistin_%28Marzella%29 Usr AndreasPraefcke

Jeune fille à la poupée, Paul Cézanne

Jeune fille à la poupée, Paul Cézanne

Jeune fille à la poupée, ca 1902-04, hst, 73 x 60 cm, Paul Cézanne, collection particulière, catalogues O609 et V699.

La fin de la vie de Cézanne a été marquée par une très grande solitude volontaire. Il a vécu à Aix, au centre-ville, ayant vendu la grande maison du Jas de Bouffan. Son fils et sa femme se trouvaient à Paris. Seule la peinture l’intéressait.

À l’époque de notre tableau, il a 63 ans. Son diabète lui cause des ennuis. Il vient de faire construire en 1902, à la périphérie d’Aix, aux Lauves, un atelier auquel il se rend quotidiennement, sauf quand il va sur les bords de l’Arc pour peindre sur le « motif ». L’atelier comprend aussi une terrasse et un jardin.

Pour aller aux Lauves, il prend un fiacre ou va à pied, selon les jours. Il a la Sainte-Victoire sous les yeux, mais peint aussi des portraits comme ici cette Jeune fille à la poupée. Les couleurs en sont puissantes. La jeune fille porte un chapeau de paille et un sarrau bleu. On notera le contraste entre la verticalité de la pose de la fillette, l’oblique de la poupée et l’oblique parallèle du fond dont on ne sait trop ce qu’il représente. Il s’agit pourtant certainement des arbustes qui poussaient sur la pente de la colline.

Le traitement pictural montre bien la filiation entre Cézanne et les cubistes.

Cézanne n’a peint que deux Jeunes filles à la poupée. L’autre est présente dans la monographie de Cézanne parue chez VisiMuZ.

Les deux toiles ont été longtemps dans la collection de Heinz Berggruen (1914-2007), grand marchand qui a possédé de nombreux tableaux de Cézanne. Cette toile a été ensuite vendue à New York en 2001 (15 millions de dollars). Berggruen, d’une famille juive, s’était exilé aux États-Unis de 1936 à 1945, puis avait ouvert une galerie à Paris en 1947. Il est retourné en Allemagne en 1996. À sa mort, un musée Berggruen a été ouvert à Berlin. Il contient sa collection d’œuvres de Pablo Picasso, Paul Klee, Georges Braque, Henri Matisse et Alberto Giacometti.

05/03/2016

Photo wikimedia commons File:Paul_Cézanne_099.jpg Usr Eloquence

Traîneau attelé à un cheval dans un paysage d’hiver, Frits Thaulow

Traîneau attelé à un cheval dans un paysage d'hiver, Frits Thaulow

Traîneau attelé à un cheval dans un paysage d’hiver, be 1885-1906, Frits Thaulow, collection particulière

Frits Thaulow (1847-1906) est un peintre injustement méconnu en France. Norvégien, ayant étudié et travaillé au Danemark (1874-79), il a d’abord fait partie de l’école de Skagen (au nord du Jutland). Puis il passe 12 ans en Norvège. Enfin il a vécu et travaillé en France de 1892 à sa mort en 1906. Préférant les bords de mer, la campagne picarde et le Boulonnais à Paris, il a également appartenu à ce qui à été appelé l’école d’Étaples (1880-1914).

Certaines de ses œuvres sont au musée du Touquet, et aussi de façon significative à l’Ermitage (Saint-Pétersbourg), à Boston (MA), ou encore à Saint-Louis (MO). Sur le marché de l’art les œuvres de Thaulow flirtent régulièrement avec les 100.000 euros.

En 1895, Thaulow fit la connaissance de Monet, et c’est sur les conseils du norvégien que Monet alla passer l’hiver à Christiania (Oslo) d’où il ramena de nombreuses toiles (à voir par exemple à Paris au musée Marmottan). Nous ne savons pas où et quand a été peint le tableau du jour, même si on peut supposer qu’il a été peint en Norvège. La lumière y est superbement traitée.
Une curiosité pour finir. La première femme de Thaulow (jusqu’en 1886) était la sœur de Mette Gauguin-Gad. Mais en 1886, Thaulow a été quitté par sa femme et Gauguin a de son côté laissé sa famille à Copenhague. Les deux hommes n’ont eu aucune connexion artistique. Thaulow a seulement montré en 1884 les œuvres de Gauguin en Norvège (mais c’était avant Pont-Aven).

03/03/2016

Photo Courtesy The Athenaeum, Usr Irene

Le Port de la Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle, 1896, hst, Pierre-Auguste Renoir, collection particulière

La Rochelle a fait l’objet de la part de Renoir d’une véritable fascination, en particulier quand il se comparait à Corot. Nous avons évoqué une vue de la Rochelle par Corot en juillet dernier (ICI) que nous vous conseillons de lire ou relire avant de poursuivre.

Outre les déclarations de Renoir à Vollard, que nous avons lues à propos de Corot, une anecdote est révélatrice de cet amour de Renoir à « Papa Corot ».

Donc en 1896, Renoir séjourne à La Rochelle et se heurte aux difficultés de reproduire la lumière. Deux ans plus tard, il séjourne avec ses enfants et Julie Manet à Berneval, et peint un Déjeuner à Berneval, qui reprend une composition de Degas, La Leçon de danse, un tableau que Renoir avait choisi suite au legs Caillebotte et au testament de Gustave Caillebotte.

En décembre 1898, Renoir vend cette Leçon de danse à Durand-Ruel, ce que le testament lui permettait de faire. Mais le motif de cette vente était de lui permettre d’acheter une vue de La Rochelle : le coin de la cour de la commanderie par Corot. Il se déssaisissait ainsi donc d’un Degas pour acheter un petit Corot.

Degas, plus que furieux, se fâcha alors avec Renoir.

28/02/2016

Le Port de La Rochelle, Pierre-Auguste Renoir

Le Port de la Rochelle,1896, hst, 20,7 x 32,3 cm, Pierre-Auguste Renoir, collection particulière

Rochers à Port-Goulphar, Belle-Île, Claude Monet

Rochers à Port Goulphar, Belle-Île, Claude Monet

Rochers à Port-Goulphar, Belle-Île, 1886, hst, 66 x 81,8 cm, Claude Monet, Art Institute de Chicago, Wildenstein 1095

En 1886, Gustave Geffroy (1855-1926) rencontre Claude Monet à Belle-Île. De leur rencontre naît une amitié qui ne sera interrompue que par la mort. Geffroy a été l’un des fondateurs de l’académie Goncourt. Il nous a laissé quelques pages magnifiques sur son ami Monet.

« Claude Monet travaille devant ces cathédrales de Port-Domois, dans le vent et dans la pluie. Il lui faut être vêtu comme les hommes de la côte, botté, couvert de tricots, enveloppé d’un “ciré”’ à capuchon. Les rafales lui arrachent parfois sa palette et ses brosses des mains. Son chevalet est amarré avec des cordes et des pierres. N’importe, le peintre tient bon et va à l’étude comme à une bataille. Volonté et courage de l’homme, sincérité et passion de l’artiste, ce sont les caractéristiques de cette famille rustique et fine de paysagistes dont les œuvres sont l’honneur et l’originalité de l’art de ce siècle. Monet sera au premier rang dans ce groupe. Depuis 1865, toutes les colères l’ont assailli, on n’a pas ménagé les quolibets à ses toiles, il a eu à lutter contre la malveillance et l’inertie. Il est facile de prédire que les habitudes d’esprit et les appréciations changeront et qu’il en sera de Monet comme il en a été de tant d’autres méconnus et raillés. Ici, devant ces toiles d’un ample dessin, devant ces œuvres lumineuses, imprégnées par l’atmosphère, pénétrées par le soleil, où les couleurs se décomposent et s’unissent par on ne sait quelle magie d’alchimiste, devant ces falaises qui donnent la sensation du poids de la terre, devant cette mer où tout est en mouvement continu, la forme de la vague, la transparence sous-marine, les écumes nuancées, les reflets du ciel, on a l’impression qu’il est apparu dans l’art quelque chose de nouveau et de grand.

Mais ce n’est pas dans cette note griffonnée au soir d’une journée que peut être décrite et commentée cette histoire de la côte et de la mer à toutes les heures, sous tous les temps, tracée par un pinceau prestigieux. Les toiles peintes à Belle-Île seront vues à Paris. Qu’il suffise d’avoir dit l’amour profond et ému de la nature, qui fait à Claude Monet vouloir reproduire sur ces toiles les lignes qui ne changent pas et les effets fugitifs, les espaces sans bornes de l’eau et du ciel et le velours d’une motte de terre couverte de mousses humides et de fleurs desséchées. »

Avec une petite pensée pour les îliens de Belle-Ile, Houat, Hoëdic, etc. !

26/02/2016

photo wikimedia commons File:Paysage_%C3%A0_Port-Goulphar.jpg Ust Tiago Vasconcelos

La Blanchisseuse, Henri de Toulouse-Lautrec

Lautrec, La Blanchisseuse

La Blanchisseuse (Carmen Gaudin), 1889, hst, 93 x 75 cm , collection particulière, catalogue S327.

Carmen Gaudin était une ouvrière de Montmartre. Ses cheveux roux ont tout de suite attiré Lautrec, qui a été toute sa vie un grand admirateur des femmes rousses. François Gauzi, qui a publié ses souvenirs sur Lautrec, a raconté la première fois que Lautrec et Rachou croisèrent la jeune femme :

«… une jeune fille, vêtue simplement comme une ouvrière, mais dont la chevelure cuivrée fit s’arrêter Lautrec qui s’écria, enthousiasmé :
– Elle est bath ! Ce qu’elle a l’air carne ! Si on pouvait l’avoir comme modèle, ce serait merveilleux. »

En 1884, à la demande de Lautrec, Henri Rachou l’aborda et réussit à l’amener à l’atelier de la rue Ganneron, qu’il partageait avec Lautrec. Rachou sera nommé beaucoup plus tard conservateur du musée de Toulouse.

Lautrec va réaliser au moins cinq portraits à l’huile de la jeune femme et de très nombreux dessins.

Notre portrait du jour est peut-être le plus beau de tous. En cette année 1889, Lautrec est définitivement sorti de ses années d’apprentissage. La composition, la posture, le traitement de la lumière, l’aura du modèle ont ensemble concouru au succès de cette toile. Elle est devenue le 1er novembre 2005, chez Christie’s à New York, la plus chère adjugée à ce jour pour l’artiste avec un montant de 22,416 millions de dollars.

Jamais Lautrec n’a osé lui demander de poser nue. Il avait parfois des délicatesses et des timidités qui ne lassent pas d’étonner.

La jeune femme avait pris goût au métier de modèle et va poser pour d’autres peintres, comme Alfred Stevens et… Berthe Morisot.

Dès 1885, c’est elle qui pose dans le fameux Nu, vu de dos. En tant que modèle, elle se faisait parfois appeler Carmine Gaudin. Berthe Morisot, alors encore inexpérimentée dans la peinture de nu, avait demandé des conseils à Renoir.

Morisot, Nu, vu de dos

Nu, vu de dos, 1885, hst, 55,3 x 46,2 cm, Berthe Morisot, collection particulière

Des aventures à retrouver dans la toute nouvelle monographie de Lautrec et dans celle de Morisot… chez VisiMuZ, évidemment.

24/02/2016

Photos
1 wikimedia commons File:Henri_de_Toulouse-Lautrec_018.jpg Usr Sandik~commonswiki
2 Courtesy The Athenaeum, rocsdad

Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault, Camille Pissarro

Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault,  Camille Pissarro
Paysage de neige avec des vaches, Montfoucault, 1874, hst, 48 x 51 cm, Camille Pissarro, High Museum of Art, Atlanta.

Montfoucault était le nom d’une ferme de la Mayenne, propriété de la famille Piette.

Pour Pissarro, c’était un lieu de retraite et de réflexion. Il s’y était déjà réfugié en 1870 au début de la guerre. En 1874, il vient de subir les critiques lors de la première exposition des impressionnistes, et il est venu à Montfoucault étudier la vie des paysans.

La neige qui tire sur le bleu est un signe de son lien avec Monet (voir par exemple la Pie à Orsay, que nous avons présentée il y a quelque temps). Le tableau est cependant presque monochrome, avec ces deux vaches qui se fondent dans le décor, tout en regardant le spectateur. Le ciel et les murs sont de la même couleur, le tableau devient cette « surface plane recouverte de couleurs » dont parlera seize ans plus tard Maurice Denis. Les gris bleus et verts évoquent aussi certaines œuvres de Maria Elena Vieira da Silva.

17/02/2016

Photo wikimedia commons
Snowscape_with_Cows,_Montfoucault”,_oil_on_canvas_painting_by_Camille_Pissarro Usr Wmpearl

Les Poseuses, Georges Seurat

Les Poseuses, Georges Seurat

Les Poseuses, 1887-88, hst, 200 x 250 cm, Georges Seurat, The Barnes Foundation, Philadelphie.

Ce grand tableau (200 x 250 cm) est le troisième tableau de Georges Seurat qui a été présenté au public, après Baigneurs à Asnières (National Gallery, Londres) et Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande-Jatte (Art Institute Chicago). On sait que durant sa courte vie,(il est mort à 32 ans en 1891), Seurat n’exécuta que six grands tableaux. Cette toile est depuis devenue une référence dans l’histoire de l’art moderne. Le peintre s’était donné pour but de démontrer que sa théorie, basée sur le divisionnisme, était aussi adaptée à la figure humaine (et pas seulement à l’eau ou l’air), ainsi qu’à une peinture en atelier plus « officielle » alors exposée au Salon (d’où ce format monumental).

S’agit-il d’un seul modèle se déshabillant, posant, puis se rhabillant ou de trois modèles ? L’artiste s’est évidemment inspiré du motif classique des trois Grâces dans l’Antiquité, mais il a renversé le thème classique dont la figure centrale est de dos. On remarquera le tableau dans le tableau, ou la mise en abyme avec le mur de gauche sur lequel se trouve Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande-Jatte et au premier plan les accessoires (l’ombrelle, le chapeau à plume rouge…) servant aux modèles pour la réalisation de ce tableau. La technique utilisée par Seurat était très chronophage et il mit plus d’un an à peindre cette toile, qui devenait par-là impossible à vendre. L’artiste la possédait encore à sa mort. Après différentes vicissitudes (dont la perte du cadre originel peint par Seurat), elle fut acquise par le docteur Barnes en 1926 et se trouve donc maintenant à la nouvelle fondation Barnes sur le Parkway de Philadelphie.

15/02/2016

Photo wikimedia commons : File:Georges_Seurat_024.jpg Usr : Upload Bot (Eloquence)

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), Paul Cézanne

Cézanne Mardi Gras

Mardi Gras (Pierrot et Arlequin), 1888, hsr, 102 x 81 cm, Paul Cézanne, musée Pouchkine, Moscou.

En 1888, Paul Cézanne a complètement construit son système, géométrique, statique, épuré de tout superflu. On doit y voir le volume, la structure, le poids, la couleur.. et rien d’autre. Son « Mardi Gras » en est la quintessence. Il l’a peint à Paris (et non à Aix, il était à Paris juste pour plaire à Hortense, Mme Cézanne, qui ne voulait pas aller en Provence).

Tous les fils spirituels de Paul s’en inspireront : de Picasso à Juan Gris, de Derain à Rouault. Cézanne a peint trois autres Arlequin dans ces années là, mais ce duo est unique. Les collectionneurs qui l’apprécient le savent : cette toile est un chef d’œuvre. Alors elle est achetée par le plus fan de ses admirateurs : Victor Choquet, celui qui parlait de Cézanne à tout le monde : son célèbre « Et Cézanne ? » intervenait dans toute discussion sur la peinture. À la mort de M. Choquet, après un passage chez Durand-Ruel, elle rejoint en 1904 la collection d’un des plus grands amateurs de peinture française : Sergueï Chtchoukine, pour sa maison-musée de Moscou.

Serge Ivanovitch Chtchoukine (1854-1936) était un industriel moscovite du textile, qui a débuté sa collection en 1894. Entre 1905 et 1911, Chtchoukine perd son frère, deux de ses quatre enfants, et sa femme. Fou de douleur, il se consacre totalement à sa collection. En 1914, sa collection comprend 258 tableaux (dont 50 Picasso, 4 Van Gogh, 13 Monet, 3 Renoir, 8 Cézanne, 16 Gauguin, 38 Matisse, 9 Marquet, 16 Derain). Il recevait le dimanche chez lui, et montrait sa collection à des amateurs d’art, des critiques et des artistes. En août 1918, il fuit la Russie, sa fortune convertie en diamants cachés dans la poupée de sa fillette Irina, et après un passage en Allemagne, se réfugie en France. En octobre 1918, Lénine déclare le palais et la collection de Chtchoukine propriétés du peuple. À ce jour, 84 tableaux de la collection Chtchoukine sont au musée Pouchkine de Moscou, où ils font le délice des visiteurs. 149 de ses tableaux sont aussi à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

À retrouver bien sûr ici : Tout Cézanne

12/02/2016

Photo wikimedia commons Paul_Cézanne_-_Mardi_gras_(Pierot_et_Harlequin).jpg Usr Botaurus

Chemin de l’église Saint-Pierre, Tonnerre, Émile Bernard

Chemin de l'église Saint-Pierre, Émile Bernard

Chemin de l’église Saint-Pierre, Tonnerre, hst, 76 x 61 cm, Émile Bernard, collection particulière

Quand on pense à Émile Bernard, on pense bien sûr à Pont-Aven, à Gauguin, à Van Gogh ou bien encore à Cézanne, qu’il admirait tant qu’il a été rendre visite au maitre d’Aix, ou encore à Lautrec avec il était à l’académie Cormon, ou enfin à l’Égypte où il a passé plus de dix ans, entre 1893 et 1904. Mais sa vie bourguignonne est beaucoup moins connue.

Quand Émile a quitté l’Égypte en 1904, il a laissé sa femme égyptienne seule et sans ressources. Il a emmené ses enfants en France. Il les confie à sa nouvelle compagne : Andrée Fort, sœur de Paul, le poète. Elle est installée à Tonnerre. Émile Bernard continue sa vie mondaine, il passe à Tonnerre en revenant de Munich ou de Paris. Il emmène Andrée à Naples, où elle va accoucher d’un nouveau petit Bernard. Et Émile repart à Aix voir Cézanne. Est-ce le prénom qui le rapproche à ce point de Jean-Jacques Rousseau, l’homme qui a écrit un traité sur l’éducation tout en abandonnant ses enfants ?

En 1913, bien après ses années égyptiennes, il vit une passion avec Armène Ohanian, jeune femme d’origine perse, mais cette fois il reste à Montmartre. Cette liaison durera trois ans. Abandonné par sa maîtresse, il retournera à Tonnerre où il écrit et réfléchit aux gravures qu’il doit réaliser pour Ambroise Vollard.

Il a eu trois enfants avec Andrée. Les années passent. La vraie Mme Bernard meurt au Caire en 1937. L’année suivante, Émile épouse Andrée Fort. Il a 70 ans, elle en a 61. Émile n’a jamais vécu à Tonnerre, se contentant d’y passer quelques jours chaque année.

Quelle erreur, M. Bernard !

Votre beau-frère Paul aurait pu vous le susurrer. « Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. »

Le chemin de l’église Saint-Pierre est magnifique. Mais vous auriez pu aussi peindre les berges de l’Armançon ou du canal de Bourgogne, les nuances vertes du bassin quand l’eau sort de la fosse Dionne, aller à Tanlay, Ancy-le-Franc, Semur-en-Auxois ou Vézelay. Sans compter qu’au début de l’installation d’Andrée Fort à Tonnerre, Misia et Thadée Natanson n’étaient pas très loin, à Villeneuve-sur-Yonne, où ils recevaient les Nabis, et Renoir passait l’été à Essoyes.

Bernard meurt à Paris, dans son appartement de l’île Saint-Louis, en 1941, à 73 ans.

10/02/2016

Photo Courtesy The Athenaeum, rocsdad