Le Van Gogh des musées du Vatican

Lorsqu’on pense Vatican, immédiatement il vient à l’esprit Michel-Ange et Raphaël, Chapelle Sixtine et Chambres de Raphaël. Mais, et c’est aussi une idée forte chez VisiMuZ, il est toujours important de « savoir avant de voir » et en l’occurrence de savoir, qu’une Piétà par Van Gogh se trouve dans le musée d’art religieux, donc dans l’ordre de la visite juste après les appartements Borgia. Ce musée voulu et inauguré par Paul VI n’est pas toujours ouvert et le flot des visiteurs à ce stade est tel qu’on peut passer aussi devant cette Pietà sans la voir (salle XVI).
Il peut être intéressant de s’arrêter quelques secondes sur son histoire.

Delacroix, Nanteuil et les lithographies

À l’origine, il y a d’abord une Pietà, ca 1850, 35 x 27 cm, par Eugène Delacroix, un tableau qui se trouve maintenant au Musée national d’Oslo.

Eugene_Delacroix_Pieta_Musee_Oslo

Il montre Marie et Jésus lors de la descente de Croix. C’est d’abord la solitude de la mère tentant de soutenir son fils mort qui nous frappe par rapport aux autres descentes de Croix souvent remplies de personnages.
Delacroix a peint de nombreux sujets religieux. Mais ce tableau va obtenir une renommée plus grande par la diffusion, très nouvelle à l’époque, de lithographies.
La lithographie a été inventée en 1796. La génération des Romantiques est alors la première à utiliser cette technique qui n’est ni en creux (comme la gravure en taille douce) ni en relief (comme la gravure sur bois) mais « à plat » et utilise la chimie pour que l’encre aille au bon endroit. Lorsque la lithographie est exécutée à partir d’une autre œuvre (une toile par exemple), elle sera inversée puisque la pierre devient la matrice qu’on retourne. C’est ce que l’on peut constater dans cette lithographie de Célestin Nanteuil (1813-1873) exécutée dès 1853 (ici)
La lithographie est bien inversée (effet miroir) par rapport à la toile originelle d’Eugène Delacroix.

Vincent à Saint-Rémy

À la fin de l’été 1889, Vincent van Gogh est interné à l’hôpital à Saint-Rémy de Provence. Confiné dans sa chambre, rarement autorisé à aller dans le jardin (voir par exemple l’histoire du Buisson de lilas✯✯ dans le guide VisiMuZ de l’Ermitage), il utilise parfois des gravures ou lithographies comme modèle. La copie le détend. Il confie à son frère Théo : « Je m’y suis mis par hasard et je trouve que cela apprend et surtout parfois console. Aussi alors mon pinceau va entre mes doigts comme serait un archet sur le violon et absolument pour mon plaisir. »
De cette époque datent par exemple La Bergère✯✯ , La Fileuse✯ (tous deux dans la collection Moshe et Sarah Mayer à Tel-Aviv, un superbe musée dont nous aurons l’occasion de reparler dans VisiMuZ) et Le Faucheur✯ (Memorial Art Gallery de l’université de Rochester, États-Unis) tous les trois d’après Millet, ou encore le Buste d’ange✯ d’après Rembrandt (collection privée).
On sait toujours par les lettres de Vincent à Théo, que des lithographies de la Pietà et du Bon Samaritain de Delacroix étaient dans sa chambre.

Vincent écrit ensuite :
« Ainsi cette fois-ci pendant ma maladie il m’était arrivé un malheur — cette lithographie de Delacroix la Pietà avec d’autres feuilles était tombée dans de l’huile et de la peinture et s’était abîmée. J’en étais triste — alors entretemps je me je me suis occupé à la peindre et tu verras cela un jour, sur une toile de 5 ou 6 j’en ai fait une copie qui je crois est bien sentie. »

L’incident est devenu un sujet, un prétexte à une nouvelle toile. Van Gogh, fils de pasteur, avait lui-même essayé sans succès de devenir pasteur, mais avait échoué à l’examen de théologie. Pourtant, c’est la seule et unique toile dans laquelle Vincent va représenter Jésus, ou plutôt la seule composition puisqu’une réplique en sera réalisée quelques mois plus tard. Il se distingue en cela de son ami Gauguin, souvent attiré par les sujets religieux.

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Cette peinture (42 x 34 cm) est entrée au Vatican via un don du diocèse de New York en 1973. Certains critiques ont fait remarquer que le visage du Christ aux cheveux et à la barbe rousse pouvait être identifié avec celui de l’artiste. Vincent, malade, aurait identifié alors ses souffrances avec celles du Christ.

La réplique du musée d’Amsterdam

L’artiste va exécuter une seconde version en 1890, un peu plus grande (73 X 60.5 cm), pour le docteur Gachet. Cette version est au musée Van Gogh à Amsterdam. Il est intéressant de regarder les différences stylistiques à quelques mois d’intervalle.

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Lettre à Théo d’Auvers sur Oise 3 juin 1890.
« Gachet m’a dit aussi, que si je voulais lui faire un grand plaisir, il désirerait que je refasse pour lui la copie de la Pietà de Delacroix qu’il a regardée très longtemps. Dans la suite probablement il me donnera un coup de main pour les modèles; je sens qu’il nous comprendra tout à fait et qu’il travaillera avec toi et moi sans arrière-pensée, pour l’amour de l’art pour l’art, de toute son intelligence. »
Il reste à ce moment à Vincent quelques semaines à vivre.
Enfin, selon Wikimedia Commons, mais sans qu’aucune précision et référence ne soit indiquée, il existerait une esquisse préparatoire dans la collection Bernhard C. Solomon, Los Angeles (ici)
Les Musées du Vatican, au-delà des œuvres les plus iconiques et célèbres, recèlent pour qui veut les trouver de nombreux trésors. Le guide VisiMuZ correspondant vous les détaillera dès le mois prochain.

Crédits Photographiques
Oslo : Lien : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eug%C3%A8ne_Delacroix_-_Piet%C3%A0_-_WGA06213.jpg » User : JarektUploadBot Licence : CC-PD-Mark
Vatican : VisiMuZ
Amsterdam : Lien : http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Van_Gogh_-_Piet%C3%A0_%28nach_Delacroix%29.jpeg User Mefusbren69 Licence : CC-PD-Mark

Théodore Chassériau et son Esther

Esther, se pare pour être présentée au roi Assuérus ou La Toilette d’Esther est notre tableau du jour. Quand Chassériau l’a réalisé, il n’avait que 22 ans.  Il s’était fait connaître deux ans auparavant avec deux tableaux de nu, aux prétextes mythologiques (Vénus anadyomène)  et bibliques (Suzanne au bain).

Théodore Chassériau (1819-1856)  est un peintre trop peu connu du grand public. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, il est mort jeune (à 37 ans). De plus, si son talent était évident, son style a balancé entre celui d’Ingres (1780-1867), dont il a été l’élève, et celui de Delacroix (1798-1863). Chassériau ne peut donc être rattaché directement à un courant (néo-classicisme, académisme, orientalisme, romantisme, réalisme, etc.) et cette difficulté à le catégoriser ou le classer l’a laissé un peu dans l’ombre.
En 1841, l’orientalisme est à la mode. L’Algérie a été prise en 1830, Delacroix y est allé dès 1832 et Chassériau ira en 1846.

La Toilette d'Esther
Esther, se pare pour être présentée au roi Assuérus ou La Toilette d’Esther, 1841
Musée du Louvre, aile Sully, salle 63

Acte I : entre 600 et 460 avant J.C.
Le thème d’Esther est tiré du livre éponyme dans la Bible.
Dans la troisième année du règne d’Assuérus, celui-ci a démis de son titre son épouse la reine Vashti. Sept jeunes Vierges doivent lui être présentées, dans sa capitale de Suse, et il choisira sa nouvelle épouse parmi elles. Mardochée, juif de la tribu de Benjamin, en exil après la destruction du temple de Salomon, a recueilli sa cousine orpheline Esther et l’envoie au palais. Le cérémonial prévoyait un an de préparation, avant la présentation au roi. Esther sera choisie comme reine. Pendant cette période, Mardochée surprend un complot contre Assuérus, et il fait prévenir le roi par Esther.
Neuf ans plus tard, le vizir Haman décide d’exécuter tous les Juifs de la diaspora installés dans l’empire perse. Assuérus apprend alors que Mardochée l’a sauvé neuf ans plus tôt. Dans le même temps, Esther révèle à son époux son appartenance au peuple juif et lui apprend aussi que le décret d’Haman n’est pas politique mais lié à des ressentiments personnels. Le décret est supprimé, Haman est pendu, et Mardochée devient vizir. Le peuple juif sauvé instaure alors la fête commémorative de Pourim. Si cet épisode a des fondements historiques, l’histoire se serait déroulée entre 600 et 460 avant J.C. La fête de Pourim est célébrée en 2013 les 23 et 24 février, et parmi les lecteurs du livre d’Esther ce week-end, certains pourront aussi penser à la beauté créée par Chassériau.

Acte II : Madame de Maintenon, Racine, et le jansénisme.
Esther, pièce jouée pour la première fois en 1689, est l’avant-dernière pièce de Jean Racine (1639-1699). Elle reprend le thème de la Bible, en respectant les préceptes classiques (unité de temps, de lieu, d’action). Ainsi le premier épisode est traité en flash-back et Esther raconte à une amie comment elle est devenue reine et comment Mardochée a déjoué le complot contre Assuérus. Racine, comme Louis XIV et son épouse morganatique Françoise de Maintenon se sont rapprochés du jansénisme. Racine, en bon courtisan, reprend un thème biblique, sa commande précisant qu’il doit écrire sur « quelque sujet de piété et de morale ». Il traite du concept de la « Providence » (théorisé quelques années auparavant par Bossuet, évêque de Meaux), mais aussi de la tolérance envers les autres religions. Il critique ainsi discrètement la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, intervenue quatre ans auparavant le 22 octobre 1685, qui interdisait le protestantisme en France, et causera l’exil des huguenots.

Acte III : La Toilette d’Esther, 1841
Chassériau profite d’un thème sérieux, voire austère, pour nous donner une image pleine de vie et de beauté. Son ami Théophile Gautier parlait à son sujet de « grâce étrange ». À cette date, Chassériau a rompu avec son maître Ingres, et si son dessin reste très pur, on retient surtout la lumière qui se pose sur l’héroïne, la couleur exceptionnelle et l’atmosphère orientale pleine de sensualité, qui en font un chef-d’œuvre. Le tableau de Chassériau à l’érotisme puissant sera sévèrement jugé par la critique de l’époque, comme les tableaux de Courbet et Manet le seront quelques années plus tard,. Sans doute était-il trop en avance sur son temps !