Les Joueurs de football, Henri Rousseau, dit le Douanier

Les Joueurs de football, Henri Rousseau

Les Joueurs de football, 1908, huile sur toile, 100,5 x 80,3 cm, Henri Rousseau, dit le Douanier, Solomon R Guggenheim Museum, New York

En 1908, Picasso et Fernande Olivier vivaient au Bateau-Lavoir. Modigliani aussi, mais il restait un peu en retrait.
Picasso était un admirateur de Rousseau, qu’Apollinaire avait surnommé le « douanier », alors qu’il n’avait été qu’un employé de l’octroi. Pablo acheta alors un tableau d’Henri, et décida d’organiser avec sa « bande » (Derain, Braque, Vlaminck), un banquet en l’honneur du douanier. Fernande Olivier a raconté plus tard (en 1933 dans Picasso et ses amis) que, les libations aidant, Rousseau aurait dit ce soir-là à Picasso : « Nous sommes les deux plus grands peintres de l’époque, toi, dans le genre égyptien, moi dans le genre moderne. »
On ne pouvait pas dire à cette époque que la phrase était surréaliste, cela aurait été totalement anachronique (le surréalisme date de 1924), mais l’esprit y était.
Notre tableau du jour participe de cet esprit. La phrase d’Henri n’était pas dénuée de tout fondement, Rousseau, dans le choix de ses sujets, était très intéressé par le monde moderne. Il a choisi le premier de représenter avions, ballons, ou encore des poteaux électriques. Ses joueurs de foot nous emmènent dans son monde un peu onirique, dans lequel les joueurs de foot pourraient faire partie des « brigades du Tigre ». On imagine de surcroit l’effet de ces costumes rayés sur les pelouses des stades. Et quid des fautes de main ? Mais que fait donc l’arbitre ?
Dès 1891, Félix Vallotton, alors critique d’art, avait écrit à propos de Rousseau et d’un de ses tableaux de jungle : « Il est à voir, c’est l’alpha ou l’oméga de la peinture, et si déconcertant que les convictions les plus enracinées s’arrêtent et hésitent devant tant de suffisance et tant d’enfantine naïveté… Il est toujours beau de voir une croyance, quelle qu’elle soit, si impitoyablement exprimée. J’ai, pour ma part, une estime sincère pour ces efforts, et je les préfère cent fois aux déplorables erreurs d’à-côté… »
Alors c’est qui le plus grand dans le genre moderne ?

04/07/2016

photo wikimedia commons : File:Henri_Rousseau_-_The_Football_Players.jpg Usr : Coldcreation.

Le lion, ayant faim…, Douanier Rousseau

Le lion, ayant faim… Douanier Rousseau

Le Lion, ayant faim, Henri Rousseau (dit le douanier), fondation Beyeler, Bâle.

Le premier paysage tropical de Rousseau

En 1891, Henri, dit le douanier, Rousseau (1844-1910), réalise un premier tableau de jungle Tigre dans une tempête tropicale ou Surpris ! en 1891. Refusé au Salon officiel, il l’expose au Salon des Indépendants. La plupart des critiques attaquent avec virulence alors ce « dessin d’enfant » à l’exception notable d’un jeune peintre et critique d’art suisse, un certain Félix Vallotton (cette histoire est bien sûr à retrouver en détail avec toutes les autres dans la biographie de Vallotton, chez VisiMuZ).

Agacé par les critiques, meurtri dans son ego de peintre, Rousseau va ignorer ce thème durant 10 ans. Puis l’envie est décidément trop forte et il va réaliser plus de 20 toiles dites « de jungle » mais dont le vrai motif est son amour de la botanique.

La végétation

La nature qu’il présente provient des dioramas du Jardin des Plantes. Il reconstitue le fond de ses jungles feuille à feuille, reconstruisant l’espace en jouant sur la taille des feuilles et utilisant des dizaines de nuances de vert différentes, dont tous les experts reconnaissent la cohérence des accords chromatiques. Le peintre Ardengo Soffici, qui a vu peindre[*] Henri, témoigne que Rousseau comptait le nombre de nuances de verts qu’il distribuait sur la toile, en en posant un seul à la fois et en nettoyant sa palette entre deux tons différents.

Le lion, ayant faim…

[cliquez sur la photo pour l’agrandir dans un nouvel onglet, pour mieux l’apprécier]

Le tableau du jour est le deuxième de la série des années 1904-1910. Rousseau l’a exposé au Salon d’Automne 1905 à Paris. On a du mal à comprendre le pourquoi de ce format gigantesque (200 x 301 cm). Les animaux sont nombreux : panthère, lion, antilope, mais aussi au centre une chouette tenant dans son bec un lambeau de chair, et plus à gauche un autre oiseau et quelque chose qui ressemble à un singe.

Rappelons le titre complet du tableau, que Rousseau avait intitulé pour le catalogue de l’exposition : Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, la dévore. La panthère attend avec anxiété le moment où, elle aussi, pourra en avoir sa part. Des oiseaux carnivores ont déchiqueté chacun un morceau de chair de dessus le pauvre animal versant un pleur ! Soleil couchant.

Devant un tel titre, il n’est pas surprenant que les Surréalistes aient admiré Rousseau ou encore que Robert Combas (1957-) se soit lui aussi vraisemblablement inspiré du douanier pour ses titres de tableaux à rallonge.

Les Fauves et Rousseau

Alors qu’il était méprisé 15 ans avant, Rousseau va, entre 1905 et sa mort en 1910, faire partie de l’avant-garde, et être admiré par Delaunay, Apollinaire, Picasso, Braque, Léger. En 1905, eu égard à cette notoriété grandissante, mais aussi certainement à la taille du tableau, incasable ailleurs sur les cimaises, les organisateurs du Salon donnent à Rousseau la place d’honneur pour ce Lion, ayant faim…

Dans la même exposition, et dans une salle voisine (n° VII) se trouvent un buste (réalisé par un certain Marque que l’histoire de l’art a oublié) dans le goût de la Renaissance, mais surtout des toiles de Matisse, Marquet, Derain, Manguin, Camoin, aux couleurs pures et flamboyantes. Louis Vauxcelles, un critique d’art du « Gil Blas », un quotidien de l’époque, sort courroucé et fait paraître le 17 octobre 1905 un article intitulé « Donatello chez les fauves », titre qu’il explique en écrivant à propos du buste en marbre de style Renaissance : «  La candeur de ce buste surprend au milieu de l’orgie de tons purs : c’est Donatello chez les fauves.  »

Le Fauvisme est né. Ironie de l’histoire, Rousseau n’était pas un de ces « fauves » même si le lion et la panthère de son tableau ont certainement inspiré en partie le titre de l’article de Vauxcelles.

Cette toile est maintenant une des pièces maîtresses de la collection permanente de la Fondation Beyeler, à Riehen, près de Bâle. Elle a fait l’objet, récemment, d’une restauration importante, commentée ici

[*] Ardengo Soffici , Trenta artisti moderni italiani e stranieri, 1950, p 82.

Dim : 200 x 301 cm
Photo wikimedia commons File:Rousseau-Hungry-Lion.jpg Usr Scewing

02/09/2015 Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

Forêt tropicale avec singes, Douanier Rousseau

• Forêt tropicale avec singes, 1910, Henri Rousseau dit le Douanier Rousseau, National Gallery of Art, Washington (DC)

Ce tableau a été peint dans les derniers mois de la vie de l’artiste. Rousseau avait l’habitude d’inventer ses paysages luxuriants et de copier les animaux sur un répertoire d’images (albums publicitaires des Galeries Lafayette, du chocolat Menier…) ce qui leur donnait une grande précision.. sauf les singes. Les lignes de leur corps, cachées par les poils, lui semblaient plus faciles à reproduire, et il les créait sans modèle. Le résultat en ressort d’autant plus personnel, maladroit d’un point de vue naturaliste, avec des faces presque humaines. Les 2 singes du bas semblent se servir des deux cannes vertes comme des humains se servent de cannes à pêche amplifiant l’anthropomorphisme des animaux et une vision occidentale de la jungle telle qu’Hergé nous la présentera 21 ans plus tard (seulement) dans « Tintin au Congo ».

Dim : 129,5 x 162,5 cm
Photo Courtesy The National Gallery of Art, Washington (DC)